(Photo: Christopher Burns pour Unsplash)
Tous les investisseurs rêvent de pouvoir acheter des titres boursiers à leur plus bas niveau et de les revendre lorsqu’ils atteignent des sommets historiques. Dans les faits, bien peu parviennent à maîtriser cette pensée à contre-courant qui a malgré tout une certaine place en investissement, selon des gestionnaires de portefeuille.
«On ne peut pas générer de bons rendements à long terme en achetant uniquement des actifs qui ont déjà monté depuis un certain temps», explique Mary Hagerman, gestionnaire de portefeuille et planificatrice financière au Groupe Mary Hagerman, de la société de place-ments Raymond James. «Si on définit l’investissement à contre-courant comme des achats d’actifs en défaveur, on pourrait dire que je me qualifie à l’occasion dans cette stratégie», dit-elle.
Certains pourraient qualifier cette philosophie de très dangereuse, car elle peut sous-entendre une tentative de synchronisation avec les variations à court terme des marchés boursiers (market timing), une stratégie qui, habituellement, sert mal les investisseurs.
La société américaine Dalbar publie chaque année, depuis 1994, un rapport sur l’analyse quantitative des comporte-ments des investisseurs. Le document montre que sur des périodes allant de 12 mois à 30 ans, l’investisseur boursier moyen obtient systématiquement des rendements inférieurs à ceux de l’indice de référence S&P 500.
Autrement dit, en optant pour des placements indiciels plutôt qu’en multipliant les transactions, l’investisseur individuel moyen s’enrichirait davantage.
Martin Roberge, directeur général, portefeuilliste et analyste quantitatif à Canaccord Genuity, trace toutefois une ligne entre l’investissement qui tente de se synchroniser avec les mouvements boursiers et celui à contre-courant.
«Prenons l’exemple d’Alphabet (GOOGL, 122,28 $US), dont le titre a subi une correction après la publication de ses plus récents résultats financiers trimestriels. Quelqu’un qui voudrait synchroniser un achat avec la baisse du titre se procurerait des actions en se disant que l’indice Nasdaq, dont fait partie Alphabet, a trop corrigé et qu’il est prêt pour un autre cycle haussier. Il veut une exposition à la technologie et il choisit son cheval de bataille à travers la société mère de Google», explique-t-il.
Le portefeuilliste raconte que l’investisseur à contre-courant ne se pose pas de question à propos du Nasdaq. Il achètera le titre d’Alphabet parce qu’il croit qu’à la suite de la correction, ses recherches montrent que la valorisation du titre est devenue attrayante et intègre déjà les pires craintes qui ont fait baisser le titre.
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Stratégie mal comprise
«L’investissement à contre-courant est souvent mal compris. Beaucoup d’investisseurs pensent qu’il s’agit simplement d’acheter un titre qui baisse pour adhérer à la philosophie. Ce n’est pas ça, être à contre-courant. Il faut savoir éviter de tomber dans un piège de valeur (value trap)», estime Daniel Ouellet, gestionnaire de portefeuille et gestionnaire principal de patrimoine au Groupe Ouellet Bolduc, Valeurs mobilières Desjardins.
Mary Hagerman abonde dans le même sens, affirmant que beaucoup de titres d’entreprises peuvent reculer parce que les perspectives sont assombries par des changements qui peuvent être considérés comme presque permanents.
Daniel Ouellet ajoute que l’investissement à contre-courant repose sur l’achat d’une histoire positive avec une société qui a un bilan solide, mais qui, de façon contextuelle, se retrouve à des multiples de valorisation inférieurs à leur moyenne historique pour des raisons temporaires.
«Par exemple, nous avons acheté le titre de Suncor (SU, 45,17 $) en 2020, en pleine pandémie, quand le prix du baril de pétrole brut est descendu à 20 $US. On savait que la valeur du pétrole allait éventuellement remonter, le titre était battu, mais le bilan financier de l’entreprise était encore extrêmement solide. La société a traversé une période difficile, mais son titre a ensuite amorcé une remontée. Puis, l’an dernier, quand la Russie a décidé d’entrer en guerre contre l’Ukraine, beaucoup d’investisseurs se sont rués sur les titres des pétrolières. À ce moment, nous étions en train de réduire notre position», dit-il.
Martin Roberge insiste sur le fait que la stratégie doit reposer sur l’identification d’un catalyseur qui permet de déterminer un point de retournement, précisant qu’il peut provenir de l’entreprise, d’une industrie ou être de nature économique. Lorsqu’il sélectionne ses idées à contre-courant, il dit souvent regarder les secteurs qui ont offert de mauvais rendements pendant trois ans en moyenne.
«Cette période nous vient de la littératie financière qui a documenté deux effets momentum en Bourse, un positif à court terme et un négatif à plus long terme. À court terme, on constate qu’un titre qui performe bien va poursuivre sa croissance pendant trois ans avant que cette dernière ne s’essouffle. À l’inverse, après trois ans de piètres rendements, la vaste majorité des mauvaises nouvelles sont escomptées dans la valeur du titre d’une entreprise et on fait l’hypothèse que la direction prendra le taureau par les cornes pour redresser la situation», dit-il.
Des creux
Ce qui n’empêche pas que parfois, certains titres peuvent passer à travers un passage à vide qui durera plus longtemps. «Il y a parfois quand même une quatrième année difficile. La stratégie à contrecourant est difficile parce que les points de retournement qui ont été relevés peuvent mettre un bon moment avant de se refléter sur le prix d’une action», concède Martin Roberge.
Il soutient que sur 10 titres, il détient en moyenne de trois à quatre titres reposant sur des thèses d’investissement à contre-courant.
Daniel Ouellet affirme que le taux de roulement de son portefeuille est d’environ 20 % par année, ce qui signifie que 80 % de son portefeuille est constitué d’«histoires qui ont avancé»et qu’il conserve ses titres cinq ans en moyenne.
«Un titre acheté à contre-courant, c’est celui de l’entreprise américaine de technologies médicales et de distribution de produits pharmaceutiques McKesson (MCK, 452,05$US), effectué au début de la crise des opioïdes. L’entreprise s’est retrouvée au banc des accusés et il y avait une intention politique de faire baisser les prix des médicaments. On a acheté entre 140$US et 160$US. Depuis quelque temps, je n’arrête pas de réduire ma position, mais le titre n’arrête pas de monter. Il est rendu très cher d’un point de vue historique. On est passé d’un excès de pessimisme à un positivisme exagéré. Ça se reflète dans le quantitatif des multiples d’évaluation. On pense vendre le reste de la position en 2024, tout en profitant d’un taux de change très avantageux», confie-t-il.
Daniel Ouellet, qui se qualifie d’investisseur valeur ou de croissance à prix raisonnable, appelle ses investissements à contre-courant des «visions uniques»que les marchés boursiers ne réalisent pas encore.
De son côté, Mary Hagerman croit que la portion à contre-courant d’un portefeuille ne devrait pas dépasser 15 %. Selon elle, la meilleure stratégie est d’acheter en se fondant sur la prémisse que l’investissement constituera une occasion à long terme, car il est impossible d’avoir un synchronisme parfait à court terme.
«Si c’est pour faire un coup d’argent rapide, c’est très dangereux», dit-elle, ajoutant que les investisseurs doivent effectuer beaucoup de recherche avant de passer à l’action afin de valider leur intention de base. Ces travaux permettront, selon elle, de donner une certaine conviction envers les transactions effectuées, pour éviter que les biais comportementaux ne prennent le dessus et poussent certaines personnes à manquer de patience et à vendre à de mauvais moments, sous le coup de l’émotion, avant que les stratégies ne produisent leur plein effet.
CONSEILS POUR INVESTIR
La portion à contre-courant d’un portefeuille ne devrait pas dépasser 15%
Selon Mary Hagerman, gestionnaire de portefeuille et planificatrice financière au Groupe Mary Hagerman, de la société de placements Raymond James, la meilleure stratégie est d’acheter en se fondant sur la prémisse que l’investissement constituera une occasion à long terme, car il est impossible d’avoir un synchronisme parfait à court terme.«Si c’est pour faire un coup d’argent rapide, c’est très dangereux», dit-elle, ajoutant que les investisseurs doivent effectuer beaucoup de recherche avant de passer à l’action afin de valider leur intention de base.