Quand croissance plus faible rime avec inflation plus élevée
Mathieu D'Anjou|Édition de la mi‑novembre 2021SIGNAUX FORTS. Au cours des dernières décennies, les cycles économiques ont surtout été influencés par l’évolution de la demande. Les politiques monétaires modernes basées sur les cibles d’inflation sont très efficaces pour influer sur la demande et éviter de longues périodes de contractions économiques ainsi que des surchauffes économiques accompagnées d’une inflation très élevée. Face à un choc négatif de demande, par exemple une baisse soudaine de la confiance des ménages, qui menace de faire chuter l’activité économique et l’inflation, les banques centrales n’hésiteront pas à assouplir leur politique monétaire, ce qui fera à la fois remonter le PIB et l’inflation vers les niveaux souhaités.
Comme l’explique bien mon collègue Hendrix Vachon dans une récente étude, il est beaucoup plus difficile pour la politique monétaire de répondre à un choc d’offre. Cette expression désigne un ensemble d’éléments pouvant affecter de façon importante et inattendue la production de biens et de services. L’économie mondiale fait actuellement face à plusieurs chocs d’offre négatifs, dont la pénurie de puces électro-niques qui frappe particulièrement l’industrie automobile, l’explosion des coûts du transport maritime et la poussée des prix de plusieurs matières premières.
Le problème pour les banques centrales est que les chocs d’offre négatifs sont inflationnistes même s’ils réduisent l’activité économique. Un exemple frappant est le fait que les ventes de véhicules automobiles neufs américains ont chuté du tiers entre avril et septembre, ce qui n’empêche pas le prix des véhicules d’afficher une progression annuelle de près de 10 %. À court terme, la politique monétaire ne peut rien faire pour compenser directement un choc négatif d’offre. Baisser les taux directeurs ne fera pas subitement apparaître des puces électroniques, des ports et des bateaux ou des gisements de matières premières. Si une banque centrale essaie de compenser l’effet négatif sur l’économie du choc par une politique monétaire expansionniste, elle amplifiera davantage la poussée de l’inflation. Si elle veut rapidement ramener l’inflation à sa cible, elle devra faire fortement chuter la demande, au risque de causer une récession.
De façon générale, il semble donc souhaitable que les banques centrales ne réagissent pas trop fortement à un choc d’offre négatif et acceptent d’observer temporairement une croissance plus faible et une inflation plus élevée. Le danger d’une telle stratégie est que la poussée initiale des prix pourrait entraîner les salaires et d’autres prix à la hausse et causer une véritable spirale inflationniste. Étant donné les mesures monétaires et budgétaires sans précédent mises en place pendant la pandémie et la pénurie de main-d’oeuvre observée presque partout, ce risque ne peut pas être complètement ignoré dans la situation actuelle.
Le signal envoyé à la fin octobre par la Banque du Canada indiquant qu’elle tolérera une inflation au-dessus de sa cible encore un certain temps, mais pourrait commencer à remonter ses taux directeurs un peu plus tôt, soit au deuxième ou au troisième trimestre de 2022, nous semble ainsi tout à fait approprié.