Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Quatre trente sous pour une piastre?

Simon Lord|Édition de la mi‑juin 2023

Quatre trente sous pour une piastre?

(Photo: 123RF)

Investir et épargner au Canada, c’est une chose. Faire de même aux États-Unis est une autre paire de manches. Comme nous l’a enseigné la faillite de la Silicon Valley Bank cet hiver, le système bancaire américain présente des risques assez particuliers. Survol des différences entre les deux systèmes.

La distinction la plus importante entre les systèmes bancaires canadien et américain réside peut-être dans leur structure de marché respective. Effectivement, notre marché est considéré comme un oligopole, alors que celui des États-Unis est beau-coup plus diversifié. «Ici, nous avons six grandes banques qui contrôlent 90 % des actifs», illustre Raymond Théoret, professeur titulaire de finance à l’ESG UQAM. Chez nos voisins, il y a certes quatre grandes banques — JP Morgan (JPM, 137,46 $US), Bank of America (BAC, 28,26 $US), Wells Fargo (WFC, 40,98 $US) et Citibank, qui appartient à Citigroup (C, 44,70 $US) —, mais également plusieurs plus petits joueurs.

Pour être plus précis, selon la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), les États-Unis comptaient 4135 banques en activité l’an dernier. Au Canada, le Bureau du surintendant des institutions financières dénombre seulement 81 banques.

Ce contraste marqué sur le plan de la structure de marché implique une prise de risque différente dans les institutions financières des deux pays, explique Raymond Théoret. «Les variations des profits des banques américaines sont assez fortes, dit-il. Par conséquent, elles prennent plus de risques que les banques canadiennes.»La concurrence accrue aux États-Unis peut donc être nuisible à la stabilité du secteur.

 

Dissemblance réglementaire

Les règles encadrant le système bancaire et financier américain peuvent aussi contribuer à certains égards à augmenter la prise de risque.

Les obligations de maintenir des ratios de liquidité plus élevés à la suite des accords de Bâle III, publiés en 2010, n’ont par exemple pas aidé dans les dernières années, évalue Raymond Théoret. «L’augmentation de ces ratios a fait en sorte de diminuer la rentabilité des banques», note-t-il. Bien sûr, l’objectif des accords de Bâle était de rendre les banques plus robustes en rehaussant les minimums de capitaux propres, mais cette imposition a eu un effet qui avait été mal anticipé.

«On avait oublié que le capital est une source de financement onéreuse et que les banques ont un pouvoir d’innovation, souligne le professeur. En réponse aux nouvelles exigences et à une baisse structurelle des profits après 2010, les banques sont retournées vers des activités à plus haut risque pour maintenir leur rentabilité.»Selon lui, la culture bancaire diffère également dans les deux pays — les banquiers canadiens sont plus conservateurs — et l’assurance-dépôts comporte aussi des subtilités. Alors qu’aux États-Unis, la FDIC couvre les dépôts jusqu’à 250 000 $US par épargnant, la Société d’assurance-dépôts du Canada couvre jusqu’à 100 000 $.

 

Un secteur financier parallèle

Le système bancaire canadien jouit d’une réglementation prudentielle plus solide que son voisin du Sud, reconnaît aussi Christian Calmès, professeur au Département des sciences administratives de l’Université du Québec en Outaouais. Mais au-delà des règles encadrant les banques, le spécialiste du risque financier note que le secteur financier parallèle, dit shadow banking, est plus développé aux États-Unis, même si les deux systèmes bancaires ont tendance à suivre les recommandations de la Banque des règlements internationaux (BIS), une sorte de banque pour les banques centrales.

«Or, nonobstant les changements de réglementation mis en place après la crise des prêts à haut risque (subprimes), il est par contre impossible d’évaluer correctement les risques associés aux innovations financières de ce secteur, et, par conséquent, de le réglementer efficacement», explique Christian Calmès. Ce qui rend le système bancaire canadien plus stable, détaille-t-il, est que les activités hors bilan sont essentiellement menées par des institutions de grande taille, et que ces dernières sont généralement plus compétentes pour la gestion de produits risqués.

«L’envers de la médaille est que, du fait de sa concentration excessive, le système canadien soutient moins bien l’activité économique que son voisin du Sud», précise-t-il. Un compromis qui a sûrement paru en valoir le coût en mars dernier, alors que des investisseurs canadiens ont regardé de loin, du confort de leur propre système bancaire, l’implosion de banques régionales américaines comme Silicon Valley Bank.