«En faisant votre café vous-même, vous aurez éliminé la dépense, mais n’aurez pas satisfait le vrai besoin.» (Photo: 123RF)
On dit souvent que pour bien gérer son argent, il faut connaître la différence entre le besoin et le désir.
Quelle absurdité!
On dirait que tous les éducateurs financiers se sentent obligés d’enseigner ce concept, mais pour ma part la métaphore du besoin et du désir est quelque chose que je déteste. Je la trouve décourageante et fallacieuse, et je suis là pour vous apprendre à procéder d’une autre façon, scientifique celle-là.
Pourquoi le paradigme du besoin et du désir ne fonctionne pas?
Le paradigme du besoin et du désir part d’un bon sentiment. Son but est de nous aider à évaluer nos priorités et à contrôler nos dépenses, mais il y a un problème: il traite tout ce qui ne relève pas des besoins de base pour la survie comme des désirs, et cela entre en conflit avec le processus naturel des motivations humaines.
Maslow incompris
Quiconque a étudié la psychologie moderne aura entendu parler de la hiérarchie des besoins d’Abraham Maslow. L’idée c’est que si aucun des besoins d’un individu n’est satisfait, il se préoccupera avant tout de sa survie immédiate (avoir de la nourriture, de l’air, et ainsi de suite). Une fois que ces besoins auront été satisfaits au moins en partie, le besoin de sécurité et de stabilité (avoir un logement, vivre dans la sécurité) revêtira plus d’importance. Ensuite viendront au premier plan ses besoins affectifs et sociaux, puis son amour-propre, et enfin son épanouissement personnel.
Ça convient jusqu’à un certain point, mais nous ne pouvons pas aller trop loin dans l’idée d’une hiérarchie. M. Maslow lui-même a pris bien soin d’écrire: «on pourrait dire de quiconque serait déficient dans un ou plusieurs de ses besoins qu’il ne se sentirait pas bien dans sa peau». La structure hiérarchique décrit l’ordre général que nous pourrions adopter pour satisfaire nos besoins, mais ce n’est pas une hiérarchie d’importance, seulement une hiérarchie d’urgence, et il y a des exceptions. Là encore, on peut citer M. Maslow: «qui suis-je pour dire que l’amour est moins important que les vitamines»?
Les budgets ne sont pas des régimes alimentaires
Si on examine le paradigme du besoin et du désir dans l’optique de M. Maslow, nous considérons les besoins pour la survie comme des besoins valables, mais tout le reste est traité au chapitre des désirs. En traitant comme des désirs nos besoins «supérieurs», le conseil classique en matière de gestion financière nous conduit à sabrer dans certaines dépenses comme les spectacles, les connexions sociales, les rendez-vous galants, l’éducation et bien d’autres choses parce qu’elles ne sont pas nécessaires à la survie. Pouvons-nous survivre sans elles? Bien sûr! Voulons-nous vivre sans amour, sans but, sans respect ou sans direction? Absolument pas!
Il ne faut pas oublier que tous les éléments figurant dans la liste hiérarchisée de M. Maslow sont des besoins humains fondamentaux, et que nous sommes instinctivement poussés à satisfaire tous nos besoins, quels que soient nos revenus. Lorsque nous rabaissons nos besoins affectifs, intellectuels et spirituels en les qualifiant de superflus, nous changeons la gestion financière en plan justifiant des privations. Pas étonnant dans ce cas que tant de gens détestent budgéter!
Lorsque nous pensons en termes de besoins et de désirs, nous changeons la gestion financière en plan justifiant des privations.
Une meilleure façon
C’est vrai, les chiffres doivent cadrer, mais votre vie doit cadrer elle aussi. Autrement, vous résisterez de l’intérieur à votre propre budget, et nous savons tous comment ça peut se terminer. Dans ce cas, comment une personne peut-elle honorer l’intégralité de la hiérarchie des besoins humains tout en vivant au-dessus de ses moyens?
Les besoins par rapport aux stratégies
Après avoir étudié plusieurs théories sur les motivations humaines, je suis convaincue que si nous voulons certaines choses, c’est parce que nous croyons qu’elles nous aideront à répondre à un besoin intérieur profond. Même les choses frivoles que nous achetons impulsivement s’inscrivent dans des tentatives destinées à servir un besoin fondamental comme s’amuser, se détendre, se sentir à l’aise ou soulagé. Nos désirs nous dirigent vers des besoins. Si nous faisons attention, la gestion financière peut devenir un exercice de total épanouissement, et pas de privation.
Au lieu d’apprendre à distinguer un désir d’un besoin, essayez d’apprendre à faire la différence entre un besoin et la stratégie à adopter pour y répondre. Ce simple changement de formulation renferme un changement d’état d’esprit.
Dans le cadre de pensée se référant aux besoins par rapport aux stratégies, les besoins sont universels et fondamentaux. Quels sont-ils? Les catégories de base se trouvent dans la liste hiérarchique de M. Maslow:
– La survie ;
– La sécurité ;
– L’amour et le sentiment d’appartenance ;
– L’estime ;
– La signification.
Nous pourrions créer des sous-catégories, mais vous voyez où je veux en venir. Les besoins sont fondamentaux et s’appliquent à tout le monde et partout.
Les stratégies permettant de satisfaire des besoins varient d’une personne à l’autre, et c’est là que nous pouvons changer la budgétisation en exercice de résolution de problèmes conduisant à un épanouissement profond, à la fois au moment présent et dans l’avenir.
S’épanouir dans le présent et dans l’avenir
Certaines stratégies de satisfaction des besoins sont efficaces, et d’autres ne le sont pas. Certaines sont abordables, et d’autres ne le sont pas. L’astuce, c’est de trouver une stratégie qui soit à la fois abordable et qui vous permette un épanouissement personnel. Si vous partagez vos finances avec quelqu’un, la stratégie doit satisfaire les besoins des deux membres du couple.
Par exemple, tout le monde a besoin de moyens de transport. Ignorer le besoin ne le fait pas disparaître, ça le rend plus pressant. Toutefois, il y a beaucoup de moyens de se déplacer, qui ont tous un coût différent. On peut marcher à pied ou rouler à bicyclette, prendre un autobus ou un train, louer une voiture, faire du covoiturage ou conduire son propre véhicule. Dans ce dernier cas, on peut partager l’utilisation d’une voiture, se payer un trajet pas cher, ou conduire un véhicule de luxe. Quelqu’un pourrait dire: «j’ai besoin d’une voiture parce que je vis dans une zone rurale». Non. Il faut un moyen de transport. Posséder une voiture est une des stratégies permettant de répondre à ce besoin. Mais il y en a d’autres. Vous pouvez faire du covoiturage, louer une voiture, payer un ami pour vous conduire, et ainsi de suite. Peut-être que posséder une voiture est la meilleure stratégie qui vous soit offerte, mais ce n’est probablement pas la seule.
Rien à voir avec le café
Combien de fois avons-nous tous entendu que nous pourrions économiser beaucoup d’argent en se passant de café l’après-midi? Les experts nous serinent que nous pourrions économiser 1 500$ par an. Alors on se dit: chic, je vais prendre mon café à la maison. Après quelques jours où l’on sirote son café dans sa salle de repos ou dans sa cuisine, on réalise que tout ça n’a rien à voir avec le café, c’est le coup de fouet que ça nous donne, le spectacle de visages familiers, le dépaysement par rapport à ses quatre murs habituels. En faisant votre café vous-même, vous aurez éliminé la dépense, mais n’aurez pas satisfait le vrai besoin.
Peut-être que se déplacer jusqu’à la boutique répond à votre besoin de connexion sociale dans une journée de travail par ailleurs isolée. Peut-être que ce sont l’air frais et la marche qui vous mettent de bonne humeur. Dans tous les cas, vous pouvez probablement trouver une façon de satisfaire votre besoin réel sans dépenser autant. En y réfléchissant, une amie à moi a découvert qu’aller s’acheter un café était une chose qui lui tenait à cœur parce que, elle-même commerçante, elle aime beaucoup contribuer aux commerces locaux. Elle a déterminé qu’inviter des amis à la rencontrer pour prendre le thé pourrait accroître le volume d’achats (la commande collective) tout en réduisant ses propres dépenses.
Livrez-vous à cet exercice dans quelques secteurs de vos dépenses, et vous pourrez avoir dès aujourd’hui une vie bien remplie, tout en gonflant votre épargne future.
Changez de stratégie, mais répondez au besoin
Mon exemple préféré pour illustrer cette technique fait suite à une causerie que j’ai donnée sur ce sujet auprès d’un auditoire plein de conseillers financiers. Après avoir expliqué la méthode, je leur ai demandé de se séparer en binômes, de choisir un seul chapitre de dépenses problématiques et de faire de leur mieux pour: 1) identifier les besoins auxquels répond leur stratégie actuelle (auxquels elle s’efforce de répondre), et 2) trouver une nouvelle stratégie qui répondra à ces besoins et leur permettra d’économiser de l’argent.
Après plusieurs minutes de délibération, un conseiller nous a fait part de ses réflexions. Il a dit au groupe que sa femme et lui se querellaient souvent sur la quantité d’argent qu’il dépensait pour son bateau chaque année. Elle préférerait économiser davantage (pour satisfaire son besoin de sécurité). Je lui ai demandé quels besoins le bateau satisfaisait pour lui ; rayonnant, il nous a parlé du vent dans ses cheveux et du soleil sur son visage. Il était clair que son bateau répondait à ses besoins d’épanouissement personnel. Ôter cette dépense de son budget porterait un coup à la satisfaction qu’il retire de la vie. Les besoins de sécurité et de sûreté de sa femme sont eux aussi valides et importants pour sa qualité de vie, d’où leurs querelles.
Comment satisfaire les besoins des deux en dépensant moins d’argent? La stratégie qu’il a adoptée a été de proposer des leçons de voile à certains adolescents de son club nautique. Cela amortirait le coût de son bateau et permettrait à sa femme d’ajouter le montant équivalent à l’épargne familiale. Non seulement il pourrait passer le même temps sur son bateau, mais il ressentirait un lien plus fort avec la communauté en partageant ses connaissances et sa passion de la voile avec une nouvelle génération d’enthousiastes. La nouvelle stratégie répondrait à plus de besoins que l’ancienne, tout en augmentant les économies du couple.
Vous saurez que vous avez trouvé la bonne stratégie quand vous éprouverez de l’enthousiasme à la mettre à l’œuvre. Si ce n’est pas le cas, continuez à vous triturer les méninges jusqu’à ce que vous trouviez un nouveau plan qui vous exalte.
Pour nous résumer
Budgéter en gardant les besoins et les désirs en vue peut nous conduire à nier d’importantes parties de l’expérience humaine. Si nous recadrons la tâche de façon à trouver des stratégies répondant à tous nos besoins fondamentaux, et que cela se fait dans les limites de notre revenu, la gestion financière devient un exercice de résolution de problème conduisant à un profond épanouissement, aujourd’hui et sur le long terme.