(Photo: courtoisie)
PROFIL D’INVESTISSEUR. À 86 ans, Ron Meisels travaille autant que s’il en avait 50 de moins. Après quatre décennies d’une carrière spécialisée dans l’analyse technique, le président et fondateur de Phases & Cycles confie toutefois qu’il ne serait pas trop embêté de prendre sa retraite… à une seule condition. Retour sur une carrière qui sort de l’ordinaire.
Sur les murs de son bureau, Ron Meisels a fixé deux affiches en anglais qui encapsulent en quelques mots la philosophie de la firme de recherche en investissement qu’il a fondée en 1990, Phases & Cycles.
La première résume le pourquoi de son entreprise : « Notre objectif est de contribuer à votre réussite en vous apportant des idées gagnantes. » La seconde, plus piquante, répond plutôt au comment : « L’analyse fondamentale vous dira où le titre devrait aller… mais l’analyse technique vous dira où le titre ira vraiment. »
C’est ça sa spécialité: l’analyse technique.
« J’ai installé cette affiche pour me rappeler d’accorder davantage d’attention à cette approche », dit Ron Meisels. Pas que l’analyse fondamentale soit une méthode erronée, reconnaît-il. Mais selon lui, l’analyse technique est au moins aussi importante dans la prise de décision d’investissement.
Un amour pour sa profession
En quoi ces deux approches diffèrent-elles ? En bref, l’analyse fondamentale cherche à évaluer la valeur d’un titre et à prédire ses fluctuations en se basant sur les indicateurs financiers et les autres données économiques. L’analyse technique, à l’inverse, est une méthode graphique qui évalue plutôt les occasions d’investissement en focalisant sur les mouvements de prix ou de volume passés.
« Il y a trois types de graphiques qui sont beaucoup utilisés : les graphiques à barres [« bar charts »], les graphiques en chandelier [« candlestick charts »] et les graphiques chiffrés [« point & figure charts »]. Je me sers beaucoup de ce dernier type de graphique. »
Si l’analyse technique est considérée par plusieurs, notamment dans le milieu de la recherche universitaire, comme une approche ayant peu de validité empirique, Ron Meisels croit que cette perception est due à une mauvaise éducation en la matière.
« Certains disent que c’est du vaudou, des jeux de devinettes [« guessing games »]. Mais il y a beaucoup d’amateurs, de gens qui font des prédictions insensées croyant à tort savoir ce qu’ils font sans être pleinement instruits dans les arts de l’analyse technique, d’où la mauvaise réputation. »
Aux yeux de Ron Meisels, il ne fait donc aucun doute que la profession d’analyste technique est honorable. Comment l’a-t-il apprise? L’histoire commence en 1965.
L’instinct autodidacte
Au milieu des années 1960, après avoir étudié en commerce à l’Université Sir George Williams (aujourd’hui Concordia), Ron Meisels travaille comme vendeur pour Xerox. En dehors du travail, il investit son argent auprès d’un courtier qui lui envoie régulièrement des rapports.
« L’un d’eux avait un graphique à la dernière page, se souvient-il. Étant très visuel et naturellement enclin vers les mathématiques depuis ma jeunesse, ça m’a immédiatement captivé. »
Il se tourne vite vers les livres et se familiarise avec l’analyse technique, la méthode qui complémentait le mieux ses forces. « Disons que le fait que les actions que me recommandait mon courtier, qui se basait sur l’analyse fondamentale, aient toutes piqué du nez, ça n’a pas aidé non plus ! » avoue-t-il en riant.
Avant de mettre ses nouvelles compétences à l’épreuve avec son argent durement gagné, toutefois, Ron Meisels passe plusieurs semaines à faire des simulations.
« J’avais un calepin dans lequel j’écrivais mes prédictions : tel titre augmentera à tel prix à telle date; telle action chutera de tant d’ici tel jour. Et après, j’essayais de comprendre pourquoi j’avais eu raison ou tort. J’ai appris énormément. »
Il a ensuite commencé à mettre en jeu son argent, ce qui lui a aussi beaucoup enseigné sur la gestion des émotions : « Vous devez apprendre à combattre la peur et la cupidité qui s’installent à chaque transaction. »
Après un moment, il a réalisé qu’il voulait faire le saut dans l’industrie de la finance. Réalisant cependant qu’il n’avait pas d’expérience et que personne ne l’engagerait comme analyste technique, il a décidé de commencer comme courtier.
« En 1970, je me suis mis à cogner à des portes et une société dont j’oublie le nom m’a donné ma chance. J’ai commencé le 1er janvier 1971 et tranquillement, j’ai commencé à avoir mes propres clients et à les conseiller en me fiant à mes propres analyses. »
Un rêve devenu réalité
Quelque part en 1977, Ron Meisels s’est réveillé un matin avec un nom en tête : Phases & Cycles.
« J’ai trouvé que le nom était accrocheur, alors je suis tout de suite allé voir un avocat et je l’ai enregistré comme nom commercial », raconte-t-il. Un bon coup : c’est le nom qu’il a utilisé pour les rapports d’analyse qu’il a publiés plus tard, entre 1982 et 1990, quand il était vice-président et directeur de la recherche technique chez Nesbitt Thomson (aujourd’hui BMO Nesbitt Burns).
Avant de décider définitivement de publier ses rapports sous ce nom, Ron Meisels relate néanmoins avoir fait une proposition à ses collègues : si vous me trouvez un bon titre pour mon rapport, je vous paie le dîner.
« Je venais de commencer chez Nesbitt et je voulais me faire connaître auprès de mes collègues, se rappelle-t-il. Alors je leur ai fait ma proposition. Un gars est venu me voir et m’a dit : “J’ai trouvé. Le titre de ton rapport devrait être “My Buys and Meisels.” Je lui ai payé le dîner, mais j’ai gardé mon titre. »
En septembre 1990, quand il a décidé de lancer sa propre société d’analyse technique, le choix du nom s’est révélé tout naturel : Phases & Cycles. Certains des clients qui étaient avec lui chez Nesbitt Thomson ont décidé de le suivre, et l’entreprise a pris de l’ampleur depuis.
Aujourd’hui, la société de quatre personnes fournit des analyses à plus de 100 entreprises en Amérique du Nord et en Europe par des rapports et des services de consultation.
Fondateur cherche repreneur
À 86 ans, Ron Meisels commence à penser à la retraite. Le mot-clé à retenir est « commence », car au moment de l’entrevue, au début de l’été, il disait avoir tout juste pris son premier congé en un an et demi.
« Je viens normalement au bureau tous les jours, mais mardi dernier, je suis allé au restaurant avec ma femme, dit-il. Ça faisait longtemps qu’on n’avait rien fait. »
S’il n’a pas de plan de retraite dans l’immédiat, il dit malgré tout penser qu’il approche du moment où il laissera de côté le 9 à 5. « Ça ne m’embêterait pas trop », dit-il.
Ron Meisels admet même qu’il réfléchirait sérieusement si quelqu’un venait le voir et lui faisait une « belle offre » pour reprendre son entreprise. Mais à une seule condition, insiste-t-il.
« Je dois garder mon bureau et continuer de pouvoir venir ici pour gérer mon propre portefeuille. Je n’aurais plus de clients, mais je veux continuer de faire de l’analyse et négocier mes titres simplement pour le plaisir », raconte celui qui dit continuer d’être emballé par ce qu’il fait tous les jours.