Santé mentale: obtenir une assurance invalidité peut être pénible
Claudine Hébert|Édition de la mi‑mars 2021(Photo: 123RF)
Discuter de santé mentale est de moins en moins tabou dans notre société, particulièrement en ces temps de pandémie. Sauf peut-être si vous vous magasinez une assurance invalidité.
D’emblée, clarifions un point. Si vous avez consulté un professionnel de la santé mentale ou qu’un médecin vous a prescrit des antidépresseurs au cours des cinq dernières années, vos démarches en vue d’obtenir une assurance invalidité vont se compliquer. En fait, ne vous faites pas d’illusion. Elles risquent de se conclure par un refus de la part des compagnies d’assurance.
Johanne B. (nom fictif), âgée de 35 ans, peut en témoigner. Il y a deux ans, cette travailleuse autonome dans le domaine de l’écriture a contacté un courtier en assurance afin de se prévaloir d’une assurance invalidité. « Parce que je suis encore jeune et que je ne souffre d’aucune maladie chronique, mon père m’a fortement recommandé de me prémunir de ce type d’assurance », raconte-t-elle.
En raison de son statut, une seule entreprise a accepté de considérer sa demande, dit-elle. Après la visite d’une infirmière à la maison, un test d’urine, un long questionnaire au téléphone d’une quarantaine de minutes sur sa santé en général et une attente de trois mois pour recevoir une réponse, le verdict est tombé. Sans appel. Johanne B. a reçu une lettre lui indiquant qu’elle n’était pas du tout assurable.
« Je pense que ma demande a été refusée parce que j’ai mentionné lors du questionnaire avoir consulté un psychologue à plusieurs reprises. Pourtant, je n’ai reçu aucun diagnostic pour un trouble de santé mentale quelconque et je ne prends aucun médicament. J’ai simplement consulté parce que je traversais un moment difficile », confie cette travailleuse autonome. Depuis, elle n’a jamais refait d’autres demandes. « Le processus est trop humiliant », soutient-elle.
Les assureurs décident
Combien y a-t-il d’autres personnes dans la même situation que Johanne B. ? La statistique n’existe pas, mais certaines données laissent entrevoir qu’elles sont sans doute des milliers. Selon l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP), 2,7 millions de Québécois bénéficiaient d’une assurance invalidité en 2019. Ce qui représente un peu moins de 60 % de la population active de la province. « Sur ces personnes assurées, plus de 2,3 millions sont tout de même couvertes par une assurance collective », tient à signaler Lyne Duhaime, présidente de l’ACCAP-Québec. Parce que le risque est largement réparti, ce produit est offert aux employés d’organismes et d’entreprises sans que ces derniers soient soumis à un questionnaire sur leur santé en général, explique-t-elle. Leur prime, moins élevée, va varier avec les années selon l’expérience du régime. En revanche, l’assurance individuelle dont bénéficient actuellement 400 000 personnes — principalement des travailleurs autonomes —est assortie d’une prime à coût fixe déterminée au moment de la souscription. « Dans ce cas-ci, le risque est évalué individuellement, comme c’est le cas pour d’autres types d’assurance, comme l’assurance vie individuelle. Ce qui explique pourquoi les assureurs peuvent demander plus d’information », indique Lyne Duhaime.
Quels sont néanmoins les recours de Johanne B. et de ses pairs qui se butent à un refus de la part des assureurs ? « Hélas, il y en a peu », répond d’un ton pessimiste Sophie Mongeon, avocate spécialisée en droit des assurances. « Il faut comprendre, dit-elle, que les sociétés d’assurances sont, pour la plupart, des entreprises privées. C’est un domaine très discrétionnaire. Ces entreprises sont en droit d’accepter ou de refuser un client. » Autrement dit, ajoute-t-elle, si votre situation comporte un peu trop de risques aux yeux des compagnies d’assurance, elles ne seront pas intéressées par votre dossier. « C’est le paradoxe du monde des assurances », souligne la présidente du cabinet Desroches Mongeon avocats.
De l’avis de Caroline Bédard, présidente de Travailleurs autonomes Québec, on se dirige vers un choc des générations. « Les travailleurs des jeunes générations sont plus enclins à s’entourer de coach, de mentor et même de professionnels de la santé mentale. Ce n’est pas normal que ces jeunes, qui font preuve de transparence, éprouvent, en retour, des difficultés à s’assurer. »
En effet, un psychiatre, qui souhaite garder l’anonymat, soulève ce problème qui, selon lui, est présent depuis une bonne vingtaine d’années. « Il est vrai qu’il est plus difficile pour un patient d’obtenir une assurance invalidité une fois qu’il a consulté un professionnel de la santé. Ce qui est ironique dans tout ça, c’est que ces personnes ayant pris l’initiative de nous consulter parviennent, en général, à surmonter leurs problèmes et à éviter un arrêt de travail. »
Le psychiatre observe néanmoins une hausse de patients qui demandent des certificats de complaisance ou encore des congés de maladie qui se prolongent sans véritable intervention pour améliorer leur sort ou leur environnement de travail. « Ces facteurs, concède-t-il, contribuent à rendre les compagnies d’assurances plus frileuses quant aux troubles de santé mentale. »
Ne cachez pas la vérité
Vaut-il mieux taire vos rendez-vous chez le psy ? « Gare à celui ou à celle qui omet une information sur sa santé mentale et même physique, que ce soit de façon volontaire ou non », avertit Me Sophie Mongeon. Ce qui est d’ailleurs de plus en plus difficile, précise-t-elle, avec l’arrivée des dossiers médicaux électroniques. L’information peut désormais circuler d’une région à l’autre. « Si un assureur obtient la preuve que le client lui a caché des informations, il est dans son droit d’invoquer le consentement vicié et ainsi refuser de payer les réclamations », soutient-elle.
Sophie Mongeon cite en exemple le cas d’une de ses clientes qui a effectué une réclamation pour un arrêt de travail lié à des troubles psychologiques. « L’assureur a refusé de payer parce que ma cliente avait omis de mentionner, lors de sa demande, avoir déjà été soignée pour une lombalgie survenue plusieurs années auparavant. Même si les deux problèmes de santé n’avaient aucun lien, l’assureur a invoqué le consentement vicié », raconte l’avocate.
Gardez espoir
« Nous avons un rôle d’éducation à jouer à titre de professionnels de l’assurance », reconnaît Alexandre Roy, conseiller en sécurité financière, président du Groupe financier Fortin-Roy. Il est vrai, poursuit-il, que les compagnies d’assurance se montrent réticentes à l’égard des éléments concernant la santé mentale. « Des consultations chez le psychologue ou un autre professionnel de la santé ainsi que la divulgation de problèmes de dépression, d’épuisement professionnel ou de troubles anxieux, qu’ils soient récents ou non, suscitent davantage de questions de la part des assureurs », admet cet expert en assurance invalidité. « Chacune des compagnies, dit-il, va analyser les motivations de ces consultations à sa façon. Chacune va agir selon ses propres règles et ses données actuarielles. »
Si cette situation vous concerne, ne jetez pas l’éponge pour autant, recommande le conseiller. Il existe, sur le marché, dit-il, plus d’une cinquantaine de produits d’assurances invalidité dont les conditions, les limitations et les exclusions diffèrent l’une des autres. Certains de ces produits peuvent ainsi couvrir plusieurs autres affections, mais exclure les réclamations liées à la santé mentale. « Ce qui constitue tout de même une bonne protection invalidité en soi », affirme le courtier.Le refus des assureurs peut aussi être assorti d’une reconsidération future, fait valoir Alexandre Roy. « J’ai eu des clients pour lesquels un assureur a, a priori, refusé leur demande. En revanche, la compagnie suggérait à ces clients de réanalyser leur dossier un, deux, voire trois ans plus tard. Ce qui demeure une réponse encourageante », explique le courtier. En fait, tient-il à ajouter, « la clé, dans l’univers de l’assurance, c’est de faire affaire avec un professionnel qui sait comment orienter ses clients vers les bons produits ».
Une vis qui se resserre
Bien que le nombre de Québécois couverts par une assurance invalidité ait augmenté de 10 % au cours des 10 dernières années selon l’ACCAP, l’avocate Sophie Mongeon croit que « la vis va se resserrer davantage avec les années ». « Les grandes compagnies d’assurances publient, ces temps-ci, de longs et de beaux articles sur leur site Internet à propos de leurs produits en lien avec la santé mentale. À mes yeux, ce ne sont que des discours pour les sourds. »
Quoi qu’il en soit, depuis l’an 2000, le coût total des réclamations en assurance invalidité au Québec est passé de 800 millions de dollars à plus de 2 milliards (G$), soulève l’équipe de l’ACCAP. En 2019, 30 % des prestations d’invalidité étaient liés à des troubles de santé mentale. De plus, au cours de cette même année, les assureurs de personnes ont versé 2,9 G$ sous forme de remboursement de médicaments, dont une bonne partie était destinée aux traitements de troubles en santé mentale. Toujours selon l’ACCAP, le taux moyen annuel de demandes de prestations acceptées de 2015 à 2017 était de 95 % en assurance de courte durée et de 88 % en assurance de longue durée.
+++
Attention aux belles promesses !
Le conseiller en sécurité financière Alexandre Roy prévient les consommateurs de faire attention aux assurances invalidité rattachées à la signature des hypothèques résidentielles. « Ces produits d’assurance collective sont généralement moins blindés. En fait, elles comportent plusieurs exclusions, et bien souvent la santé mentale en fait partie », soutient-il. Sans compter que ces produits peuvent être accordés, sans vérification, à des personnes qui sont jugées inadmissibles.
Gilles, un courtier en assurances qui souhaite garder l’anonymat, soulève justement les faiblesses de ces polices d’assurance. Lui-même n’est plus admissible à aucune assurance vie ou invalidité depuis qu’il a été victime d’une crise cardiaque avant d’atteindre la cinquantaine. « Pourtant, lors de mon dernier renouvellement d’hypothèque, je me suis fait proposer ces deux types d’assurances pour quelques dizaines de dollars par mois sans que le courtier ne me pose de question. Je n’avais qu’à signer les documents. »
Que serait-il arrivé en cas de réclamation ? « L’institution financière aurait refusé de me payer. Elle aurait reconnu l’erreur du courtier et m’aurait remboursé les primes payées », raconte Gilles, qui connaît bien son industrie.
« Malheureusement, conclut le courtier, plusieurs personnes qui ne sont pas admissibles continuent de payer pour ce type de produit. Et parce que la majorité de ces clients ne feront aucune réclamation et qu’ils peuvent changer d’institution financière lors de leur renouvellement d’hypothèque, jamais ils ne reverront la couleur de cet argent versé dans le vide. »