Se protéger de l’inflation par les obligations à rendement réel
Sophie Stival|Édition de la mi‑juin 2021(Photo: Florian Klauer pour Unsplash)
CLASSE D’ACTIFS. Protéger ses placements contre une hausse du coût de la vie par des obligations à rendement réel, c’est possible. Avant de plonger, mieux vaut comprendre dans quoi on investit.
La lutte contre l’inflation est un combat de longue date. La Banque du Canada fait effectivement un bon boulot de ce côté depuis une vingtaine d’années. Elle a établi un objectif clair qui permet de maintenir l’inflation annuelle autour de 2 %, ce qui rassure les citoyens et les entreprises. La hausse des prix mesurée par l’Indice des prix à la consommation (IPC) demeure en moyenne assez stable, tout comme les coûts d’emprunt.
Pour l’investisseur qui a des placements à revenu fixe, même une inflation basse peut jouer de mauvais tours. Prenons les obligations du gouvernement du Canada (meilleur crédit au pays) avec une échéance de 10 ans et qui rapportent environ 1,50 %. Si l’inflation annuelle oscille autour de 2 %, l’épargnant ne couvre même pas la hausse du coût de la vie et se trouve donc à s’appauvrir pour la prochaine décennie. C’est là où les obligations à rendement réel (ORR) se démarquent. Le paiement d’intérêt, ou coupon, versé tous les semestres ainsi que le montant investi au départ sont indexés à l’IPC de Statistique Canada.
Ces titres de dette ont toutefois perdu en popularité dans les dernières années. « Les obligations à rendement réel constituaient auparavant une part plus importante des caisses de retraite, car elles étaient une catégorie privilégiée d’actif offrant une protection directe contre l’inflation. Dans les dernières années, les régimes de retraite ont commencé à investir davantage dans des actifs réels (immobilier, terres agricoles, infrastructures) afin de se protéger des effets de l’inflation. Nous pensons qu’à la suite de ce changement, ils ont pu désinvestir des obligations à rendement réel », observe Pierre-Philippe Ste-Marie, chef des placements revenu fixe d’Optimum Gestion de placements. Ce dernier croit que ces titres représentent une occasion intéressante pour les investisseurs.
Comprendre la mécanique
Le Canada lance ses premières obligations à rendement réel en 1991. Ces titres gouvernementaux (fédéral et provinciaux) sont généralement émis avec une échéance de 30 ans, ce qui est très long pour un particulier. Quant au marché secondaire, il est peu liquide et intéresse surtout les investisseurs à long terme, comme les caisses de retraite. Les montants en circulation représentent aujourd’hui un peu moins de 10 % de l’encours total des obligations émises pour financer la dette canadienne.
Prenons le cas d’une nouvelle obligation nominale de 30 ans émise à 100 dollars (au pair) et qui rapporte 2 % de rendement annuel. Si on choisit d’émettre également une ORR de même échéance, le coupon correspondra à 2 % moins les anticipations d’inflation du marché sur 30 ans. Si l’inflation prévue est de 1,7 % alors le versement d’intérêt, ou coupon, sera de 0,30 %.
« Le coupon semble très faible, mais la question à se poser est la suivante : est-ce le taux d’inflation attendu de 1,7 % ou plutôt la croissance réelle de 30 points de base qui n’est pas réaliste ? » s’interroge Pierre-Philippe Ste-Marie. Si on croit que l’inflation sur 30 ans sera supérieure à 1,7 %, cette obligation à rendement réelle pourrait être attrayante, surtout si les taux nominaux demeurent sous contrôle pendant une longue période. « Ce pourrait être le cas si nos gouvernements maintiennent les taux d’intérêt bas ces prochaines années afin de soutenir l’économie et si l’inflation augmente plus vite qu’anticipée », ajoute-t-il. Après toute la stimulation monétaire et fiscale injectée dans nos économies avec la pandémie, on ne peut éliminer un scénario de stagflation, selon lui. Cela se traduirait par un coût de la vie plus élevé conjugué à une croissance économique plus faible, remettant à l’ordre du jour des thèmes, comme la productivité et le vieillissement de la population.
« Personne n’a de boule de cristal et penser que notre scénario d’inflation future est plus réaliste que ce que le marché anticipe est hasardeux », remarque Dan Bortolotti, gestionnaire de portefeuille à PWL Capital, à Toronto, et auteur du blogue Canadian Couch Potato, consacré aux investisseurs indiciels. On sous-estime également la volatilité des obligations à rendement réel qui sont très sensibles à un mouvement des taux d’intérêt en raison de leur longue échéance (voir encadré). « Si les investisseurs s’attendent à une certaine volatilité de leurs rendements avec la portion en actions de leur portefeuille, ils la tolèrent beaucoup moins pour leurs titres à revenu fixe, souligne-t-il. La plupart considèrent cette portion de leurs actifs comme étant plus stable et à faible risque. Même une perte de 2 % ou 3 % peut causer de l’anxiété. Imaginez des pertes de plus de 10 % comme c’est parfois le cas pour les obligations à rendement réel. »
Par ailleurs, les obligations à rendement réel vont payer plus qu’une obligation nominale d’un terme équivalent seulement si l’inflation réalisée jusqu’à l’échéance est supérieure aux attentes. « Et si l’inflation diminue, il aura été plus avantageux de détenir des obligations gouvernementales ordinaires », rappelle Dan Bortolotti.
Est-ce pour moi ?
Un particulier dont le salaire n’est pas indexé à l’inflation, comme un travailleur autonome, pourrait souhaiter ajouter des ORR dans son portefeuille afin de protéger son pouvoir d’achat. « Par contre, si nos actifs immobiliers occupent déjà une part importante de notre patrimoine, comme pour plusieurs d’entre nous, cela pourrait suffire à nous protéger contre le risque d’inflation », nuance Pierre-Olivier Boulanger, directeur principal, gestion obligataire active d’Optimum Gestion de placements.
Par ailleurs, les investisseurs en phase d’accumulation et qui détiennent une portion importante d’actions dans leur portefeuille se retrouvent jusqu’à un certain point protégé contre l’inflation. En effet, si l’inflation augmente, les entreprises risquent à long terme d’augmenter le prix de leurs produits et potentiellement leurs bénéfices, ce qui se traduira par un prix de l’action plus élevé.
« Les obligations à rendement réel sont faiblement corrélées aux indices boursiers et elles vont également diversifier la partie à revenu fixe du portefeuille composé d’obligations nominales », souligne Guy Lalonde, conseiller en placement et gestionnaire de portefeuille à la Financière Banque Nationale. Les ORR représentent 7 % du 40 % à revenu fixe de son panier équilibré. Ce dernier préconise une approche indicielle et détient le FNB ZRR de BMO (RFG 0,28 %) et le FNB de iShares XRB (RFG 0,39 %).
« On devrait considérer les obligations à rendement réel au même titre que l’or. Si on veut en ajouter 5 % à notre portefeuille à des fins de diversification, on doit le faire dans une perspective de les détenir à long terme plutôt que de chercher à anticiper et à battre le marché », précise Dan Bortolotti. Un portefeuille bien diversifié suppose qu’il y aura toujours une catégorie d’actif qui performera moins bien que les autres. « L’investisseur veut une police d’assurance seulement quand le marché joue en sa faveur, mais la réalité est bien différente », ajoute-t-il.
Soulignons qu’il sera plus difficile pour un particulier d’acheter des obligations individuelles à rendement réel sans payer un écart élevé entre le cours acheteur et le cours vendeur. Le manque de liquidité de cette catégorie d’actif milite donc en faveur de l’achat de fonds communs obligataires ou des FNB où des gestionnaires vont investir cette catégorie d’actif à des moments opportuns pour minimiser ces frais et le manque de liquidité. Idéalement, on souhaite que notre portefeuille génère un rendement net après les frais et l’inflation positifs. Les ORR affichent présentement des rendements réels à l’échéance très bas. Il sera donc important de ne pas payer trop de frais.
Pourquoi alors ne pas se tourner du côté des obligations à rendement réel du gouvernement américain ? Les Treasury Inflation-Protected Securities, ou TIPS, sont d’ailleurs plus liquides et il en existe de plusieurs maturités. « L’inflation anticipée à long terme aux États-Unis par les TIPS est de 2,25 % présentement alors qu’au Canada, ce chiffre est de 1,7 %. Ce n’est donc pas très attrayant. De plus, un Canadien préférera se protéger contre l’inflation domestique », observe Pierre-Philippe Ste-Marie. Il faudra ensuite ajouter le taux de conversion en devises, ce qui n’est pas sans risque.
D’un point de vue fiscal, il sera enfin plus judicieux d’acheter nos ORR dans un compte non taxable, comme le REER, puisque l’ajustement de l’inflation au prix nominal sera considéré comme du revenu réalisé chaque année même si ces montants ne seront versés qu’à l’échéance du titre.
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Gare à la durée de vos obligations!
On accepte généralement l’idée de perdre 10 %, 15 %, voire 20 % en Bourse certaines années. C’est beaucoup moins vrai pour nos placements à revenu fixe, à moins de compter parmi ceux qui prennent un risque de crédit important en achetant des obligations de pacotille, par exemple. Or, un portefeuille contenant seulement des titres gouvernementaux (AAA, meilleur crédit au pays) peut être risqué si sa duration est très longue. La duration est la moyenne pondérée de la durée des différentes obligations détenues en portefeuille ou dans un fonds. Exprimée en années, elle est une mesure de sensibilité aux taux d’intérêt. Ainsi, le FNB BMO obligations à rendement réel (ZRR), dont la duration est de 16 ans, pourrait subir une perte équivalente de 16 % si les taux montaient subitement d’un point de pourcentage (1 %). De manière plus réaliste, si ce fonds subit une hausse d’un demi-point de pourcentage (0,50 %), il afficherait un rendement négatif de -8 % durant la période. Donc, plus un portefeuille a une duration élevée, plus grande sera sa sensibilité à des mouvements des taux d’intérêt et plus sa valeur sera volatile.
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