S’initier à la Bourse dès l’adolescence, un héritage payant
Claudine Hébert|Édition de la mi‑Décembre 2022L’important, avec cet exercice d’initiation, est que l’adolescent saisisse le plus rapidement possible combien ses connaissances liées à l’investissement et à la gestion de ses finances personnelles vont constituer un avantage pour le reste de sa vie. (Photo: 123RF)
Bien qu’ils ne puissent ouvrir un compte de courtage avant l’âge de 18 ans, les adolescents ont en main déjà deux atouts pour prospérer à la Bourse : l’accès à un déluge d’informations… et beaucoup de temps devant eux.
Parlez-en à n’importe quel expert financier. Jamais une jeune génération comme celle d’aujourd’hui n’a bénéficié d’autant de précieux outils pour s’initier aux placements boursiers. Aux services de courtage offerts par les principales institutions financières s’ajoutent les Wealthsimple, Questrade, Finder et bien d’autres plateformes qui abondent en conseils pour guider les placements.
« Les jeunes carburent aux médias sociaux. Ils sont branchés, allumés et surtout friands d’histoires à succès qu’ils peuvent suivre en ligne. Grâce à la technologie, ils bénéficient d’une vélocité d’informations sans limites dont leurs parents étaient loin de disposer à leur âge », fait remarquer Marie-Josée Turcotte, gestionnaire de portefeuille à BMO Nesbitt Burns.
« Mais le plus grand avantage qui sourit à cette génération, c’est le temps dont elle dispose pour faire fructifier ses investissements », affirme Marc-Olivier Desmarais, planificateur financier indépendant. Plus les enfants commencent à investir jeune, mieux se portera leur épargne à l’âge de la retraite, dit-il. Pour ce jeune trentenaire, initié par son père aux placements boursiers dès l’âge de 12 ans, la calculatrice à intérêts composés constitue l’un des meilleurs outils qui illustrent sans équivoque l’inestimable privilège du temps.
Selon le site bourse101.com, qui dispose d’une telle calculatrice, celui qui investit une centaine de dollars par mois dès son entrée au secondaire dans divers placements qui rapporteraient un rendement annuel moyen de 5 % détiendra un capital de plus de 312 000$ à l’âge de 65 ans. C’est près du triple du capital (113 500$) que détiendra celui ou celle qui commencera à investir ce même 100 $ par mois à l’âge de 30 ans.
Les règles de base de l’initiation
Naturellement, ces atouts ne suffisent pas. Encore faut-il que les adolescents soient intéressés par la matière. Marc-Olivier Desmarais avoue que son intérêt envers le monde boursier n’a pas été instantané. « Mais j’étais conscient que ce bagage transmis par mon père était important à ses yeux. Je l’écoutais. Au fil des ans, il m’a appris à développer le réflexe de l’investissement. C’est ainsi qu’au lieu de flamber les cadeaux en argent que je recevais, j’achetais des actions de banques, de sociétés d’énergie et de télécoms », raconte le planificateur financier.
Paul Bourget, qui a enseigné les finances personnelles au cégep de Rosemont pendant plus de 35 ans, reconnaît que l’initiation des adolescents à l’investissement n’est pas une mince tâche. « À cette époque de leur vie, la plupart des jeunes ont bien d’autres choses en tête que de faire fructifier leur argent. Ajoutez, en plus, le caractère dynamique et changeant du monde de l’investissement. Cela a de quoi en déstabiliser plus d’un. Pourtant, dans chacune de mes classes, il y a toujours eu au moins un étudiant sur trois qui se montrait très intéressé par ce sujet dès le début d’un cours. Un enthousiasme qui se propageait rapidement à la grande majorité de la classe. »
C’est ce qui a d’ailleurs motivé ce professeur à créer la plateforme Bourstad dans les années 1980. Présentée d’abord à ses étudiants à titre d’outil de simulation boursière, Bourstad est devenue un concours ouvert à tous les jeunes des écoles secondaires et des cégeps de la province. « Dotés de 200 000 $ fictifs, les participants sont invités à acheter et à vendre des actions, obligations, options et autres instruments financiers pendant neuf semaines. En février dernier, ce sont près de 2400 jeunes, dont plus de 60 % étaient du secondaire, qui ont pris part à l’édition 2022.
« Grâce à la collaboration de l’Autorité des marchés financiers, des bourses totalisant 35 000 $ ont même été remises à divers gagnants qui se sont illustrés dans une dizaine de catégories », signale celui qui continue de superviser Bourstad au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).
Toujours investi de sa mission pédagogique envers les jeunes investisseurs, le retraité de l’enseignement régulier depuis 2009 signe une infolettre publiée chaque semaine sur la page Facebook de Bourstad. « Ce sont des articles portant sur un élément financier ayant marqué la semaine. Il peut s’agir d’un survol des différentes devises, des fluctuations des cryptomonnaies, un retour sur le comportement des marchés, des suggestions d’investissement responsable… Ce sont des articles qui aident à la compréhension des signaux du marché, la clé pour réussir ses investissements, au-delà du spectaculaire et de l’illusion qu’on peut s’enrichir rapidement », soutient Paul Bourget.
Marie-Josée Turcotte ajoute que les exemples concrets font, eux aussi, partie de l’exercice d’initiation. « À mes yeux, le point de départ consiste à faire prendre conscience aux jeunes les principales entreprises qui font partie de leur quotidien, comme Apple (AAPL, 150,94 $ US), Netflix (NFLX, 290,97 $ US), Dollarama (DOL, 80,29 $) ou Canadian Tire (CTC.A, 148,27 $). Pour apprendre à investir, il faut d’abord comprendre à quel point notre consommation de produits agit sur le comportement de ces entreprises sur les marchés », estime la gestionnaire de portefeuille.
Évidemment, dit-elle, il faut inculquer à ces nouveaux investisseurs que ce sont des placements comportant des risques calculés. « Ce n’est pas une loterie ni un casino. Bien qu’il n’y ait jamais eu de périodes prolongées négatives au sein des marchés, chaque investisseur doit faire ses devoirs pour éviter les mauvais coups », ajoute-t-elle.
Le soutien des parents
Puisque l’adolescent ne peut ouvrir de compte de courtage avant d’atteindre sa majorité, papa ou maman doit le faire à sa place, poursuit la gestionnaire de portefeuille. « Et ce sont les parents qui doivent approuver et acheter les titres qui seront détenus dans le compte », précise-t-elle.
Sur le plan fiscal, les premiers 14 398 $ de revenus annuels ne sont pas imposables. « Donc, un enfant sans autre revenu que ceux de ses placements (intérêts, dividendes et gains en capitaux) ne paierait aucun impôt si ces derniers ne dépassent pas 14 398$ », indique le comptable professionnel agréé Martin Forest, associé au cabinet BCGO.
Pourvu que les parents puissent démontrer que les cotisations faites au compte proviennent réellement de l’enfant, le fruit des investissements est considéré comme étant le revenu de ce dernier, explique le professionnel. Si ce n’est pas le cas, les lois fiscales stipulent que le parent devra ajouter lesdits gains, intérêts et dividendes sur sa propre déclaration d’impôt et en payer les cotisations qui en découlent.
« À sa majorité, l’enfant pourra transférer ses actifs dans un compte de courtage sous forme de REER ou de CELI en fonction des cotisations disponibles, et poursuivre ses investissements en mode autonome », suggère-t-il.
Martin Forest souligne que les parents peuvent également utiliser la formule du Régime enregistré d’épargnes-études (REEE) pour initier l’enfant à l’investissement boursier, car ils peuvent y cotiser. « Cette option est d’autant plus alléchante étant donné que les deux ordres de gouvernement ajouteront un montant cumulatif atteignant 30 % des premiers 2500 $ de cotisation versée annuellement jusqu’à l’année du 17e anniversaire de l’enfant. Le total des cotisations ne devra cependant pas dépasser 50 000 $. Le REEE peut être utilisé pour payer les études postsecondaires de l’enfant et c’est ce dernier qui doit assumer l’imposition fiscale des revenus de subventions et de placements à la sortie des fonds », explique le comptable agréé.
Un héritage pour la vie
L’important, avec cet exercice d’initiation, est que l’adolescent saisisse le plus rapidement possible combien ses connaissances liées à l’investissement et à la gestion de ses finances personnelles vont constituer un avantage pour le reste de sa vie, insiste Paul Bourget. « Certes, plusieurs d’entre eux vont sans doute préférer consulter un conseiller financier. Or, ce professionnel se révélera encore plus performant si le jeune investisseur comprend ce qui lui est suggéré comme placements. »