« Le contexte est favorable pour investir davantage au Québec et nous savons que nous pouvons percer des marchés où nous sommes moins présents », selon Robert Dumais, président et chef de la direction, Sun Life Québec. (Photo: courtoisie)
Après 10 ans d’efforts pour se (re)tailler une place comme assureur reconnu au Québec, la Sun Life croit que le temps est venu d’explorer de nouveaux marchés.
Sun Life Québec peut dire que son opération séduction dans la Belle Province a réussi. L’assureur est parvenu à grimper au deuxième rang en matière de parts en 2019, ravissant la place qu’occupait Desjardins depuis trois ans.
Les parts de marché de la Sun Life sont ainsi passées de 11,68 % en 2010 à 16 % en 2019, selon le plus récent « Rapport sur les institutions financières » de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Les investissements dans la reconnaissance de la marque de même qu’une vague d’embauche d’employés et de membres de la direction ont contribué à cette croissance, explique Robert Dumas, président et chef de la direction de Sun Life Québec. L’opération a commencé sous la direction d’Isabelle Hudon, en 2010, jusqu’en 2014 (moment où elle a décroché un rôle à la haute direction nationale de l’entreprise, pour ensuite devenir ambassadrice du Canada en France et, enfin, PDG de la Banque de développement du Canada). Son successeur, Robert Dumas, a continué à labourer le chemin tracé par sa prédécesseure.
En dix ans, l’assureur a triplé le nombre de ses directeurs au Québec, passant de 60 à 175, dont plusieurs ont, entre-temps, accédé à des responsabilités à l’échelle nationale. « C’était nécessaire en vertu de notre croissance, mais aussi en vertu de notre stratégie selon laquelle nous voulions avoir tous les experts assis ici, à Montréal, parce que c’est ce que le marché demande », précise l’actuaire de formation, qui qualifie le Québec comme étant une « pépinière de talents », particulièrement dans le domaine de l’actuariat. « On a d’excellentes écoles, spécialement en finance, qui créent des talents qui servent non seulement à la Sun Life au Québec, mais aussi pour le reste du Canada », ajoute-t-il.
Explorer de nouveaux marchés
Maintenant, la financière croit que le temps est venu d’explorer de nouveaux marchés. Trois secteurs sont dans sa ligne de mire : le secteur public et parapublic, les PME et les régions. « Le contexte est favorable pour investir davantage au Québec et nous savons que nous pouvons percer des marchés où nous sommes moins présents », croit Robert Dumas.
Déjà bien implantée dans le marché du secteur public et parapublic à l’échelle nationale avec des solutions de prestations déterminées, de garanties collectives et de gestion de la santé, la Sun Life a aussi pour ambition d’attaquer ce marché au Québec. « Nous sommes en mesure de servir ces organismes-là, nous avons l’expertise », souligne-t-il. Pour y arriver, la filiale québécoise dit avoir bâti « une structure autour des principes de l’approvisionnement public », en plus de suivre de plus près les appels d’offres.
Par ailleurs, tant pour le secteur du détail dans les régions québécoises que pour celui des PME, la Sun Life compte sur l’offre d’un service « holistique » pour augmenter ses parts de marché. Robert Dumas affirme que dans la province, la société est particulièrement reconnue pour ses produits d’assurance, mais qu’elle l’est moins pour la gestion de patrimoine, et ce, même si elle occupe une place « tout aussi importante » dans ce secteur qu’en assurance de personnes. « On voit qu’au Québec, les gens veulent avoir un service holistique. Ainsi, on ne parlera pas uniquement d’assurance ou de placements ; on va essayer de regrouper ces services-là », précise-t-il.
Le succès de cette stratégie dépend de la notoriété de la Sun Life, constate le président et chef de la direction. « Au Québec, les consommateurs achètent leurs produits financiers en fonction de leur connaissance de la marque, ce qui constitue une différence notable avec le reste du Canada. »
L’assureur soutient ainsi avoir intensifié ses efforts pour augmenter sa visibilité en région en menant diverses campagnes et en investissant dans des initiatives de toutes sortes. Notons par exemple la Clinique de prévention du diabète Sun Life, mise sur pied grâce à un don à la Fondation de l’Institut de cardiologie de Montréal, ou encore la revitalisation de la baie de Beauport dans la région de Québec. La Sun Life dit aussi s’être assurée que son réseau de conseillers couvre les régions visées et que sa stratégie s’adapte aux particularités de ces régions.
La santé mentale à l’honneur
Si la pandémie a bien mis une chose en lumière pour la Sun Life, c’est l’importance qu’occupe la santé mentale maintenant et à l’avenir. Robert Dumas dit « mettre l’accent » sur la prévention dans ce domaine dans ses discussions avec des dirigeants d’entreprises et avec des personnalités du monde politique. « Ce n’est pas quelque chose qui va durer seulement le temps de la pandémie ; le problème va s’échelonner sur plusieurs mois après. Même avant la pandémie, c’était un enjeu, et on veut être un joueur important dans ce débat-là. »
Par contre, il existe toujours une déconnexion entre le discours des assureurs sur le sujet et la réalité que vivent les consommateurs. À preuve, « Les Affaires Plus » rapportait dans le précédent numéro les témoignages de personnes qui se sont vu refuser une couverture en assurance invalidité en raison d’antécédents de trouble de santé mentale. Pourtant, Robert Dumas affirme que ces cas sont plutôt l’« exception ». Malgré tout, il dit vouloir améliorer les pratiques de l’assureur en ce sens, notamment en utilisant l’intelligence artificielle et la génétique pour « calibrer le niveau de sévérité [du trouble] ou les médicaments requis pour la guérison » afin de prendre une décision.
« C’est certain qu’avec cette émergence de sensibilisation à propos de la santé mentale, il va y avoir beaucoup plus de travail qui va se faire dans la tarification ou l’acceptation des risques qui reflétera les connaissances au fur et à mesure qu’on les améliore », dit M. Dumas. Il est impossible de connaître la proportion des demandes refusées pour la souscription d’une assurance invalidité en raison d’antécédents de troubles de santé mentale. Des données de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) révèlent cependant que le tiers des réclamations en invalidité est lié à la santé mentale au Québec.
L’une des explications fournies pour justifier le fort taux de refus des personnes ayant déjà souffert de troubles de santé mentale est le fait que les données montrent que leur taux de mortalité est plus élevé, un risque que certains assureurs ne veulent pas assumer. Pour sa part, la Sun Life dit continuer de chercher à améliorer la qualité des données qui sont utilisées afin de remédier à cette situation. « La manière dont on fait la tarification aujourd’hui est passablement différente des pratiques d’il y a 10 ou 15 ans justement parce qu’on a amélioré l’utilisation des données. Alors, le problème n’est pas l’utilisation systématique des données ; il s’agit de changer la façon dont on les utilise », renchérit Robert Dumas.
Les défis à venir
Parmi les défis sur le radar de Sun Life Québec, on trouve d’abord le dossier du traitement équitable des clients. Cette réforme, portée parallèlement par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ainsi que par le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA), vise notamment à réduire les conflits d’intérêts des professionnels en services financiers en encadrant les modes de rémunération des conseillers.
Un rapport du CCRRA publié en décembre dernier montre que les assureurs, malgré l’importance qu’ils accordent aux principes du traitement équitable des clients, tendent à avoir de la difficulté à les intégrer à leurs pratiques. « Ce n’est pas une préoccupation pour nous, c’est tout à fait correct, assure Robert Dumas. Mais c’est [un sujet] auquel on devra s’adapter. L’idée, ici, n’est pas d’aller à l’encontre [des efforts des régulateurs], mais plutôt de s’assurer que ces efforts sont implantables d’un point de vue opérationnel. »
L’assureur surveille également l’implantation des normes comptables IFRS 17 sur les contrats d’assurance, qui entreront en vigueur le 1er janvier 2023. « Ces nouvelles normes comptables vont créer un niveau de volatilité dans les résultats financiers. Même si ce n’est pas encore en place, c’est quelque chose que nous regardons aussi de près », conclut Robert Dumas.