Theratechnogies: s’exposer à un marché qui comprend les biotechs
Jean Gagnon|Édition de la mi‑octobre 2019Insatisfaits du traitement que leur réservent les investisseurs canadiens, les dirigeants de Theratechnogies...
Insatisfaits du traitement que leur réservent les investisseurs canadiens, les dirigeants de Theratechnogies (TH, 4,58 $) ont décidé de se rapprocher des investisseurs américains en inscrivant le titre à la cote du Nasdaq.
«Par l’inscription au Nasdaq, on veut s’exposer à un marché qui comprend mieux ce que l’on fait», explique Luc Tanguay, le PDG, qui nous accordait une entrevue alors qu’il attendait le départ de son vol pour New York afin d’assister à l’événement sur le parquet du Nasdaq, le 10 octobre dernier.
Il y a moins d’un an et demi, le cours de l’action de la biotech de Montréal touchait tout près de 15 $ après avoir reçu l’approbation de la Food and Drug Administration (FDA), l’équivalent américain de Santé Canada, pour la commercialisation de son médicament Trogarzo.
Il s’agit d’un nouveau traitement contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le premier de ce type approuvé par la FDA en 10 ans. Depuis ce moment, cependant, l’enthousiasme des investisseurs s’est fortement estompé et le titre a perdu les deux tiers de sa valeur.
«Le secteur des biotechs à la Bourse canadienne se limite à peu de joueurs, et les entreprises qui ne sont pas liées de près ou de loin au cannabis suscitent peu d’intérêt chez les investisseurs, ainsi que chez les analystes financiers, déplore M. Tanguay. De plus, les analystes qui suivent de près les activités de l’entreprise focalisent uniquement sur les résultats à court terme, soit le niveau des ventes et des bénéfices de trimestre en trimestre», ajoute-t-il
Les analystes, pour leur part, trouvent que les ventes du Trogarzo ne progressent pas assez rapidement. Endri Leno, de Financière Banque Nationale, rapporte que si les revenus provenant des ventes du Trogarzo ont atteint 6,9 millions de dollars américains, une hausse de 86,5 % comparativement au trimestre correspondant de l’année précédente, ils ont toutefois été inférieurs aux prévisions des analystes en général, dont la sienne, qui était de 8,3 M $ US. L’action de Theratechnologies a aussitôt chuté de 10 % après la publication des résultats du troisième trimestre, le 8 octobre dernier.
Des projets en cours
Le PDG souligne que la société a des avenues de croissance à long terme au-delà des attentes trimestrielles des analystes. Il rappelle qu’après les États-Unis, en 2018, la firme vient d’obtenir l’approbation pour commercialisation du Trogazo en Europe, le deuxième plus important marché pharmaceutique du monde.
«À cause de cet accent sur le court terme, on en oublie les projets qui auront des impacts à moyen terme, dont une nouvelle formulation pour le médicament Egrifta, qui sera lancée dans quelques semaines et qui devrait lui donner un second souffle», explique M. Tanguay. Theratechnologies avait racheté les droits d’Egrifta en 2014 pour en faire son tout premier produit commercialisé.
La nouvelle formulation réduira le volume d’injection, facilitera celle-ci grâce à l’utilisation d’une aiguille plus petite, et permettra de conserver le médicament à la température de la pièce plutôt que d’avoir à le conserver dans un endroit réfrigéré.
Et il ne faut pas non plus oublier les initiatives qui feront sentir leurs effets à plus long terme, ajoute M. Tanguay. «Nous avons dans notre pipeline des projets prometteurs, notamment le traitement du NASH (stéatohépatite non alcoolique) chez les personnes atteintes du VIH et de certains types de cancer», dit-il.
Une arme à double tranchant
L’inscription au Nasdaq permet à une société d’offrir ses actions à un nombre d’investisseurs beaucoup plus grand. Si l’intérêt des investisseurs est au rendez-vous, il s’agit certainement d’un avantage, explique Philippe Leblanc, gestionnaire de portefeuille chez Cote 100.
Sur ces places boursières, les investisseurs ont des jugements tranchés pour les titres du type de Theratechnologies, note toutefois le gestionnaire. «Les investisseurs aiment beaucoup ou pas du tout.»
L’idée que les investisseurs américains ont une meilleure compréhension des titres de biotechnologie a toutefois son mérite, croit M. Leblanc. «Au Canada, on est beaucoup moins portés vers ce secteur.»
L’inscription à la cote du Nasdaq peut parfois se révéler une arme à double tranchant, croit pour sa part Philippe Hynes, président de Tonus Capital. «Les investisseurs sur les places boursières américaines peuvent être sans pitié dans certaines circonstances, dit-il, ce qui peut augmenter de façon significative le niveau de risque pour un titre tel Theratechnologies.»
À la recherche d’entreprises pouvant garnir son portefeuille de titres de petites et moyennes capitalisations, M. Hynes constate qu’un certain nombre de dirigeants d’entreprise considèrent effectivement la possibilité d’inscrire leur titre à une Bourse américaine, croyant ainsi obtenir une meilleure visibilité.
Ce fut le cas récemment de Dirtt (DRT, 6,04 $), une société de Calgary spécialisée dans la fabrication et le design d’ameublement pour toutes sortes d’espace. Leurs procédés de conception étant hautement numérisés, les dirigeants de Dirtt se décrivent surtout comme une société de technologie. C’est pourquoi ils viennent d’inscrire leur titre à la cote du Nasdaq afin de s’adresser à un plus grand nombre d’investisseurs spécialistes en technologie, explique M. Hynes. «Comme pour Theratechnologies, l’avenir dira si le jeu en valait la chandelle.»