Les données du PIB révèlent qu’en dépit de la baisse généralisée de la demande, la construction résidentielle s’est accrue de 4 % en terme réel en 2020, les dépenses de rénovations ont progressé de 4,8 % et les frais de transactions immobilières de 4,1 %. (Photo: Michael Descharles pour Unsplash)
EXPERT INVITÉ. Avec une injection massive de liquidité dans l’économie, la crise financière de 2008-2009 aux États-Unis, s’est résorbée sans inflation et avec un retour progressif vers le plein emploi. Ces résultats ont pu inspirer les tenants d’une « nouvelle théorie monétaire », qui propose une approche inédite aux politiques monétaires et fiscales. Stephanie Kelton, de l’Université Stony Brook, est une des adpeptes de cette théorie.
Selon cette dernière — qui ne fait pas nécessairement consensus chez les économistes — un gouvernement qui possède le droit de seigneuriage, c’est-à-dire d’émettre de la monnaie et qui emprunte dans sa propre devise ne peut pas faire défaut sur sa dette puisqu’il peut toujours imprimer de la monnaie pour payer ses créditeurs.
La création monétaire peut être utilisée pour financer les dépenses du gouvernement. La contrainte du gouvernement n’est pas liée à l’état du marché obligataire, mais plutôt le taux d’utilisation de la capacité de produire de l’économie de façon à éviter des tensions inflationnistes.
Toutefois, selon cette théorie, l’utilisation de la politique monétaire pour stabiliser l’économie est problématique. Si on baisse les taux d’intérêt pour stimuler l’économie, ceci peut inciter les ménages et entreprises à emprunter à des niveaux risqués dans le secteur privé. Par exemple, plusieurs détenteurs d’hypothèque au Canada sont à risque, comme l’a démontré le fort ralentissement de l’économie lié à la pandémie, alors que les banques ont accepté le report des paiements hypothécaires.
Par ailleurs, si la banque centrale augmente les taux pour ralentir l’économie en période de tensions inflationnistes, l’impact de cette politique est trop général et contribue sans discriminer à augmenter le chômage dans l’économie.
On pourrait rappeler la Grande Récession de 1981-1982, où la Fed avait augmenté son taux directeur à des niveaux sans précédent pour éliminer l’inflation. L’opération avait effectivement jugulé l’inflation, mais à un coût très élevé pour les travailleurs et pour des entreprises incapables d’emprunter à des taux très élevés.
Pour éviter ce scénario, il faut laisser la politique budgétaire assurer la stabilisation de l’économie à des niveaux de bas taux de chômage et sans tensions inflationnistes.
C’est donc une forme de retour aux prescriptions keynésiennes avec une politique monétaire qui s’harmonise avec les politiques budgétaires. Les politiques budgétaires du gouvernent fédéral et l’action de la Banque du Canada pour affronter l’impact de la crise sanitaire empruntent certains éléments de cette théorie, mais sans pour autant y souscrire.
Impact dans les deux premières vagues
Au moment de l’intervention du gouvernement et de la Banque du Canada, l’injection de liquidité par des mesures comme la Prestation canadienne d’urgence (PCU) ne posait pas de problèmes significatifs. L’économie opérait sous son potentiel et était en mesure de répondre à la demande sans pression inflationniste. De plus, avec le confinement, les consommateurs ont beaucoup épargné au cours des deux premiers trimestres portant le taux d’épargne à 28 %, un record.
Il faut noter qu’en dépit de la chute de l’activité économique, les programmes de soutien des revenus des ménages ont amené un accroissement de 8 % du revenu disponible en 2020. Cette hausse inattendue a contribué à l’augmentation exceptionnelle de l’épargne.
La baisse marquée de la consommation et d’autres dépenses a fait chuter le produit intérieur brut (PIB) de 1,9 % au premier trimestre et de 11,1 % au second, de sorte que le taux d’inflation est devenu négatif à environ (0,5 %) au second trimestre.
Avec un premier déconfinement à l’été 2020, la consommation a progressé de 13,1 % au troisième trimestre et a légèrement fléchi au dernier trimestre de sorte que la consommation sur une base annuelle aura baissé de 6,1 % en 2020 et a contribué à la baisse de 5,4 % du PIB en terme réel, du jamais vu depuis que ces données existent.
Pour suivre le taux d’inflation, la Banque du Canada fait une distinction entre l’inflation fondamentale et l’inflation définie par l’indice des prix à la consommation (IPC). L’inflation fondamentale mesure l’évolution des prix en excluant les prix les plus volatiles comme ceux de l’énergie et de l’alimentation. L’inflation fondamentale s’est maintenue entre 0,5 % et 2 % au cours de l’année 2020. Les dépenses considérables des gouvernements et la création de monnaie de la Banque du Canada ont amorti la chute du PIB, mais n’ont pas alimenté l’inflation en 2020.
Toutefois, les bas taux d’intérêt ont eu des effets à caractère spéculatif. Ce maintien d’un très bas taux d’intérêt et l’injection de liquidité dans l’économie canadienne ont favorisé la croissance boursière et ont stimulé les transactions immobilières au Canada qui ont amené une hausse marquée du prix du stock des maisons existantes ainsi que des nouvelles constructions.
D’ailleurs, les données du PIB révèlent qu’en dépit de la baisse généralisée de la demande, la construction résidentielle s’est accrue de 4 % en terme réel en 2020, les dépenses de rénovations ont progressé de 4,8 % et les frais de transactions immobilières de 4,1 %. Ces dépenses selon l’estimation de Statistique Canada se sont accompagnées d’une augmentation importante de l’endettement des ménages. L’effet des bas taux hypothécaires a donc créé une forme d’inflation dans le secteur résidentiel.
Enfin, au moment du grand confinement, un vent de panique a amené le TSX à un creux en mars 2020; puis les investisseurs ont repris confiance et faute de rendement avec des taux d’intérêt au plus bas, ont investi à la bourse pour amener le TSX à plus de 17 500 points en décembre 2020. Il y a un élément spéculatif dans ce courant puisque l’évaluation boursière pour certaines entreprises serait décrochée de la réalité économique.