La chute du prix du pétrole: un impact minime sur le Québec
François Normand|Édition de la mi‑juin 2021(Photo: 123RF)
MANCHETTE. Les difficultés de l’industrie pétrolière albertaine ne risquent pas de faire perdre beaucoup en ce qui a trait aux paiements de péréquation au Québec, et ce, en raison de la réforme du système en 2009-2010 qui stabilise les variations dans les transferts aux provinces.
Voilà ce qui ressort de l’analyse de documents budgétaires, d’échanges avec de hauts fonctionnaires et d’entrevues réalisées avec des économistes.
La pandémie de COVID-19 a fait chuter le prix du pétrole. En avril 2020, le West Texas Intermediate est même tombé sous la barre des 15 $ US le baril. Au début de mai 2021, les cours étaient toutefois revenus à leur niveau prépandémie, à 63 $ US.
L’industrie albertaine est aussi confrontée à l’enclavement de ses marchés extérieurs. Pas moins de 98 % des exportations canadiennes de pétrole brut sont expédiées aux États-Unis, selon le ministère canadien des Ressources naturelles.
Or, en janvier, le nouveau président Joe Biden a annulé l’expansion du pipeline Keystone XL pour des raisons environnementales. Ce projet aurait transporté 800 000 barils supplémentaires par jour de bitume de l’Alberta vers des raffineries au Texas.
Cette capacité additionnelle représentait 17 % de la production totale de pétrole brut du Canada en 2019 (4,7 millions de barils/jours).
Comme 97 % des réserves prouvées de pétrole au pays proviennent des sables bitumineux, la croissance de l’industrie proviendra de la demande future en Asie, dans la mesure où Ottawa lui permettra de construire des pipelines, selon Tim McMillan, président et chef de la direction l’Association canadienne des producteurs pétroliers.
L’industrie pétrolière est importante pour l’Alberta (la plus riche des provinces), mais aussi pour le Canada, souligne Patrick Gonzalez, professeur agrégé au Département d’économique à l’Université Laval, spécialisé dans les ressources naturelles. « Le dynamisme de l’industrie albertaine peut affecter les perspectives de croissance économique du pays », dit-il.
C’est la raison pour laquelle le dynamisme de l’Alberta à long terme est important dans le calcul de la péréquation, ce système avec lequel Ottawa harmonise la qualité des services publics au pays, en transférant de l’argent aux provinces moins nanties.
Concrètement, ces paiements permettent aux provinces moins prospères de fournir des services publics à leurs résidents qui ressemblent « grosso modo » à ceux des autres provinces, et ce, à des taux d’imposition sensiblement comparables.
Comment la réforme de 2009-2010 a changé la donne
Avant 2009-2010, une chute des prix pétrole en Alberta aurait pu se traduire par une baisse importante des paiements de péréquation pour le Québec.
Jusqu’à cette époque, Ottawa calculait la péréquation en fonction des écarts de richesse au Canada. Aussi, les paiements pouvaient varier beaucoup d’une année à l’autre, voire en montagnes russes.
Or, cette grande volatilité a disparu depuis une dizaine d’années. Le fédéral calcule désormais les paiements de péréquation pour l’ensemble du programme en fonction de la croissance économique du pays, et ce, par blocs de trois ans. Par exemple, pour l’année 2021-2022, Ottawa a fait ses calculs en se basant sur l’évolution du PIB de 2019 à 2021 — incluant la pandémie de COVID-19.
Les paiements aux provinces sont donc plus stables, à la hausse comme à la baisse, ce qui limite les risques pour le Québec, insiste Patrick Gonzalez. « Les enjeux en Alberta ne m’empêcheraient pas de dormir. »
Le passé lui donne raison, selon les données du ministère des Finances à Ottawa.
La chute importante du prix du pétrole en 2014 (le West Texas Intermediate a perdu près de 45 % de sa valeur en 12 mois) n’a pas affecté négativement les paiements de péréquation du Québec (« voir graphique, à la fin du texte »).
À vrai dire, pour que le Québec pâtisse vraiment d’une baisse de la péréquation, il faudrait que l’Alberta s’enfonce dans un profond marasme économique sur une très longue période.
Techniquement, le fédéral établit les droits à la péréquation en mesurant la capacité des provinces à générer des revenus, c’est-à-dire à la capacité fiscale des gouvernements provinciaux. Ottawa s’appuie sur cinq sources de revenus pour calculer leur capacité fiscale : l’impôt des particuliers, l’impôt des sociétés, les taxes à la consommation (il n’y en a pas en Alberta), les redevances sur les ressources naturelles ainsi que l’impôt foncier.
Ainsi, chaque année, le fédéral calcule la moyenne de la capacité fiscale par habitant des dix provinces en lien avec ces cinq sources. En 2020-2021, cette capacité moyenne s’élevait à 9 616 $, selon les données du ministère des Finances à Québec.
Cinq provinces affichaient une capacité inférieure à cette moyenne, dont le Québec à 8 082 $. Ce sont donc ces cinq provinces qui ont été bénéficiaires de la péréquation. L’Alberta, pour sa part, avait la capacité fiscale la plus élevée, à 11 797 $.
En 2020-2021, le Québec a reçu la somme record de 13 253 millions de dollars en péréquation. Par contre, en 2021-2022, il en obtiendra un peu moins, soit 13 119 M$.
(Photo: 123RF)
Plus de péréquation?
La province pourrait d’ailleurs en recevoir de moins en moins dans un avenir prévisible, estime François Delorme, chargé de cours en économie à l’Université de Sherbrooke, qui a aussi été directeur de la Division des relations fédérales-provinciales au ministère fédéral des Finances (responsable du programme de péréquation), de 2001 à 2006.
Le raisonnement est simple. Les Québécois s’enrichissent de plus en plus, sans parler du fait que le Québec a une économie très diversifiée. « Lors de la récession de 2008-2009, le Québec s’en est d’ailleurs mieux tiré que l’ensemble du Canada », souligne-t-il.
De plus, si le prix du pétrole diminue dans les prochaines années en raison de la transition énergétique et que les investisseurs institutionnels continuent de désinvestir dans ce secteur, François Delorme est convaincu que le Québec pourrait « à un moment donné » ne plus recevoir un jour de péréquation.
« C’est inexorable par rapport à la capacité fiscale des provinces pétrolières », dit-il.