La complexité, un puissant outil de vente qui coûte cher
Yannick Clérouin|Édition de la mi‑octobre 2019EXPERT INVITÉ. La complexité sous toutes ses formes constitue un des pires ennemis de l'investisseur.
EXPERT INVITÉ. Une des plus grandes révélations que j’ai eues depuis que j’ai troqué mon chapeau de journaliste financier pour celui de conseiller, il y a 18 mois, est l’intarissable imagination de l’industrie financière lorsque vient le temps de vendre sa salade. Stratégies de placement incompréhensibles, diversification extrême des portefeuilles, opacité des frais… La complexité demeure omniprésente et coûte cher à bien des épargnants. À titre d’observateur du milieu financier depuis l’an 2000, il m’avait déjà été donné de constater à maintes reprises à quel point les stratégies complexes constituent un puissant argument de vente pour de nombreux intervenants du milieu du placement.
Me viennent notamment à l’esprit les fonds de couverture (hedge funds), qui ont connu une période de gloire en promettant de réaliser des rendements positifs, peu importent les conditions de marché. Je pense aussi au papier commercial adossé à des actifs non bancaires (PCAA), qui a provoqué une coûteuse crise chez plusieurs sociétés phares du Québec, ou à ces entreprises aux procédés soi-disant révolutionnaires (Technologies Orbite, ProMetic, Nemaska Lithium, etc.) ayant englouti des millions de dollars de leurs actionnaires.
Pensons aussi à tous ces néophytes du placement qui ont succombé, ces dernières années, aux promesses suscitées par le bitcoin et autres cryptodevises, sans même en maîtriser les rudiments.
La complexité m’apparaît aujourd’hui plus courante que je ne le pensais. L’évaluation de portefeuilles de clients potentiels déçus de la performance passée de leurs placements m’a permis de constater que certains professionnels misent sur des méthodes inutilement compliquées.
Un des cas les plus éloquents : un portefeuille constitué d’une quinzaine de fonds communs et de billets structurés liés aux marchés faisant appel à des stratégies en apparence sophistiquées, mais dont la complémentarité est indéterminable. Par exemple, un des fonds détenait une position à découvert envers la Bourse – misant ainsi sur une baisse des marchés -, alors que d’autres placements du portefeuille visaient plutôt à profiter d’une hausse du S&P 500 et du S&P/TSX.
Proposer des stratégies savantes promettant d’atténuer les soubresauts des marchés n’est-il pas la panacée ultime pour les investisseurs aveuglés par les fluctuations boursières à court terme ?
La promesse faite par le conseiller de mettre la volatilité K.O. grâce à des stratégies de placements alternatifs comme la vente d’options, se révélait illusoire, car il était impossible de connaître le résultat net de la combinaison de placements ayant des vocations parfois contradictoires (en cherchant à profiter à la fois de la hausse et de la baisse des marchés).
Les fonds qui reposent sur des stratégies de placements alternatifs sont souvent caractérisés par leur grande opacité. Bonne chance à celui qui veut connaître les placements dans lesquels il investit. Par exemple, le portefeuille mentionné précédemment détenait des participations dans deux fonds dont il était impossible d’identifier les titres, à moins de contacter un représentant de la firme.
Les coûts cachés de la complexité
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Parce que en plus de constituer un puissant argument de vente, la complexité permet souvent de facturer des frais plus élevés. Ceux qui font la promotion de ces produits soutiennent en effet que leur démarche demande un travail de recherche plus poussé, donc nécessairement plus coûteux que les stratégies de placement simples.
Les fonds aux stratégies complexes que j’ai analysés prélevaient des frais bien supérieurs à ceux de 2,1 % facturés en moyenne par les fonds communs canadiens. Certains exigent même une rémunération de 20 % du rendement excédentaire par rapport à un seuil fixé au préalable.
Résultat : les fonds analysés ont enregistré des rendements nettement inférieurs aux marchés sur un horizon de cinq ans.
Certains coûts liés aux stratégies de placement complexes sont par ailleurs difficiles à quantifier. Pourtant, ils peuvent pénaliser grandement l’investisseur.
C’est le cas des produits qui investissent dans des placements non liquides telles des sociétés à capital fermé. La vente de tels placements peut nécessiter plusieurs mois, voire plusieurs années, et se conclure à un prix désavantageux.
Un de nos clients est d’ailleurs incapable de se départir des parts d’un fonds privé achetées par son conseiller précédent, et ce, 13 ans après y avoir investi. Les gestionnaires du fonds en question doivent d’abord réussir à vendre des immeubles avant que les porteurs de parts du fonds puissent être remboursés, ce qui peut prendre encore plusieurs années. Les investisseurs finiront peut-être par récupérer leur placement initial, mais subiront un important manque à gagner. Ils auraient en effet pratiquement triplé leur argent simplement en investissant en Bourse au cours de cette période.
La complexité est une stratégie de vente abondamment utilisée dans les domaines qui reposent sur la valeur des conseils. Une stratégie de placement en apparence très savante détaillée sur des dizaines de pages donne en effet l’impression d’en donner plus pour son argent qu’une démarche qui se résume en quelques phrases.
Pourtant, les plus grands investisseurs de l’histoire tels Peter Lynch et Warren Buffett sont à l’antithèse des recettes complexes. Leur succès repose sur le suivi d’une démarche simple, mais exécutée de façon systématique.
La prochaine fois qu’on vous proposera une stratégie de placement «révolutionnaire», mais que vous ne parvenez pas à comprendre, passez votre tour. La complexité sous toutes ses formes constitue un des pires ennemis de l’investisseur.