La thèse optimiste sur Apple: mon cadeau à Daniel Germain
Stéphane Rolland|Édition de la mi‑octobre 2019ANALYSE. Je me suis amusé à lui faire suivre de mauvaises nouvelles sur l'entreprise. M. Germain a eu le dernier rire.
ANALYSE. J’ai rencontré plusieurs journalistes talentueux dans ma carrière. Parmi ces confrères, Daniel Germain était probablement celui qui arrivait le mieux à marier style et vulgarisation. Expert en finances personnelles, il pouvait écrire sur les régimes d’épargne enregistrés en rendant le propos intéressant, utile et «jazzé».
Il a quitté Les Affaires récemment. Par ce départ, je perds l’occasion de lire une belle plume dans mon journal, mais surtout un voisin de bureau que j’appréciais énormément.
Monsieur Germain (on avait pris l’habitude de se vouvoyer dans notre îlot) a d’abord été mon patron. J’avoue l’avoir craint, car il avait la réputation d’être exigeant et porté sur les mots religieux. La crainte était mal placée, car il s’est avéré que j’allais grandement profiter de son mentorat. Je garde encore en tête les conseils qu’il m’a donnés pour peaufiner mon écriture.
Puis, au fil des changements des années et des tâches, nous sommes devenus collègues et voisins de bureau. Avec François Pouliot (ancien chroniqueur dans le cahier Investir et également ex-patron), nous avons formé un trio improbable avec nos personnalités en apparence dépareillées. Je suis maintenant le seul mousquetaire encore au combat et mes camarades me manqueront.
C’était vraiment un plaisir de côtoyer M. Germain au quotidien. C’est une personne qui entend à rire et notre humour est compatible. Quand on couvre la Bourse et les finances personnelles, on finit par faire des blagues sur l’argent et la Bourse. M. Germain a été la victime de mes blagues répétitives sur Apple (AAPL, 220,82 $ US). Il en est actionnaire et je me suis amusé à lui faire suivre, de temps en temps, de mauvaises nouvelles sur l’entreprise. Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie, mais j’avais l’embarras du choix quand je m’y mettais. Apple est loin d’être un «chien», comme on dit à Wall Street, mais on peut trouver des nouvelles au goût de toutes les allégeances quand on cherche sur l’entreprise la plus suivie du monde. Même si j’étais l’initiateur des plaisanteries, M. Germain a eu le dernier rire. La valeur du titre doit avoir au moins doublé depuis que dure ce manège, grand bien lui en fasse.
Je lui dédie donc cette chronique où nous présenterons les principaux éléments de la thèse optimiste sur Apple.
Évidemment, la thèse optimiste n’est qu’un côté de la médaille. Des 43 analystes qui suivent le titre, 23 émettent une recommandation d’achat, selon Reuters. Autrement dit, les avis se partagent presque également entre les prudents et les optimistes.
Avant de poursuivre, le lecteur averti doit se rappeler qu’il y a des risques qui font un contrepoids aux commentaires optimistes que nous allons présenter. Ça vaut aussi pour vous, M. Germain. On note, entre autres, le risque de se faire supplanter par la concurrence, l’absence d’innovation marquante dans les derniers modèles de iPhones, le fait que les utilisateurs gardent leur téléphone plus longtemps, la possibilité que les bénéfices attendus des services soient moindres qu’espérés, sans compter les défis liés à la Chine (guerre commerciale, ralentissement économique, etc.).
Malgré tout, savoir ce qui se dit dans le camp optimiste peut vous apporter des informations pertinentes. C’est d’autant plus intéressant qu’à 16,9 fois les bénéfices des 12 prochains mois et avec une encaisse de plus de 100 milliards de dollars américains, on a des protections pour atténuer les déceptions. En comparaison, vous avez lu en manchette d’Investir qu’Amazon est à 60 fois les bénéfices futurs.
Chine et iPhone 11
Commençons par les inquiétudes sur la Chine, qui agacent le marché. Daniel Ives, de Wedbush, pense qu’il faut regarder au-delà des manchettes et se concentrer sur les fondamentaux. Les réactions des consommateurs aux modèles de la série iPhone 11 sont meilleures que prévu. La proposition d’Apple : un prix plus bas et une triple caméra, ce qui plaît aux consommateurs chinois, dans ce pays où entre 60 et 70 millions d’appareils en circulation se retrouvent «dans la fenêtre de remplacement».
L’analyste anticipe que l’entreprise californienne réussira à vendre entre 78 et 80 millions de ces appareils sur le marché chinois. «Même si Apple est devenue le porte-étendard de la société susceptible de souffrir d’une guerre commerciale dans les médias, la demande chinoise pour les iPhones 11 est très forte, faisant mentir les sceptiques», résume-t-il.
Partout dans le monde, M. Ives anticipe qu’Apple vendra 185 millions d’appareils au cours de l’exercice 2020 (qui termine en septembre de la même année). «C’est une bonne nouvelle tandis qu’Apple veut monétiser ses clients en développant ses services.»
Au moment de mettre sous presse, l’agence de nouvelles de Nikkei, au Japon, rapporte qu’Apple a accéléré la production afin de produire entre 7 et 8 millions de téléphones de plus que prévu, compte tenu de la forte demande.
La direction pourrait en dévoiler davantage le 30 octobre prochain tandis que la société doit publier ses résultats du quatrième trimestre 2019 (terminé à la fin septembre). Jim Juva, de Citi, croit que les attentes du consensus des analystes sont basses, ce qui place la table pour les bonnes surprises. Au-delà du trimestre, il pense que les lancements d’Arcade (jeux vidéo) et d’Apple TV+ augurent bien pour l’entreprise.
5G
Kyle McNealy, de Jefferies, voit plus loin que le iPhone 11. Le modèle 5G du iPhone doit arriver sur le marché l’année prochaine et l’analyste pense que les investisseurs sont trop prudents lorsqu’ils estiment le cycle de remplacement qu’il pourrait provoquer. Il juge que la technologie avancée et les composantes qui s’y trouveront en feront un téléphone de luxe attrayant.
M. McNealy note que le consensus anticipe la vente de 190 millions d’appareils en 2021, 9 % moins que la moyenne des six dernières années. C’est trop pessimiste, selon lui, quand on tient compte du fait que plusieurs modèles sont à l’âge d’un potentiel remplacement. Il anticipe une «intense» promotion autour du 5G. Alors que les innovations ont somme toute été modestes depuis le iPhone 6, le modèle 5G devrait offrir une distinction plus marquée par rapport à ses prédécesseurs. Apple est également plus présente à l’international que la moyenne des six dernières années. Finalement, l’étendue d’une offre «moyen de gamme» est également un catalyseur.
L’analyste de Jefferies ne partage pas les craintes de ceux qui croient que la concurrence est en train de dérober des clients. «On ne voit pas la fidélité des utilisateurs d’Apple faiblir tandis que sa plateforme iOS a un fort pourvoir de rétention.»
Michael Olson, de Piper Jaffray, ajoute qu’Apple nage dans les liquidités. La société avait 102 G $ US en liquidités à la fin juin. La société veut réduire notablement son encaisse massive en rachetant des actions. En réduisant le nombre d’actions en circulation, le bénéfice par action devient plus élevé, car il est calculé sur un nombre moins grand de titres, toute chose étant égale par ailleurs. «Apple devra racheter considérablement plus d’actions pour atteindre ses objectifs que ce qui est prévu dans nos modèles, commente M. Olson. Ça pourrait faire en sorte que nos prévisions soient vraiment trop prudentes.»
Pour sa part, Amit Daryanani, d’Evercore, pense que les investisseurs sous-estiment le potentiel des services, «qui vont bien au-delà du AppStore». L’analyste est optimiste quant au potentiel des services de paiements, notamment Apple Pay et la carte de crédit Apple.
Pour le moment, les utilisateurs d’Apple Pay ne l’utilisent que pour 5 % de leurs transactions, mais 40 % des utilisateurs de iPhone ont l’application, ce qui laisse de la place pour un usage accru quand plus de détaillants offriront cette option de paiement.
La possibilité d’utiliser Apple Pay dans les transports en commun est l’un des catalyseurs, selon l’analyste. Le nombre de transactions faites sur Apple Pay a augmenté de façon notable après qu’il a été possible de l’utiliser dans les systèmes de transport à Tokyo, Beijing, Shanghai, Londres et Moscou. L’adoption de la technologie est en retard aux États-Unis, mais l’adoption d’Apple Pay par les sociétés de transport de New York, Portland et Chicago, dans les derniers mois, est de bon augure, selon lui.
Le secteur de la santé enthousiasme Katy Huberty, de Morgan Stanley. Mme Huberty croit que les progrès s’accélèrent quant à l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les applications de santé destinées aux consommateurs. Elle croit qu’Apple sera l’une des gagnantes de cette tendance et que plusieurs développeurs prioriseront son écosystème.
Voici les arguments à mettre dans votre réponse, M. Germain, quand je vous enverrai une prochaine nouvelle négative sur Apple. Il y en aura d’autres, croyez-moi !