Le bénéfice ajusté est destiné aux initiés… et plus si affinité
Simon Lord|Édition de la mi‑juin 2020INDICATEUR CLAIR. Le bénéfice est une mesure fondamentale qui permet de juger de la rentabilité d'une entreprise.
INDICATEUR CLAIR. Le bénéfice est une mesure fondamentale qui permet de juger de la rentabilité d’une entreprise. Il existe différents types de bénéfices : brut, net, etc. Ces types ne sont pas tous de la même utilité. Le bénéfice ajusté, en particulier, relève parfois moins d’un strict exercice comptable que d’un exercice de relation public. Devriez-vous en tenir compte ?
Pour bien comprendre le bénéfice ajusté, il importe d’abord de le définir précisément. C’est là son premier problème. Contrairement à d’autres mesures financières, comme le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA), le bénéfice ajusté n’est pas un terme normalisé. Autrement dit, chaque société peut adopter la méthodologie qu’elle désire pour le calculer. Les principes comptables généralement reconnus (PCGR), de même que les normes internationales d’informations financières (IFRS), ne dictent pas comment le calculer.
«Le bénéfice ajusté n’a pas de signification uniforme. C’est un peu le «Far West». Il y a toutes sortes d’ajustements qui peuvent être faits», explique Mathieu Gauvin, un spécialiste des fusions- acquisitions et de l’évaluation d’entreprises qui a notamment été vice-président principal des placements privés à la Caisse de dépôt.
De façon générale, le mot «ajusté» fait référence à des revenus ou à des charges qui seront exclus du calcul du bénéfice. La raison souvent invoquée pour justifier cet ajustement est que la dépense ou le revenu exclu est non récurrent.
Mathieu Gauvin donne un exemple. Admettons qu’une entreprise soit la cible d’une poursuite et doive payer un million de dollars en dédommagements et en frais d’avocats. Si l’entreprise ne s’attend pas à devoir payer ce genre de frais juridiques à l’avenir, elle pourrait vouloir les exclure du calcul du bénéfice. Elle mettra donc de l’avant le bénéfice ajusté, qui n’en tient pas compte.
Les coûts liés à des acquisitions d’entreprise ou à une restructuration sont d’autres exemples d’éléments qui pourraient être exclus, tout comme la perte de change liée à la dette ou un amortissement accéléré.
Polir son image
Bien souvent, les entreprises mettent de l’avant le bénéfice ajusté parce que celui-ci leur est favorable, croit Mathieu Gauvin. «Dans la grande majorité des cas, les ajustements sont positifs et visent à essayer de montrer l’entreprise sous son meilleur jour. Il faut toujours faire attention à ce qui entre dans ce calcul.»
Concrètement, le bénéfice ajusté est ainsi souvent plus élevé que le bénéfice. Toutefois, à l’occasion, les ajustements vont dans le sens inverse, quoique ces ajustements visent encore à avantager l’entreprise. «Les investisseurs n’aiment pas la volatilité», explique Jean-Philippe Tarte, CFA, associé fondateur d’Investissement Vyne et maître d’enseignement au département de finance de HEC Montréal. «C’est vrai en général, et c’est vrai pour les bénéfices. Les entreprises ajustent donc parfois le bénéfice à la baisse, lors d’une année exceptionnellement bonne, pour que celui-ci ait l’air moins volatile d’une année à l’autre.»
Pas juste du négatif
Malgré ses défauts, le bénéfice ajusté n’a pas que du négatif. Pour un analyste aguerri, il peut même s’agir d’une mesure très pertinente : l’analyste informé peut essayer de voir s’il y a de bonnes justifications pour les ajustements, et donc avoir une meilleure idée de la santé financière de l’entreprise.
Pour l’investisseur sans formation comptable, cependant, s’attarder au bénéfice ajusté peut être une opération délicate, notamment parce que celui-ci ne peut être comparé d’une entreprise à l’autre, étant donné l’absence de normes pour encadrer son calcul.
«Pour l’investisseur non initié, c’est une source d’information moins fiable», admet Jean-Philippe Tarte. On peut y jeter un coup d’oeil malgré tout, mais seulement à condition de se retrousser les manches, conseille l’expert. Il faudra alors s’autoéduquer à l’égard des normes comptables, éplucher les états financiers, vérifier quels ajustements ont été faits, et étudier les raisons mises de l’avant pour déterminer si elles sont crédibles et justifiées.
Si l’entreprise a exclu les frais liés à une poursuite, par exemple, indiquant qu’il s’agissait d’une charge non récurrente, mais qu’elle a été la cible d’une poursuite similaire il y a deux ans, et il y a quatre ans, l’ajustement perd de sa validité. Cet exemple est simplet ; dans la réalité, la validité de l’ajustement est parfois plus difficile à déterminer. Il s’agit souvent d’une question de jugement.
«Il faut être conscient que le bénéfice ajusté peut être manipulé, dit Jean-Philippe Tarte. Et si nous faisons moins confiance à la direction de l’entreprise, qui est souvent la source du calcul, nous devrions plutôt aller directement aux bénéfices tels qu’ils sont définis par les IRFS ou les PCGR.»