Les dépenses sont énormes et le soutien financier offert aux familles est disparate et déficient.Auriez-vous les ...
Les dépenses sont énormes et le soutien financier offert aux familles est disparate et déficient.
Auriez-vous les reins financiers assez solides pour assumer la charge financière d’un enfant lourdement handicapé ?
Vous devrez d’abord penser à adapter votre domicile. Nathalie Richard, fondatrice de l’Étoile de Pacho, un organisme qui vient en aide aux parents d’enfants handicapés, affirme que c’est la dépense qui revient chez toutes les familles. Et elle est des plus chères.
Pour adapter le lieu de résidence d’un enfant dont la mobilité est réduite et qui se déplace en fauteuil roulant, la facture est salée. «Elle s’élève en moyenne à un montant qui se situe entre 25 000 et 35 000 dollars lorsqu’on adapte l’accès au bâtiment, la chambre à coucher de l’enfant et la salle de bain», observe l’ergothérapeute au CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Audrey Clavet. Votre maison possède plus de deux étages ? Vous devrez peut-être considérer l’option d’un ascenseur, dont la valeur frôle les 40 000 dollars.
Cette somme change selon le niveau d’autonomie, le type de handicap et la mobilité de l’enfant. Du moins, celle qui est prédite par les spécialistes. «Est-ce que l’enfant se fera éventuellement à manger ou sera-t-il toujours alité ?» demande celle qui pratique sa profession depuis maintenant 10 ans.
À cela s’ajoutent les nombreux traitements chez les médecins, physiothérapeutes, ergothérapeutes et spécialistes en tout genre. Certains traitements plus traditionnels sont offerts aux enfants lourdement handicapés dans les centres de réadaptation. Cependant, si un parent veut offrir à son enfant «une autre forme de thérapie parallèle qui a prouvé ses bienfaits, il doit payer de sa poche et aller au privé», rappelle Nathalie Richard.
Les sommes sont importantes : «On mentionne ici 9 200 dollars, puis 4 800, j’ai 10 000 ici, puis 3 000 dollars…», rapporte-t-elle en énumérant les résultats d’un sondage mené auprès des membres de l’Étoile de Pacho sur les dépenses annuelles de ces familles. Le handicap de l’enfant viendra évidemment jouer dans l’équation, à la fois au chapitre des dépenses et des services offerts par l’État. Les enfants qui ont pu être reconnus comme lourdement handicapés ont accès à bien plus de services que ceux qui sont autistes ou qui vivent avec une déficience mentale, dit Nathalie Richard.
Patricia Quinsler, la mère d’une fillette trisomique de cinq ans, ne le sait que trop bien. Sophie, qui ne parle toujours pas et qui porte encore des couches, n’a pas encore été reconnue comme une enfant lourdement handicapée par le gouvernement. Elle est donc sur une liste d’attente depuis 2014 pour avoir accès à des services d’orthophonie payés par l’État, ses parents ayant des moyens limités.
Les couches sont une autre dépense récurrente chez les enfants lourdement handicapés, selon Nathalie Richard. Elle estime que parmi les familles membres de l’Étoile de Pacho, 95 % déboursent un peu plus de 100 dollars mensuellement en couches et en serviettes humidifiées.
Ajoutez à cela des frais médicaux pas toujours couverts par les assurances, la nourriture et les diètes spécialisées essentielles, la presque obligation de posséder une automobile dans certains cas, le matériel adapté parfois acheté en double pour ne pas avoir à le déplacer de la maison à la garderie…
Les services de répit et de gardiennage spécialisé font aussi partie des dépenses supplémentaires dont il faut tenir compte, surtout pour les parents d’un enfant lourdement handicapé. Nathalie Richard, qui a droit à des subventions plus généreuses que la moyenne étant donné le handicap de son fils, doit tout de même débourser annuellement 24 000 dollars pour avoir une aide à domicile, ce qui lui permet de travailler. Ses collègues sont dans la même situation et dépensent entre 10 000 et 22 000 dollars annuellement pour qu’une infirmière s’occupe de leur progéniture.
En entrevue à l’émission L’Indice McSween, Diane Chênevert, qui a fondé le Centre Philou, une maison de répit pour enfants handicapés, estime que les parents d’un enfant handicapé doivent en moyenne dépenser 40 000 dollars de plus chaque année pour subvenir aux besoins de celui-ci. Un chiffre qui n’étonne pas Nathalie Richard bien qu’elle émette certaines réserves : «C’est très différent d’un enfant à l’autre, d’une famille à l’autre, selon les besoins. C’est difficile à chiffrer, on pourrait faire des moyennes, mais c’est réaliste.»
Alors que ces sommes s’accumulent, bien souvent, l’un des deux parents devra renoncer à travailler pour s’occuper à temps plein de l’enfant. C’est souvent la mère qui met de côté sa carrière pour remplir ce rôle. Le père, quant à lui, devient ainsi l’unique pourvoyeur, ce qui creuse des cratères dans les coffres de la famille.
C’est ce qu’ont vécu Patricia Quinsler et son conjoint Ednilson Kaspchak. Pour offrir à Sophie tous les soins dont elle avait besoin, ils ont épuisé leur CELI destiné à l’achat d’une maison. Ils n’ont d’ailleurs toujours pas réussi à économiser les sommes nécessaires, bien que Patricia ait conservé un emploi à temps partiel.
L’État (presque) au secours de ces familles
Il existe des mesures fiscales et des subventions pour aider les parents concernés à assumer ces dépenses supplémentaires. L’Office des personnes handicapées du Québec en recense 246 au provincial, qui ciblent les personnes vivant avec un ou plusieurs handicaps. Il les répertorie dans un document d’un peu plus de 250 pages, révisé annuellement. Au fédéral, on compte une trentaine de mesures et programmes selon un inventaire sommaire.
L’Étoile de Pacho a établi quelques subventions «de base» qui s’adressent aux parents d’enfants handicapés de moins de 18 ans. On compte parmi elles le «supplément pour enfant handicapé» de base du Québec, soit une somme mensuelle de 195 dollars remise aux parents, peu importe le handicap et le revenu familial.
On retrouve une mesure semblable au fédéral, soit la «prestation pour enfants handicapés». Pour y avoir accès, l’enfant doit être admissible au crédit d’impôt pour personnes handicapées. Le versement, qui peut atteindre plus de 230 dollars par mois, diminue dès que le revenu familial dépasse 65 975 dollars.
Lorsque l’enfant est reconnu comme lourdement handicapé, ses parents peuvent avoir droit au «supplément pour enfant qui nécessite des soins exceptionnels» de la part du gouvernement québécois, d’un montant de 978 dollars par mois. Très peu de familles y ont toutefois accès. Seulement 15 % des demandes ont été acceptées depuis que la mesure a été mise en place en 2016.
(Illustration: Dorian Danielsen)
Il est aussi possible de recevoir certaines subventions directement auprès du CLSC, selon le handicap de l’enfant. Les subventions pour les couches et pour faire adapter la maison en font partie. Le Programme d’adaptation de domicile de la Société d’habitation du Québec est une enveloppe d’une valeur moyenne de 16 000 dollars à laquelle les parents ont droit tous les cinq ans. «Il y a 10 ans, avec 16 000 dollars, on arrivait à faire pas mal tout. Maintenant, c’est impossible», observe l’ergothérapeute Audrey Clavet.
Des crédits d’impôt sont aussi offerts pour venir en aide aux parents dont le salaire est imposé, comme le crédit d’impôt pour personnes handicapées. Le supplément maximal pour une personne ayant moins de 18 ans est de 4 804 dollars selon les données de 2018. Il est souvent nécessaire d’y avoir accès avant de pouvoir bénéficier d’autres mesures fiscales.
C’est le cas notamment du Régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI). Ce régime d’épargne pour subvenir aux besoins à long terme d’une personne admissible à ce crédit d’impôt est, selon les spécialistes, l’aide gouvernementale la plus généreuse, mais la plus complexe. Il peut représenter jusqu’à 200 000 dollars.
«Le REEI, les allocations familiales pour personnes handicapées et les crédits d’impôt, ce sont des mesures qui vont donner entre 500 000 et 600 000 dollars tout au long de leur vie», estime Guillaume Parent, conseiller financier et fondateur de Finandicap, cabinet de services financiers qui se spécialise dans l’aide aux personnes handicapées.
C’est trop peu, et c’est bien loin des sommes qui sont remises aux familles d’accueil qui prennent à leur charge des enfants handicapés, selon Nathalie Richard. Une analyse économique parue en juillet 2018, réalisée par Raymond Chabot Grant Thornton en collaboration avec les organismes L’Étoile de Pacho et Parents jusqu’au bout, montre en effet que l’enveloppe reçue de l’État par ces familles était en moyenne de 70 % plus importante que celle destinée aux parents d’enfants handicapés.
Alors que les compensations financières gouvernementales pour une famille naturelle totalisaient en moyenne 25 632 dollars annuellement, celles accordées à une famille d’accueil s’élevaient plutôt à 44 264 dollars. En campagne électorale, François Legault avait promis de combler ce fossé entre les sommes allouées, en injectant 22 millions de dollars dans les programmes d’aide destinés aux parents d’enfants lourdement handicapés de moins de 18 ans. Plusieurs se sont indignés par l’absence de fonds destinés à remédier à la situation dans le premier budget caquiste. Des travaux seraient toutefois en cours pour implanter de nouvelles mesures dans les prochains mois, aux dires du gouvernement.
Les grands perdants dans cette histoire : les parents d’enfants qui ne sont pas reconnus comme lourdement handicapés. «Ce sont eux qui se retrouvent avec un trou plus important dans leur portefeuille. Ils ont droit à moins d’argent des gouvernements et à moins de services au CLSC, parce que leur enfant n’est « pas assez » handicapé», se désole Nathalie Richard.
Un recouvrement plus facile à dire qu’à faire
Nombreuses sont les spécificités de chacune de ces mesures, et tous les intervenants s’entendent pour dire que l’information est difficile d’accès. «Quand ça va bien, ça prend de quatre à huit mois pour obtenir les remboursements. Ça requiert des heures de communications avec l’Agence du revenu du Canada et Revenu Québec», estime Alain Savoie, fondateur de Remboursements Alisa, firme spécialisée dans le recouvrement rétroactif de 15 crédits d’impôt liés aux problèmes de santé. Depuis 2007, son équipe et lui ont établi une procédure d’une soixantaine d’étapes pour effectuer 300 vérifications fiscales par famille en moyenne.
«Dans 40 % des cas où un client affirme avoir déjà tenté d’obtenir des crédits d’impôt, on a réussi à dénicher des sommes supplémentaires. Rares sont les particuliers qui connaissent tous les crédits», explique-t-il. C’est pourquoi il vaut mieux faire appel à des experts en la matière, autant dans le domaine légal que fiscal.