Retraite en vue? Révisez vos stratégies d’investissement
Pierre Théroux|Édition de la mi‑Décembre 2023L’histoire du marché boursier nous enseigne qu’il faut surtout se montrer patient et que le temps, c’est de l’argent. (Photo: 123RF)
La hausse du coût de la vie, jumelée aux taux d’intérêt qui n’ont cessé de grimper depuis mars 2022 et aux risques accrus de récession, a rendu plusieurs investisseurs nerveux.
Si beaucoup de gens s’inquiètent de ne pas avoir suffisamment d’argent pour leur retraite, devraient-ils pour autant chambarder leur planification financière et leur stratégie de placement ?
« Un plan financier, c’est toujours basé sur des scénarios qui changent au fil du temps. Quand il y a des perturbations économiques ou encore des étapes personnelles importantes, comme l’achat d’une maison ou un changement dans le statut d’emploi, c’est un bon temps pour mettre à jour son plan financier ou d’en établir un si ce n’était pas déjà fait », répond Sébastien St-Hilaire, gestionnaire principal de patrimoine au sein de l’équipe Leblanc Martineau St-Hilaire, Valeurs mobilières Desjardins.
La planification financière pour la retraite évolue et doit donc être révisée régulièrement, ajoute le planificateur financier Pierre Lafontaine, directeur des solutions financières et fiscales avancéesà IA Groupe financier. « Quand on part pour un long voyage, on sait où on s’en va, mais on risque de rencontrer plein d’imprévus en cours de route. Pour les gens qui continuent à épargner en vue de la retraite, le contexte actuel est sûrement l’occasion de réévaluer ses plans. Ne serait-ce que pour déterminer entre autres quel est le rendement à obtenir afin d’accumuler suffisamment d’argent pour la retraite », précise-t-il.
L’attrait des CPG
Mais de là à changer toute sa stratégie de placement, il y a un pas qu’il ne faut pas nécessairement franchir. « Oui, il faut revoir régulièrement la composition de son portefeuille, mais on ne doit pas, au gré du vent, la modifier complètement », soutient André Lacasse, planificateur financier et conseiller en sécurité financière aux Services financiers Lacasse. Il faut du même coup, ajoute-t-il, résister à la tentation de liquider son portefeuille d’actions quand les rendements boursiers ne sont pas au rendez-vous, pour se tourner vers d’autres types de placement.
Il donne l’exemple d’un client qui, en situation de panique devant les mauvais rendements boursiers enregistrés en 2022, souhaitait convertir tous ses avoirs en certificats de placement garanti (CPG). « Je lui ai déconseillé de le faire, alors il a décidé de transférer son compte. C’est tentant d’agir ainsi pour réduire ses pertes, mais on renonce alors à la croissance future de son portefeuille », dit-il, soulignant que certains de ses clients profitent des rendements des CPG. « Ça prend simplement un bon dosage de produits financiers dans un portefeuille », précise-t-il.
Ces craintes ont en effet poussé bon nombre d’investisseurs au cours des derniers mois à se tourner vers des CPG, plus sécurisants et rendus nettement plus attrayants grâce à la montée des taux d’intérêt. « On n’exclut pas les CPG, c’est un véhicule de placement intéressant qui a son rôle à jouer dans un portefeuille. Il y a toutefois d’autres véhicules de placement, comme les titres à revenu fixe et les obligations, qui peuvent offrir de meilleurs rendements », indique Sébastien St-Hilaire.
Les hausses successives de taux d’intérêt ont ravivé l’intérêt pour les titres à revenu fixe. D’autant que l’année 2022 avait engendré une rare situation ayant amené les prix des actions et des obligations à dégringoler simultanément, alors que ce sont des catégories d’actifs qui ne sont pas corrélées habituellement, fait remarquer Sébastien St-Hilaire.
« On sort d’une très longue période de taux d’intérêt très bas au cours de laquelle les titres à revenu fixe n’ont pas joué leur rôle de protection dans les portefeuilles. Cela a forcé les investisseurs à compter principalement sur les actions pour générer un rendement intéressant et à accepter, du même coup, un niveau de risque plus élevé. L’avantage, aujourd’hui, quand le portefeuille obligataire offre de bons rendements, c’est qu’on a moins besoin de prendre de risques avec les actions », constate Sébastien St-Hilaire.
Revoir ses ratios ?
L’attrait des titres à revenu fixe enlève donc de la pression sur le portefeuille et les investisseurs ont moins besoin de s’appuyer sur les actions et prendre ainsi plus de risque pour atteindre leurs objectifs de retraite.
Le portefeuille traditionnel équilibré composé à 60 % d’actions et à 40 % d’obligations, qui a durement été éprouvé en 2022, enregistrant un recul d’environ 16 %, a ainsi repris des couleurs. « C’est un bon moment pour recommencer à investir dans des produits à revenu fixe. Ceux qui avaient un portefeuille à 35 % en obligations peuvent envisager d’accroître cette proportion. Il faut aussi penser à d’autres produits que les obligations », suggère Pierre Lafontaine.
Ce dernier propose même de compter trois portefeuilles distincts, au lieu d’en avoir un seul global équilibré. Selon cette stratégie, le premier servirait à y investir les revenus dont une personne aura besoin au cours des 12 à 24 prochains mois. « En plaçant cette somme dans un compte à intérêt élevé qui peut maintenant offrir des rendements annuels de 4 % à 5 %, ça sécurise cette portion-là en évitant de prendre des risques inutiles quand on est à la retraite ou sur le point de la prendre », précise-t-il.
Le second aurait un horizon de placement à moyen terme, à faible risque, avec des obligations et d’autres titres à revenu fixe. Puis, « un troisième composé d’actions viserait le plus long terme en étant plus agressif ».
Le temps, c’est de l’argent
Par ailleurs, bon nombre de personnes ont tendance à surestimer leurs besoins de rendement. « Pour les gens qui ont de bonnes habitudes d’épargne et qui ont commencé tôt, un rendement moyen annuel de 5 % à 6 % sera généralement suffisant pour atteindre ses objectifs financiers à la retraite », affirme Pierre Lafontaine.
L’horizon de temps est effectivement un facteur à considérer. « Une personne à qui il reste encore 10, 15 ou 20 ans avant de prendre sa retraite doit analyser l’effet de la baisse des rendements ces dernières années et voir s’il lui faut être plus agressive à l’avenir ou non, et garder le cap », ajoute Pierre Lafontaine.
On dit souvent que la composition d’un portefeuille en vue de la retraite varie avec l’âge. L’important, c’est de s’assurer que cette répartition correspond toujours aux objectifs et à la tolérance au risque d’un investisseur, rappelle André Lacasse.
« J’ai des clients de plus de 60 ans qui ont des portefeuilles avec beaucoup de croissance et des jeunes qui ont un pourcentage élevé en titres à revenu fixe. C’est sûr que je déconseille à une personne de 85 ans de placer ses avoirs dans l’indice Nasdaq », souligne-t-il.
Un investisseur au début de la quarantaine, qui a un horizon de plus ou moins 20 ans avant de prendre sa retraite, devrait néanmoins miser principalement sur la croissance et les actions dans sa pondération de portefeuille. « À long terme, les actions surperforment les obligations et, à cet âge, le temps lui permettra de profiter des occasions qui se présenteront si le marché boursier recule », estime Sébastien St-Hilaire, en précisant également que le profil d’investisseur et la tolérance au risque doivent d’abord être pris en considération.
L’histoire du marché boursier nous enseigne qu’il faut surtout se montrer patient et que le temps, c’est de l’argent. Un regard sur les rendements annuels d’un portefeuille composé à 60 % de l’indice S&P 500 et à 40 % d’obligations du trésor américain à échéance de 10 ans sur une période de presque 100 ans (1928 à 2022) le montre fort bien. Les rendements positifs se sont en effets succédé entre la débâcle de la crise financière de 2008 (-13,9%) et les déboires de 2022 (-18,5%).
Les investisseurs qui ont vécu plusieurs nuits blanches et décidé de liquider leurs actions après avoir vu le S&P 500 plonger de 34 % en seulement une vingtaine de jours au printemps de 2020 n’auront pas profité du fait qu’il s’est rapidement redressé pour finalement terminer l’année en hausse d’environ 16 %.
Plus récemment, un investisseur qui se serait retiré du marché à la fin octobre, après avoir vu ses états financiers mensuels pour septembre et octobre, a manqué l’important rebond qui est survenu en novembre. « Il ne faut jamais prendre une décision sur un coup de tête, conclut Sébastien St-Hilaire. La mauvaise décision est celle de déroger à son plan financier et à sa stratégie de placement. »
///
La règle du 70 % : mythe ou réalité ?
Combien d’argent aurais-je besoin pour maintenir le même niveau de vie une fois à la retraite ? Les futurs retraités sont nombreux à se poser cette question à un million de dollars… ou plus.
Longtemps, les experts en finances personnelles ont estimé qu’une personne devrait pouvoir compter sur 70 % de ses revenus bruts annuels, gagnés au cours de ses trois dernières années de vie active pour profiter d’une retraite confortable.
Cette fameuse règle du 70 % a été établie en fonction de la somme qu’un travailleur devait recevoir à la fin de sa carrière lorsque le régime de retraite de son employeur lui offre une rente correspondant à 2 % de son salaire, multipliée par 35 années de service. Elle tient compte du fait que certaines dépenses liées au travail diminueront, notamment les frais de transport, les repas au restaurant ou encore l’achat de vêtements. Sans oublier la fin des cotisations à des programmes comme le Régime des rentes du Québec (RRQ), l’assurance-emploi et le régime de retraite de l’employeur.
Cette règle « est toutefois de moins en moins pertinente. Elle remonte à plusieurs décennies et ne tient plus compte de nombreux autres facteurs », indique le planificateur financier Pierre Lafontaine, qui est directeur des solutions financières et fiscales avancées à IA Groupe financier.
Dépenser autant, mais différemment
Même son de cloche de la part d’André Lacasse, planificateur financier et conseiller en sécurité financière aux Services financiers Lacasse. « C’est une règle empirique qui ne tient plus vraiment la route. Je vois de plus en plus de personnes qui ne changent pas leur train de vie, qui continuent à dépenser autant à la retraite, mais différemment », précise-t-il.
Une fois à la retraite, bon nombre de personnes vont voyager davantage ou consacrer plus d’argent à leurs loisirs. Si le budget consacré à de telles activités risque de diminuer graduellement en vieillissant, d’autres dépenses liées à l’âge viendront s’ajouter.
« Les retraités doivent aujourd’hui planifier en fonction d’une espérance de vie plus longue. Il y en a qui vont passer autant de temps à la retraite que sur le marché du travail. Ils devront alors payer plus longtemps pour des soins de santé ou pour l’entretien de leur maison », souligne André Lacasse.
La règle du 70 % repose aussi sur le fait que les retraités n’auront plus d’hypothèque à payer. Or, « il y a des retraités qui n’hésitent pas à contracter des hypothèques pour s’acheter un chalet, par exemple », constate Pierre Lafontaine.
Aussi, elle se fonde à tort sur des revenus avant impôts. « Il est plus logique et plus précis de faire des prévisions en fonction du revenu net », affirme Pierre Lafontaine.
Le mieux, selon André Lacasse, est de faire un budget et des prévisions qui permettent de prévoir quand les retraités auront épuisé leur capital.