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Se séparer en 2024,ça coûte cher. Très cher!

Claudine Hébert|Édition de la mi‑octobre 2024

Se séparer en 2024,ça coûte cher. Très cher!

À moins de se trouver rapidement un colocataire, les ex-conjoints peuvent dire au revoir à la mutualisation des dépenses. (Photo: 123RF)

GROSSE DÉPENSE. Même si la décision peut être difficile, parfois la séparation est inévitable. Cette étape de vie a des conséquences sur les finances personnelles des deux parties. Qu’il y ait ou non des enfants dans l’équation, la facture pourrait dépasser les dizaines de milliers de dollars à long, à moyen et même à court terme.

D’emblée, clarifions le volet des frais juridiques. « Cette facture va dépendre du degré de conflit entre les conjoints lors des semaines précédant la séparation », avise l’avocate Valérie Black Saint-Laurent,
directrice du développement des affaires à JuriGo.ca. L’écart entre les revenus annuels des deux conjoints risque aussi d’envenimer la situation.

Soulignons que les couples avec enfants en voie de se séparer peuvent bénéficier de cinq heures gratuites de médiation pour discuter du partage du patrimoine acquis à deux, l’établissement de la garde des enfants (partagée ou exclusive) ainsi que la mise en place et la fixation d’une pension alimentaire pour enfants.

Une fois que ce temps gratuit est écoulé, le compteur se met en marche. Un médiateur familial coûte 130 $ de l’heure. On prévoit au minimum entre 150 $ et 250 $ de l’heure pour les services d’un avocat en droit familial. « Mentionnons que chaque avocat familialiste est libre de fixer un tarif horaire ou forfaitaire. Une raison de plus pour comparer plusieurs professionnels du droit familial avant d’entamer les procédures », conseille l’avocate de la plateforme qui offre gratuitement une mise en relation avec des professionnels du droit.

Si le couple est marié, il y aura des frais juridiques pour officialiser le divorce. « Puisque le divorce provoque le partage du patrimoine familial (maison, REER, meubles et véhicules) et du régime matrimonial (les autres biens), il est nécessaire de s’entendre sur les modalités du partage de ces biens. Lorsque le patrimoine du couple est bien nanti, une telle démarche prend davantage de temps et augmente les honoraires à payer », note l’avocate.

Si tout se déroule bien, un divorce à l’amiable devrait coûter moins de 2500 $. Une entente non contestée peut se régler pour moins de 7000 $. « Les divorces les plus coûteux sont ceux où les époux sont à couteaux tirés et incapables de s’entendre sur les modalités de la séparation. La durée des procédures et la complexité du conflit contribuent à multiplier le coût des honoraires », explique Valérie Black Saint-Laurent. En général, les divorces contestés franchissent aisément le cap des 15 000 $.

La partie cachée de l’iceberg

Il n’y a cependant pas que les frais juridiques. En fait, ces frais ne représentent que la pointe de l’iceberg de la véritable facture qui attend les deux conjoints qui vont faire vie à part.

À moins de se trouver rapidement un colocataire, les ex-conjoints peuvent dire au revoir à la mutualisation des dépenses. « Dès que l’un des conjoints franchit la porte avec ses valises pour de bon, la plupart des dépenses de la vie quotidienne que l’on pouvait se partager se dédoublent », avertit Pierre-Yves McSween. En collaboration avec le CPA auditeur Paul-Antoine Jetté, l’animateur et chroniqueur de finances personnelles a justement publié un livre sur le sujet en 2022, La facture amoureuse.

Télécommunications, électricité, épicerie, véhicules, vacances, entretien de la cour, déneigement, sans oublier que les frais de logement (hypothèque ou loyer) font partie des frais que les anciens tourtereaux doivent désormais assumer chacun pour soi.

« Même si la séparation s’effectue à l’amiable, l’un des deux conjoints devra sans doute repartir à zéro. Il devra assumer toutes les dépenses liées à la quête d’une nouvelle adresse. Cela implique de devoir se remeubler, acheter de nouveaux électroménagers, s’assurer », énumère Pierre-Yves McSween.

S’il y a des enfants d’âge scolaire affectés par la séparation, le parent qui quitte le nid familial pourrait avoir à trouver un logement suffisamment spacieux à proximité de l’école pour loger sa famille, notamment s’il obtient la garde partielle ou à temps plein.

En général, le coût de la séparation fluctue en fonction du degré d’intégration économique qui existait entre les deux conjoints. « Plus il y avait d’avantages à vivre à deux, plus les pertes monétaires vont se faire sentir », concède Maude Pugliese, professeure agrégée à l’INRS et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en expériences financières des familles et inégalités de patrimoine.

Cette experte fait partie de l’équipe de recherche menée par la professeure à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, Marie-Christine Saint-Jacques, qui a effectué une vaste enquête longitudinale auprès des parents séparés et des familles recomposées du Québec. Plus de 1550 parents séparés (pères et mères) et 271 partenaires ont été interrogés entre 2018 et 2023. Dans les deux années suivant la séparation, 40 % des parents séparés ont dû s’endetter afin de survivre à la situation, souligne Maude Pugliese.

Les autres coûts

La facture pourrait aussi être influencée par des subtilités fiscales entourant la pension alimentaire des enfants, dont certaines frôlent parfois l’injustice, avertit Pierre-Yves McSween. L’animateur cite en exemple les calculs de pension alimentaire qui impliquent des conjoints avec revenus à pourboires et des revenus d’entreprises ou de travail, dont des montants importants auraient pu « échapper » à l’impôt pendant des années.

« Il y a aussi tous ces calculs qui, faute d’entente à l’amiable entre les deux parties, ne tiennent pas en considération plusieurs facteurs financiers, tels que les contributions à un REEE, les héritages ainsi que le statut de famille recomposée », soulève-t-il.

Des solutions ici et là

Des anecdotes entendues ici et là révèlent qu’il existe des terrains d’entente pour minimiser la facture. Deux conjoints qui ne s’aimaient plus ont vendu la maison familiale afin d’investir dans un duplex. Chacun occupe son logement, et le sous-sol est réservé aux enfants.

Un autre couple aurait décidé de conserver la maison familiale… et de s’échanger ce logement durant leur temps de garde pour que les enfants n’aient pas à trimbaler leurs valises.

D’autres conjoints ont carrément décidé de mettre de l’eau dans leur vin. C’est le cas de Chantal et Éric (prénoms fictifs), qui ont traversé une situation assez houleuse en 2022. Mariés depuis 2003, les deux conjoints étaient sur le bord de se séparer.

Ils se sont tous les deux mis à analyser les options de partage des biens (vente de la maison, entre autres), de la pension alimentaire, des coûts de la vie en solo. Après trois mois de réflexion, les deux conjoints ont conclu que ni l’un ni l’autre ne survivrait monétairement à la séparation. Non seulement Chantal et Éric vivent toujours sous le même toit, ils ont même retrouvé leur flamme amoureuse.