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Sécurité de la vieillesse: le mammouth dans la pièce

Daniel Germain|Publié le 22 mai 2019

Sécurité de la vieillesse: le mammouth dans la pièce

Ce qu’il y a d’ennuyeux avec la planification de la retraite, c’est qu’elle peut être bien loin la retraite. Des événements hors de notre contrôle, il peut s’en passer entre-temps un et un autre.

Je ne fais pas allusion à toutes ces catastrophes appréhendées que nous relaient les journaux, mais à des problèmes plus superficiels qui ne sont pas moins épouvantables pour certains: le changement de l’âge de la retraite et une diminution de la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV).

Je ne veux pas jouer l’épouvantail, je ne fais que souligner que le cadre dans lequel on planifie généralement ses vieux jours peut changer sur une période de 30-40 ans. Je ne crois pas qu’il y a là matière à déchirer sa chemise, mieux vaut ménager son indignation et sa capacité de mobilisation pour ce qui le mérite, et je ne parle pas du troisième lien. Gardons seulement à l’esprit que cela fait partie des probabilités.

Voilà à quoi m’a fait penser le lecteur Pierre-Olivier, qui m’a écrit un long message duquel transpire une certaine «inquiétude». Il craint de faire plus d’argent à sa retraite que durant sa vie active, ce qui me semble un heureux problème. Cela tient au fait que son employeur actuel offre un luxueux régime de retraite à prestations déterminées qui lui assurera l’équivalent de 70% de ses cinq meilleures années salariales.

Il se demande s’il est judicieux pour lui de combler son REER, sachant que ce qu’il en retirera plus tard pourrait lui coûter une partie de sa pension de la Sécurité de la vieillesse.

Voici ce qu’il écrit: «Je m’inquiète du fait que les pensions de vieillesse du gouvernement ne soient pas maintenues». Pierre-Olivier redoute que les Boomers (encore eux!) et les YOLO (You Only Live Once – l’incarnation de l’insouciance) fassent main basse sur la caisse d’ici sa retraite.

Il y a tant de choses à dire ici. Commençons par sa question principale, pour faire œuvre utile: REER ou CELI? Notre lecteur se dit professionnellement volage; à 36 ans, il a occupé plusieurs postes chez différents employeurs. Chaque fois qu’il a quitté un emploi pour un autre, il est reparti avec un petit fonds de retraite auquel il ne pourra toucher avant la fin de sa carrière. Il a amassé comme ça 75 000$ dans un REER dit «immobilisé». Lire «intouchable».

Il détient aussi 62 000$ dans un REER personnel pour lequel il a accumulé en plus des droits de cotisation de 36 000$. Son CELI cependant ne contient rien. Avec un salaire de 100 000$, des contributions REER lui donneraient droit à d’appréciables déductions fiscales. En revanche, on n’a aucune idée du taux d’imposition auquel notre lecteur sera soumis à la retraite. Il n’est pas impossible que l’argent soutiré du REER lui ampute une partie de sa PSV, ce qui revient à payer une forme d’impôt supplémentaire.

Le problème auquel fait face Pierre-Olivier n’en est pas un d’épargne retraite, mais de coussin d’urgence (peut-être aussi d’anxiété inutile). Tout son argent est immobilisé ou imposable à la sortie. À sa place, je bichonnerais le CELI, question de disposer de ressources facilement accessibles pour affronter les imprévues, et je laisserais les droits de contribution REER s’accumuler pour les combler plus tard. Ou pas. Là, il faudrait un pro qui puisse se pencher sur les détails de sa situation.

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Pierre-Olivier soulève néanmoins un point important, a-t-il raison de craindre un resserrement de l’accès à la PSV? Depuis plusieurs années déjà, la question de relever l’âge de la retraite flotte dans l’air.

Sous les conservateurs, le gouvernement fédéral l’avait fait avec un projet repoussant graduellement à 67 ans l’âge auquel les Canadiens pouvaient toucher leur pleine pension du fédéral (7000 dollars par année, maximum, excluant le Supplément de revenu garanti – SRG). À leur arrivée au pouvoir, les libéraux de Justin Trudeau l’ont rabaissé à 65 ans.

Il faut savoir que la PSV est financée à même les fonds publics et que ses prestations commencent à rétrécir dès que le retraité déclare des revenus de quelque 75 000$. La PSV disparaît totalement à 125 000$ de revenu, environ. Soulignons que le Régime de rentes du Québec (RRQ) fonctionne autrement. Il est capitalisé à part par les futurs retraités et leur employeur, dans un fonds géré par la Caisse de dépôt. Les cotisations donnent droit à une rente garantie, peu importe les autres revenus de retraite.

Il arrivera un moment où les pensions de vieillesse coûteront au gouvernement considérablement plus cher qu’aujourd’hui. Elles représentent actuellement moins de 2,5% du PIB du pays et devraient grimper autour de 3,25% au début des années 2030, selon le rapport actuariel du programme de la sécurité de la vieillesse publié en 2015.

Exprimé comme ça, la différence paraît bien maigre, mais quand on sait que le PIB du Canada dépasse allègrement les 2000 milliards de dollars, le moindre point de pourcentage équivaut à des centaines de millions. Pour le gouvernement fédéral, la facture supplémentaire dépassera facilement 10 G$ par année (en dollars d’aujourd’hui). Elle touchera probablement les 15 G$. J’y vais au pif, mais on est dans ces eaux-là.

Inutile de chercher bien loin les raisons de cette enflure, elle est provoquée par un mouvement qu’on voit venir depuis longtemps, tel un mammouth qui nous pourchasse et qui s’approche: le vieillissement de la population. Oui, donc, les boomers n’y sont pas étrangers, leur poids démographique ne les préserve pas de l’inéluctable décrépitude, bien qu’ils profiteront d’une longévité accrue, ce qui accentue le problème. Si ce n’était que des pensions de vieillesse, mais à ça s’ajouteront sans doute des frais de santé. Cela fait partie du contexte.

À moins de bonds prodigieux de notre productivité et de notre économie, ou encore de couper ailleurs, le programme de pension de la Sécurité de la vieillesse tel qu’il est se trouve en situation délicate, je dirais. On peut s’attendre à ce que le gouvernement relève de nouveau l’âge de la retraite pour atténuer le coup ou qu’il revoie l’échelle de récupération de la PSV ou les deux.

Les chocs provoqués par l’évolution de la démographie sont prévisibles, leur violence l’est moins. Déjà au siècle dernier, on voyait arriver le moment où la main-d’œuvre allait se raréfier, mais on ne s’est pas préparé à une pénurie, jusqu’à ce qu’on la subisse aujourd’hui, plus durement que prévu. 

Le défi de la pension de la vieillesse se pose autrement. On ne peut pelleter le problème en avant indéfiniment en se croisant les doigts dans l’espoir de connaître un contexte favorable et capitonné. Ce serait manquer à nos responsabilités de devoir faire subir aux bénéficiaires du programme un traitement de dernière minute, une médecine qui sera d’autant plus brutale que tardive. 

On ne peut pas faire comme si le mammouth n’est pas là alors qu’il nous pique les fesses avec ses défenses.

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