Canadien: une marque forte malgré 30 ans sans coupe Stanley
La Presse Canadienne|Publié le 08 juin 2023Le Centre Bell a retrouvé sa place au sommet du classement des amphithéâtres les plus courus à travers la LNH cette année. (Photo: La Presse Canadienne)
Sans coupe Stanley à célébrer depuis 30 ans et même après deux saisons difficiles pour leur équipe favorite, les partisans du Canadien de Montréal continuent d’être parmi les plus fidèles de la Ligue nationale de hockey (LNH) — signe de la puissance de l’image de marque du Tricolore dans la métropole et au Québec.
Avec en moyenne 21 078 spectateurs présents à chacun des matchs locaux du Canadien lors de la saison 2022-23, le Centre Bell a retrouvé sa place au sommet du classement des amphithéâtres les plus courus à travers la LNH cette année — place qu’il avait perdue pendant la pandémie en raison des restrictions sanitaires plus souples aux États-Unis.
Et pourtant, le Canadien venait de se relever d’une saison lors de laquelle il a terminé bon dernier au classement général de la LNH, en 2021-22, et il avait toujours du mal à renouer avec la victoire.
Ce succès aux guichets malgré des moments laborieux sur la glace s’explique en partie grâce à la puissance de l’image de marque du Canadien et de sa riche histoire bien enracinée dans le cœur des Montréalais, selon le directeur de l’Observatoire international en management du sport, Frank Pons.
«Le lien qui a été créé avec les partisans, il est indélébile. C’est-à-dire que même s’ils ne sont pas satisfaits, même si tout va mal, il y a un terreau fertile à chaque fois, parce qu’il y a quand même un attachement et une fierté», explique celui qui est aussi professeur titulaire à l’Université Laval.
Ainsi, même s’il connaît actuellement la plus longue séquence de son histoire sans avoir goûté aux grands honneurs, le Canadien réussit — sans trop de difficulté apparente — à attirer les foules et à maintenir sa réputation à travers la LNH.
Ce privilège n’est pas donné à tous, même à Montréal, où des équipes comme les Alouettes et le CF Montréal peinent à remplir leur stade respectif lorsqu’ils connaissent des moments difficiles sur le terrain.
Mais le lien fort et potentiellement inégalé qui unit les Québécois et leur club de hockey n’exemptera pas le Canadien de trouver des façons de redevenir aspirant à la coupe Stanley dans un avenir plus ou moins rapproché, de l’avis du professeur expert du «sportainment» André Richelieu.
«Une équipe de sport professionnel qui a un palmarès comme le Canadien de Montréal se doit de “performer” et non pas seulement vivre dans le passé. Avec le statut viennent les privilèges, mais aussi les obligations. Ce que l’on vend dans le sport, c’est de l’espoir», rappelle-t-il.
L’appel à la tradition: à utiliser avec modération
Même si 30 ans se sont écoulés depuis son dernier triomphe du trophée de Lord Stanley, le Tricolore demeure l’équipe la plus décorée de la LNH. Ses 113 ans d’histoire, ses 24 coupes Stanley, ainsi que les nombreuses légendes qui ont porté son chandail font du Club de hockey canadien un morceau important de l’histoire de Montréal et du Québec.
Une simple visite au Centre Bell permet de constater à quel point le passé de l’équipe est riche — non seulement parce qu’il l’est, mais parce que l’organisation en est très fière et n’a pas peur de s’en vanter, en mettant de l’avant ses bannières et, pour les occasions spéciales, son fameux flambeau.
Ce rappel constant de l’histoire qui accompagne l’équipe sur la glace est une stratégie gagnante pour tisser des liens avec la communauté locale, croit M. Richelieu, qui enseigne à l’Université du Québec à Montréal.
«Le recours à l’histoire, que l’on appelle aussi “storytelling”, est une stratégie de marque potentiellement puissante pour une organisation sportive. Elle rassemble les gens pour qu’ils se rallient à une histoire commune, par rapport à un événement majeur ou contre une menace, un ennemi juré», souligne-t-il.
Cependant, plus on s’éloigne de l’époque que l’on tente de mettre de l’avant, plus la stratégie risque de s’effriter, nuance M. Richelieu.
«Dans le cas de ceux que l’on surnomme “les Glorieux”, qui n’ont pas gagné la coupe Stanley depuis 30 ans, l’utilisation du “storytelling” de manière rébarbative peut s’avérer contre-productive, ou même source de moqueries, et exposer davantage les contre-performances du club depuis trois décennies», poursuit-il.
Frank Pons, de l’Université Laval, abonde dans le même sens: «Beaucoup d’équipes qui ont une histoire font ça. Le Canadien, bien entendu, utilise cette stratégie-là depuis longtemps et ça amène une certaine cohérence dans la communication.
«Mais ce n’est pas parce qu’on utilise cette approche-là que l’on doit l’utiliser, je dirais, de manière standard, annuelle ou répétitive. Contrairement aux autres grandes franchises, au baseball ou au soccer qui amènent des choses nouvelles, il y a peut-être un manque de renouveau chez le Canadien», prévient M. Pons.
Un modèle hybride
S’il nous avait souvent habitués à des campagnes axées sur sa glorieuse histoire dans les dernières années, le Canadien semble avoir lui-même adapté son message lors de la plus récente campagne.
Dans une vidéo présentée sur l’écran géant du Centre Bell avant chaque rencontre à domicile, des joueurs de l’édition actuelle de l’équipe rappelaient les moments célèbres de l’histoire du Tricolore — ses coupes Stanley, ses légendes —, mais soulignaient aussi des moments marquants des dernières années, comme la finale de la Coupe Stanley en 2021, les arrêts spectaculaires de Carey Price ou encore l’époque des Saku Koivu et Alex Kovalev.
Selon M. Pons, cette stratégie peut être efficace, puisque pour certains partisans, l’attachement à ces quelques moments spectaculaires des 20 ou 30 dernières années est assez fort pour faire remonter des émotions positives.
«Pour les plus vieux, c’est effectivement les coupes Stanley, mais ça date maintenant d’il y a 30 ans. Donc pour les autres, il est arrivé plein de belles choses au Canadien pendant les dernières années, notamment la finale un peu inattendue (de 2021). Donc c’est utile de le faire, et ils devraient le faire plus», analyse-t-il.
Mais le changement d’une image de marque doit se faire prudemment. Si de nouvelles équipes, comme les Golden Knights de Vegas, sont aujourd’hui reconnues pour leur modernité et leur présentation ancrée dans le 21e siècle, le Canadien ne peut pas changer d’un seul coup son approche, affirme M. Pons.
«Une équipe qui n’a pas d’histoire comme les Golden Knights, elle peut se positionner quasiment n’importe comment. Elle va écouter le marché local et offrir au marché local ce qu’il veut. C’est parfait, parce qu’elle écrit sur une page blanche. Le Canadien, comme les autres équipes historiques, doit quand même respecter l’histoire, la tradition, la cohérence de marque depuis plus de 100 ans», avance-t-il.
«Encore une fois, est-ce que ça veut dire qu’il ne faut rien faire? Pas du tout. Il y a plein d’équipes qui ont une histoire et qui se présentent de manière, je dirais, beaucoup plus attrayante. Se renouveler, le Canadien le fait moins bien», croit M. Pons.
Une conclusion que partage M. Richelieu: «Il y a urgence, pour le Canadien, de combiner un produit concurrentiel, aspirant de nouveau aux grands honneurs sur le terrain, et le marketing, afin d’offrir une expérience de marque à valeur ajoutée.
«Autrement, le lien émotionnel entre l’équipe et de nombreux consommateurs va se briser, peut-être même de manière irréversible», résume-t-il.