Le PDG de Desjardins a été sur toutes les tribunes médiatiques (Photo: lesaffaires.com)
BLOGUE INVITÉ. Le scandale du vol de données personnelles chez Desjardins a forcé l’institution financière à gérer une crise sans précédent, un défi que la coopérative a su relever avec brio. Son PDG a vite agi, en s’est montrant humble et rassurant. Quant aux protections offertes aux clients, elles ont été bonifiées au fil des semaines, jusqu’à fournir une couverture permanente et totale.
Parfait. Mais voilà, en marketing, la confiance est intimement liée à la valeur de la marque. Lorsqu’elle est ébranlée, le branding corporatif, un actif intangible, perd immédiatement de la valeur.
C’est que, selon le cabinet-conseil Deloitte, certains événements sont particulièrement dévastateurs pour une marque et pour la réputation d’une entreprise :
1. Le bris de sécurité d’un produit, surtout lorsque l’entreprise recourt à des sous-traitants ou à des fournisseurs tiers;
2. La fuite de données confidentielles à propos des clients ou la divulgation d’informations hautement confidentielles au niveau corporatif;
3. Le comportement inapproprié d’employés, tant de la part des cadres que des employés de première ligne.
Ce n’est pas pour rien que l’ensemble de Desjardins s’est rapidement mobilisé pour réagir à la crise. Le président est allé sur toutes les tribunes, ajustant son discours à mesure que la situation évoluait.
Faut-il pour autant s’inquiéter de la réputation à long terme de l’institution financière et de sa capacité à générer de la valeur pour ses membres?
Pour répondre à cette interrogation, il convient de prendre en considération la proximité émotive des Québécois avec Desjardins, une relation bâtie sur un storytelling extrêmement fort et sincère. Selon l’indice Ipsos-Infopresse, la coopérative se positionne au 12e rang des marques les plus influentes au Québec, loin devant Tangerine (45e), Banque Nationale (50e), Banque Royale (62e), BMO (76e), Banque Scotia (89e), Banque Laurentienne (91e) et TD Canada Trust (95e).
S’ajoute à cela le fait qu’aucune institution financière n’est à l’abri d’un vol de données. Pas plus Desjardins qu’une autre. Or, à aucun moment le public n’a ressenti qu’il y avait eu négligence ou que la sécurité avait été traitée avec légèreté par la coopérative. Autant de points qui favorisent le retour à la confiance à son égard.
Enfin, n’oublions pas le facteur temporel : qui aurait pu croire que Merck se relèverait du scandale du Vioxx, lequel avait été l’un des plus grands scandales réputationnels du 21e siècle?
En octobre 2004, l’analyste financier et personnalité médiatique Jim Cramer sonnait l’alarme : le Vioxx, un médicament contre l’arthrite, était soupçonné d’avoir tué des dizaines de milliers de patients; son fabricant, Merck, méritait d’être liquidé, à ses yeux.
Je le souligne : il ne s’agissait pas d’une fuite de données, mais de la mort de personnes!
Le Vioxx aurait été ainsi responsable de 88 000 crises cardiaques ayant entraîné 38 000 décès. Une enquête du New York Times a même affirmé à l’époque que Merck avait ignoré les signes avant-coureurs et avait freiné la menée d’une étude visant à déterminer si le Vioxx augmentait vraiment le risque de crise cardiaque chez les patients.
Résultat? En 2007, Merck a réglé un recours collectif de 5 milliards de dollars et a accepté de verser 950 millions de dollars aux autorités réglementaires.
L’entreprise n’a pas été liquidée. Son action, qui frôlait les 28$ en plein cœur du scandale, dépasse aujourd’hui les 80$. Ses médicaments, qui permettent notamment de contrôler le diabète et le cholestérol, sont utilisés partout dans le monde. Bref, le temps a passé, et avec lui, la confiance est revenue.
Tout cela mis dans la balance – et considérant que Desjardins a mille fois mieux géré sa crise que Merck! -, je ne m’inquiète pas trop pour la suite. Néanmoins, il lui faudra relever un sacré défi de communication durant encore de nombreuses années : chaque fois qu’une usurpation d’identité se produira à l’avenir, Desjardins devra faire la démonstration qu’elle est toujours digne de confiance; mieux, il lui faudra considérer chaque cas de fraude avéré comme une nouvelle occasion de renforcer sa réputation. Et qui sait? Desjardins pourrait même parvenir à en ressortir grandie, crise après crise.
Bon, je porte peut-être des lunettes roses ici, mais je suis convaincue que Desjardins va continuer de bien figurer dans les prochains palmarès. Car la crise actuelle va nécessairement l’amener à renforcer ses capacités de détection, de réaction et de correction des incidents réputationnels. Si bien qu’un beau jour on parlera peut-être bien de tout ça dans les livres de marketing de relations publiques comme d’une étude de cas exemplaire!