Les indicateurs de performance qualitatifs reprennent du galon
Catherine Charron|Édition de la mi‑mai 2022TikTok est l'une des plateformes de diffusion de contenu pionnière en la matière. (Photo 123RF)
Boudés depuis l’apparition du numérique, les indicateurs de performance qualitatifs reprennent du galon dans l’arsenal des spécialistes du marketing, alors que les habitudes de navigation changent et que les données quantitatives perdent en précision.
Le problème, c’est que leur mesure se fait bien moins automatiquement. C’est peut-être pourquoi ils ont perdu de leur lustre dans l’industrie, qui observe aujourd’hui les données fluctuer en temps réel, glisse Benoit Skinazi, directeur du marketing de la plateforme de vente de publicités numériques Sharethrough. Leur retour ne saurait toutefois tarder.
En effet, les publicités apparaissent maintenant bien moins longtemps qu’auparavant devant les yeux des utilisateurs, le défilement infini permettant de passer rapidement sur le contenu qui ne leur plaît pas.
« Quand on se base sur les clics ou les taux de conversion de nos bannières pour optimiser ces campagnes, ce n’est pas représentatif de la façon que consomment les individus. Ça ne suffit plus », prévient celui qui cumule plus de 12 ans dans le domaine.
De plus, la fin annoncée des témoins tiers obscurcira le suivi du parcours en ligne d’un client. Cela freinera l’application des techniques vantées ces dernières années.
« La bulle de ciblage par comportement s’essouffle avec la nouvelle réglementation. […] On revient à ce qui est parfaitement logique, soit aller là où le contexte s’y prête et où les probabilités que la personne soit intéressée à ce qu’on lui offre sont élevées », ajoute Clément Santa Maria, cofondateur du centre de formation La Fusée et associé de l’agence de marketing web Digitad.
Un coffre à outils plus garnis
Pour évaluer la qualité d’une campagne, trois facteurs gagnent en importance selon les deux exports : l’attention du public, la compréhension du message et la pertinence de l’endroit où celui-ci est affiché.
« C’est un peu ironique, car on revient aux bonnes vieilles pratiques qu’on utilisait dans le passé, par la publicité à la radio ou à la télé », souligne Clément Santa Maria.
Ne pouvant plus se fier aux données quantitatives pour le faire, de plus en plus de spécialistes ont recours à des sondages ou à des études en cours de compagne et « a posteriori ». YouTube permet notamment de demander aux usagers s’ils ont aperçu du contenu concernant une des marques mentionnées. « Si vous pouvez répondre à la question, c’est que vous avez vu et compris le message », résume Benoit Skinazi.
De nouveaux outils technologiques brossent aussi un meilleur portrait plus précis, comme en déterminant dans quelle position était tenu l’appareil sur lequel la publicité a été visionnée. L’entreprise québécoise Contxtful Technologies se targue d’ailleurs d’y parvenir sans accéder aux données privées du consommateur.
Les plateformes de diffusion de contenu comme TikTok — une pionnière en la matière selon les spécialistes consultés — se sont attelées à la tâche de développer des indicateurs pour évaluer la qualité de la compréhension du message.
Facebook permet aussi de lancer des campagnes dont l’objectif est de jauger la reconnaissance de la marque, ajoute l’associé de Digitad. « C’est totalement automatisé, donc avec une fiabilité un peu discutable. Mais pour les plus gros budgets, comme nous faisons avec Clarins, des ressources sont consacrées à aider l’analyse de ces données-là », explique-t-il.
Benoit Skinazi encourage les PME québécoises à interroger leurs partenaires médias sur leurs capacités à mesurer l’attention et la compréhension des publicités, « que ce soit grâce à des études après ou en cours de campagne, ou même en amont, afin d’appliquer de meilleures pratiques dans la manière d’afficher du contenu publicitaire ».
C’est surtout pour eux, d’ailleurs, croit Clément Santa Maria, que ce changement de paradigmes créera le plus de maux de tête. « Ce n’est pas une grosse marche à monter [pour les PME] comparée à celle de saisir que le numérique est indispensable à toute stratégie marketing. L’aspect qualitatif est un complément naturel », estime-t-il.
R.I.P les données quantitatives ?
Cela ne signifie pas pour autant que les indicateurs de performance quantitatifs, comme la portée et le nombre d’impressions ou de clics doivent être relayés aux oubliettes, préviennent les deux experts.
« La notion de volume est encore extrêmement importante en marketing si on veut toucher une proportion suffisante de notre audience, précise le cofondateur de La Fusée. En revanche, c’est la fin des indicateurs quantitatifs analysés sans contexte. »
L’humain derrière le consommateur revient donc au cœur des processus de livraison des campagnes, croit Benoit Skinazi. « Le numérique a donné rapidement accès à des informations qu’on n’avait jamais connues avec la publicité traditionnelle, mais elles ont leurs inconvénients. Ce n’est pas un retour en arrière qu’on observe, c’est l’ajout d’une conception centrée sur l’humain. » Aussi bien s’y préparer dès aujourd’hui, car ça ne pourrait faire autrement que de gagner en importance dans le métavers, prévoit-il.