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Mise en garde contre le militantisme social en campagne

Catherine Charron|Édition de la mi‑septembre 2022

Mise en garde contre le militantisme social en campagne

Contrairement aux États-Unis, où des bannières comme Nike se sont ouvertement prononcées contre la nomination de l’ex-président républicain Donald Trump lors de la campagne de 2020, le contexte politique au Québec est loin de se prêter au militantisme social. (Photo: Colin Lloyd pour Unsplash)

Le militantisme des marques et leurs prises de position sont des exercices de haute voltige qui peuvent être payants s’ils sont exécutés avec finesse et authenticité. L’opération est toutefois à prendre avec des pincettes lorsqu’elle touche une question politique, selon les experts consultés, surtout en période électorale. 

Titulaire d’un doctorat en gestion et entreprises de la Kellog School of Management de la Northwestern University, Rachel Ruttan s’est penchée sur la question dans son rapport « Prendre parole : pourquoi ? quand ? comment ? », paru en juillet 2022.

Elle y résume sept ans passés à étudier ce sur « quoi s’appuie la population pour évaluer qu’une organisation est authentique ou non […], en particulier lorsque cette dernière affiche ses valeurs, ses positions ou sa politique de responsabilité sociale ».

De plus en plus, les consommateurs comme les employés exigent des entreprises qu’elles se prononcent lorsqu’une discussion survient dans la société, et qu’elles ont la légitimité de le faire, constate l’experte.

Autant les retombées économiques que les gains de sympathie peuvent être grands, autant les conséquences peuvent être dévastatrices pour celles qui manquent d’authenticité dans leur démarche.

La professeure adjointe à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto a ainsi formulé cinq questions que chaque marque devrait se poser afin de vérifier que cette prise de parole est cohérente avec leur mission. C’est la clé du militantisme social réussi. Elle l’appelle la règle des 5C.

Dans un premier temps, l’entreprise doit « collecter des points de vue », soit de s’assurer qu’elle a bien compris les revendications de chaque partie concernée par le débat. En « collaborant » avec elles, l’organisation aura une bien meilleure idée de quoi il retourne.

Ensuite, elle doit évaluer le « coût du signal », en déterminant notamment si elle mettra en place des ressources pour réellement faire bouger les choses. La « cohérence » entre la prise de parole et la mission de l’entreprise est un autre élément auquel elle doit réfléchir.

Finalement, c’est le « caractère concret » de la position adoptée qui sera remis en question, afin de déterminer comment celle-ci sera traduite par des actions tangibles. « À défaut de vous montrer sévère envers votre organisation, c’est le public qui le sera », écrit Rachel Ruttan dans les pages de son rapport.

 

L’épineuse question politique

Si un débat de société émerge lors d’une campagne électorale, il doit réellement viser une des valeurs fondamentales d’une marque pour que cette dernière ose s’aventurer sur ce terrain glissant.

« En général, les enjeux politisés sont plus risqués, car ils sont plus de nature conflictuelle, prévient Rachel Ruttan. C’est pourquoi il est d’abord conseillé de mener des consultations afin de s’assurer qu’ils concernent l’objectif et l’identité de l’organisation ». 

Si c’est le cas et que l’entreprise désire défendre ou réitérer sa position, elle devra se prononcer avant que le gouvernement n’ait tranché, estime la titulaire d’un doctorat. « Sans quoi, elle risque de paraître inefficace ou de sauter dans un train en marche, ce qui peut sembler inauthentique ». 

 

De nombreuses réserves

Dans de telles circonstances, le jeu n’en vaut peut-être pas la chandelle.

Thomas Morel, chef de l’exploitation de la branche canadienne de la firme de marketing Les Causantes, le déconseille tout bonnement. Selon lui, le militantisme social « ne peut avoir lieu dans un débat électoral ; l’entreprise se retrouverait trop exposée. » 

En effet, contrairement aux États-Unis, où des bannières comme Nike se sont ouvertement prononcées contre la nomination de l’ex-président républicain Donald Trump lors de la campagne de 2020, le contexte politique au Québec est loin de s’y prêter, glisse Jean-Jacques Stréliski, professeur associé à HEC Montréal.

Dans un billet de blogue paru sur Infopresse, le vice-président de Tact intelligence-conseil, Sébastien Fassier, rappelle que lors des élections de 2014, le jour de congé promis par le PDG de la société de transport Delmar à l’ensemble de ses employés canadiens advenant la défaite du Parti québécois n’avait pas été bien reçu.

« On va toucher à une corde très sensible du consommateur, et on ne sait pas ce que ça peut faire », met en garde Jean-Jacques Stréliski.

Des propos qui vont dans le même sens que ce qu’a observé la firme de services-conseils en relation publique et en marketing Edelman dans son Baromètre de confiance 2022. « Les employés veulent que leur PDG prenne part [aux grands enjeux sociaux et] politiques, mais pas à “la” politique », nuance la directrice générale de son bureau montréalais, Martine St-Victor.

« La politique est un terrain plus glissant, car il est très clivant », reconnaît Jean-Jacques Stréliski. Or, le militantisme social peut être « judicieux [pour la marque] si c’est habillement fait, et que ça concerne un enjeu large ».

Celui qui étudie le phénomène depuis de nombreuses années est convaincu — à l’instar de tous les experts rencontrés d’ailleurs — des bienfaits de la prise de parole des entreprises s’il est question des valeurs qui font partie de leur ADN.

Dans un contexte électoral, toutefois, le moindre appui à la protection de l’environnement, ou encore à des cibles plus élevées en immigration « rattache sa position à un candidat ou à une autre », souligne le professeur associé à HEC Montréal, et c’est là le principal danger.