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Petit guide de survie au «bad buzz»

Catherine Charron|Publié le 20 février 2020

Lorsqu’une soirée entre amis entache votre image de marque sur les réseaux sociaux, voici comment éponger les dégâts.

Lorsque les actes racistes de deux des salariés du fabricant de sous-vêtements Le Slip français dans un cadre privé ont été dévoilés, la PME parisienne a été confrontée un dilemme: que faire quand les gestes de nos employés, commis en dehors des heures de bureau, entachent notre image de marque ?

Ici, trois personnes prennent part à une soirée «africaine» à laquelle boubou, masque de gorille et black-face sont de mise. Le 2 janvier 2020, des images de ces festivités atterrissent sur des comptes Instagram comme celui de maisnoncestpasraciste, qui dénoncent le racisme, et deux des trois convives sont associés au Slip français. 

Dès le lendemain, alors qu’un appel au boycottage de la marque fabriquée en France devenait tendance sur Twitter, les employés en question ont été mis à pied et la direction du Slip français a répondu dans un communiqué aux critiques qui pleuvaient sur l’entreprise.

Cette attention négative à l’égard de la griffe a aussi permis de déterrer des propos homophobes datant de 2013 tenus par le PDG de la PME, Guillaume Gibault. 

«C’est le phénomène du bad buzz», observe Jérémie Abbou, le fondateur de Digitad, une agence spécialisée en marketing Web qui cible les PME.

«Bad buzz» : un effet boule de neige nuisible qui survient sur les réseaux sociaux.

Ignorer ce type d’activité sur la Toile aurait été, selon lui une des pires stratégies qu’une entreprise victime d’un tel buzz puisse adopter. En effet, «si elle ne réagit pas, c’est comme si elle cautionne les gestes commis par ses employés», même si ceux-ci ont été faits en dehors des heures de travail.

Là où la marque française a manqué de doigté, c’est dans la rapidité avec laquelle elle a réagi cette controverse. Elle aurait dû commenter moins de 12 heures après le début de la polémique, plutôt que d’attendre au lendemain, estime l’expert.

La manière et les outils de communication utilisés pour se prononcer doivent correspondre à l’ampleur que prend le bad buzz. En effet, quelques réactions négatives ne mériteraient pas un communiqué de presse, ni même des explications télévisées comme l’a fait la PME française. Mais lorsque la portée de «la première vidéo qui a été mise sur Twitter a généré 17800 retweet et près de deux millions de vues» selon les calcules du fondateur de Digitad, il y a de quoi ramer plus fort.

Toute la complexité du dossier réside toutefois dans la décision que l’entreprise s’est résolue à prendre à l’égard de ses employés qui ont perpétré des gestes racistes. 

En France, un peu comme au Québec, un employeur ne peut congédier un salarié pour des actes commis dans sa vie privée, sauf si ceux-ci «occasionnent un trouble caractérisé, objectif et au sein de l’entreprise», explique l’avocate en droit du travail Sophie Challan-Belval, dans un article du Huffpost

La PME ne pouvait donc pas rapidement mettre à la porte ses employés. Le PDG de l’entreprise, Guillaume Gibault, confirmait toutefois le 15 janvier 2020 que «des procédures légales suivaient leur cours» dans un article de Franceinfo

«Au finale, on a une entreprise prise entre le marteau et l’enclume avec un phénomène de bad buzz où les internautes lui demandent de prendre des actions significatives et majeures, mais le droit l’empêche d’exprimer une position extrêmement claire», résume Jérémie Abbou.

Le Slip français a choisi de faire de la sensibilisation auprès de ses employés en faisant appel à l’organisme SOS Racisme. 
Jérémie Abbou suggère d’ailleurs aux employeurs de passer par la pédagogie en amont d’une telle crise. Ainsi, si des situations du genre se produisent, une société peut démontrer que ces actes ne font réellement pas partie de la culture d’entreprise. 
Cependant, «quand bien même les dirigeants du Slip avaient envoyé le bon communiqué au bon moment avec les bonnes conséquences avec la transparence nécessaire, il y aurait quand même eu un embrasement de la toile.»

Victime des réseaux

Ce qui explique selon lui l’ampleur des répercussions négatives des gestes commis par ses travailleurs dans un cadre privé sur l’image du Slip français, c’est le fait que la marque mise sur sa fierté d’être un produit de France. 

C’est grâce à son savant usage des réseaux sociaux que la PME a cru en popularité depuis sa fondation en 2011.

Dans ce cas-ci, toutefois, «il y a eu un rapprochement direct entre le positionnement de l’entreprise et les agissements de ses employés», le côté pro-français mettant potentiellement en évidence des valeurs pro-blancs. 

Cette impression a d’ailleurs été renforcée lorsqu’a émergé une photo de la direction de la PME sur laquelle ne figure aucune personne issue de la diversité.

Le temps pourra éventuellement atténuer la trace de ces gestes sur la marque. Mais Le Slip français y a perdu beaucoup de crédibilité, croit Jérémie Abbou. «Ils ont des étiquettes qui vont leur coller à la peau (sans faire de mauvais jeux de mots). Ils ont reçu beaucoup de menaces, même l’image du PDG a été entachée», rappelle-t-il.