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 «Sommes-nous influençables?»

Katia Tobar|Publié le 21 août 2024

 «Sommes-nous influençables?»

«Plus un influenceur sera engagé envers sa communauté, plus la relation parasociale sera forte […] Et plus on s’identifie, plus on va reproduire les comportements», affirme Nataly Lévesque, chercheuse en marketing d’influence à l’Université Laval. (Photo: 123RF)

ALGORITHMES. «Sommes-nous influençables?», a questionné l’humoriste française Laura Calu, connue entre autres pour ses parodies de vidéos d’influenceurs, lors d’un spectacle estival au National, à Montréal.

Celle qui s’est fait connaître grâce aux réseaux sociaux en 2014 et qui a joué le jeu du marketing d’influence au début de sa carrière — bien avant que le terme ne devienne populaire — espère provoquer des prises de conscience avec ses mises en scène humoristiques.

«J’ai fait ce que font les influenceurs [au début de ma carrière], je ne me rendais pas compte. Mais ce mot, influenceur, ça m’a choqué tout de suite. Avant, on n’assumait pas à ce point que les gens étaient influençables. C’est flippant d’assumer ça», dénonce-t-elle en entrevue avec Les Affaires.

Alors que le monde entier a les yeux rivés sur le compte Instagram de l’auteure-compositrice-interprète américaine Taylor Swift pour savoir si oui ou non elle donnera publiquement son appui à Kamala Harris, les questions se posent: sommes-nous oui ou non influençables? À quel point faisons-nous confiance à des inconnus lorsque vient le temps de prendre une décision d’achat ou de voter?

Un marché de 24G$US

Avec 21,1 milliards de dollars américains (G$US) dépensés dans le monde en 2023 en marketing d’influence, et 24G$US estimés en 2024 (contre 16,4G$US en 2022), les entreprises semblent miser gros sur ces questions.

Le Digital Marketing Institute estime que chaque dollar américain dépensé dans une campagne de marketing d’influence rapporte 5,78$US aux entreprises. Ce montant peut même atteindre les 18$US pour 1$US dépensé. L’institut indiquait en avril dernier que 60% des spécialistes du marketing prévoient augmenter leurs dépenses en marketing d’influence cette année. Cela n’a rien d’étonnant!

Selon l’agence américaine Matter Communications, «69% des consommateurs font confiance aux influenceurs, aux amis et à la famille plutôt qu’aux marques» pour leurs décisions d’achat. Et «82% ont acheté, recherché ou envisagé d’acheter un produit ou un service après avoir vu des amis, des membres de leur famille ou des influenceurs créer une publication à son propos».

L’humoriste Laura Calu ne passe d’ailleurs pas une semaine sans se faire demander la marque de ses chaussures, de son chandail, ses techniques de maquillage ou la recette de sa sauce à spag (des spaghettis et de la sauce tomate, a-t-elle d’ailleurs dévoilé en exclusivité aux Affaires). Et ce malgré son discours critique des campagnes d’influenceurs, qui n’empêche pas les marques de lui envoyer des dizaines de propositions de contrats par semaine.

«Les gens vont faire confiance à 100% à des personnes qu’ils ne connaissent pas, s’étonne l’humoriste […] Quand on me demande où j’ai acheté ma housse de couette (ou autres items), je réponds que je ne suis pas un catalogue.»

Une échelle pour mesurer l’engagement cognitif et affectif

Si les retombées visibles des campagnes de marketing d’influence, mesurées à coups de «j’aime», de commentaires et de taux de conversion, n’ont plus de secrets pour les marketeurs, Nataly Lévesque, chercheuse en marketing d’influence à l’Université Laval a créé une échelle visant à mesurer l’engagement cognitif, affectif et comportemental des abonnés envers les influenceurs.

«Qu’est-ce qui pousse les gens à avoir ce comportement, à cliquer sur « j’aime », à commenter? Je voulais aller dans la psyché des abonnés», explique-t-elle.

L’échelle prend en considération 5 variables: comment l’abonné se considère dans ses interactions avec un influenceur, l’attachement envers un influenceur, la consultation des contenus (regarder des photos, lire des publications ou regarder des vidéos), la contribution aux contenus publiés par les influenceurs (notamment par les commentaires), et finalement la création de contenus dans lequel l’influenceur va être identifié, afin de susciter son attention et de chercher un niveau supérieur d’interaction.

Les 929 sondés dans le cadre de cette étude publiée en 2023 ont dû noter de 1 à 5 (1 étant le plus faible et 5 le plus fort) 21 affirmations telles que: «Une partie de moi est définie par mes interactions avec mon influenceur» ; «Si mon influenceur ne publie rien pendant un certain temps, je m’inquiète» ; «Mon influenceur me manque lorsqu’il ne publie pas» ; ou encore «Mes journées ne seraient pas les mêmes sans mon influenceur.»

«À force de regarder le quotidien de l’influenceur, un sentiment de proximité se crée, explique Nataly Lévesque. Les abonnés le perçoivent comme un ami. Je ne savais pas à quel point les gens pouvaient dépendre à ce point-là d’un inconnu.»

Pour Nataly Lévesque, si la plupart des répondants sont des «voyeurs», la relation parasociale qui se crée par les réseaux sociaux peut mener jusqu’au développement de sentiments amoureux et même jusqu’à une certaine dévotion, créant des «abonnés évangélistes».

Elle observe également que l’engagement des abonnés est directement lié à la perception d’authenticité des influenceurs. Ce qui explique l’engouement des marques depuis quelques mois pour les micros (entre 10 000 et 100 000 abonnés) et nano-influenceurs (moins de 10 000 abonnés), dont les publications sont plus nichées et qui donnent une plus grande impression de proximité avec leurs abonnés.

«Plus un influenceur sera engagé envers sa communauté, plus la relation parasociale sera forte […] Et plus on s’identifie, plus on va reproduire les comportements», affirme la chercheuse.

Cette échelle de mesure peut permettre aux entreprises d’adapter leurs stratégies marketing en comprenant mieux la relation créée entre les abonnés et les influenceurs. Plus un abonné sera engagé cognitivement, plus cela aura une répercussion sur son comportement. L’échelle peut ainsi amener à modifier le contenu d’une campagne ou la façon dont on s’adresse à une communauté pour passer du simple présentateur de produits à l’effet «meilleur ami» (best friend effect).

Enfin, si votre produit survit au deinfluencing, cette nouvelle contre-tendance qui partage des critiques négatives sur les produits de consommation, sensibilisant du même coup aux risques des mécanismes d’influence.

«C’est un petit moyen de révolte», conclut Nataly Lévesque, observant que les abonnés sont de plus en plus exigeants, critiques et responsables dans leur consommation des réseaux sociaux.