Angelo Noce, associé chez Blakes en fusions et acquisitions et en capital-investissement (Photo: courtoisie)
FUSIONS ET ACQUISITIONS. L’incertitude économique et des taux d’intérêt élevés ont refroidi le marché des fusions et acquisitions depuis deux ans, ce qui favorise désormais les acheteurs par rapport aux vendeurs. Cet environnement macroéconomique et ce nouveau rapport de force ont des conséquences sur les clauses incluses dans les transactions.
« Le marché est plus favorable aux acheteurs et ils exigent davantage en matière de conditions d’achat », croit Angelo Noce, associé chez Blakes en fusions et acquisitions et en capital-investissement.
Par conséquent, de plus en plus de clauses d’indexation sur des bénéfices futurs sont insérées dans les contrats. Si des jalons sont atteints lors des années suivant la transaction, le vendeur s’accorde avec l’acheteur pour lui verser des primes.
« On en voyait peu durant la pandémie, mais c’est plus courant maintenant, explique Angelo Noce. Quand on ne s’entend pas sur la valeur de l’entreprise, on peut donc résoudre cela avec une clause d’indexation. »
Ce mécanisme a plusieurs avantages :
- Il atténue l’incertitude liée à la valeur de l’entreprise ou les bénéfices futurs ;
- Il réduit le prix d’achat et le besoin en financement si le rendement attendu n’est pas atteint ;
- Il prolonge la période de remboursement de l’acquisition ;
- Il répartit mieux le partage des risques avec le vendeur.
Les experts croient que pour qu’elle fonctionne bien, cette clause doit être structurée de manière « gagnant-gagnant ». Si les cibles sont atteintes, le vendeur touche plus d’argent, donc il sera motivé pour y arriver. Du côté de l’acheteur, si les objectifs fixés sont réalisés, cela veut dire que les promesses faites lors de la négociation étaient vraies et que l’entreprise vaut son prix.
« Il faut éviter que la clause ne mène à des disputes, prévient toutefois Angelo Noce. On l’utilise quand le vendeur reste dans l’entreprise. Les objectifs doivent donc être atteignables pour que le vendeur reste mobilisé. On veut aussi que ce soit pour un montant et un temps limité. »
Mieux vaut prévenir que guérir
Le pire des scénarios après une transaction est qu’un conflit éclate entre le vendeur et l’acheteur et que cette dispute s’envenime en débouchant sur de coûteuses poursuites juridiques. Pour éviter une telle situation, les parties peuvent contracter une assurance « représentations et garanties » qui vient protéger l’acheteur contre les pertes qu’il pourrait subir en raison d’une violation des représentations et des garanties faites par le vendeur.
« Aux États-Unis, cela fait une dizaine d’années qu’on l’utilise, mais ici, c’est plus récent, note Angelo Noce. C’est monnaie courante pour les fonds d’investissement qui font beaucoup de transactions. Chaque année, cette police prend de plus en plus d’importance. »
Cette assurance permet aux parties de transférer un certain montant des risques vers l’assureur. Si les prétentions du vendeur se révèlent fausses, l’acheteur pourra se tourner vers l’assureur pour une réclamation au lieu de viser son partenaire qui est généralement toujours lié à l’entreprise après la transaction.
« Cela rend le processus plus expéditif, estime le spécialiste du cabinet d’avocats Blakes. On évite aussi des situations délicates où le vendeur se retrouverait à poursuivre un actionnaire et un dirigeant. Cela limite les disputes potentielles. »
Il fait valoir que le prix de ces polices a diminué récemment en raison de la concurrence entre les assureurs et parce que les options sont multiples.
Des vendeurs moins protégés
De manière générale, les transactions se complexifient. Des questions comme le régime de retraite, des décontaminations de terrain, une dispute fiscale non résolue ou un litige en cours sont des risques qui peuvent même être mitigés par le vendeur.
« Parfois, ces problèmes ne peuvent pas être rectifiés et leur issue reste incertaine, donc on peut demander au vendeur d’assumer le risque pour un point précis, soutient Angelo Noce. On peut également exiger qu’il prenne une police d’assurance à ses frais. »
Alors que l’effervescence de la pandémie avantageait les vendeurs, ces derniers exigeaient souvent une clause pour que la transaction soit considérée comme celle d’une entreprise cotée en Bourse dans laquelle les poursuites contre le vendeur sont impossibles. « En 2021 et 2022, il y en avait plus, car c’était un marché provendeur, précise Angelo Noce. On en voit moins depuis deux ans. »
Dans le même ordre d’idée, les vendeurs peuvent difficilement s’opposer à des stipulations liées à l’obtention de financement. Ces clauses sont plus présentes que durant la pandémie.
Eric Cardinal, conseiller en fusions et acquisitions et vice-président du M&A Club, souligne qu’il y a davantage de conditions rattachées aux plus grandes transactions que celles impliquant de plus petites entreprises. « Avec une entreprise plus petite, cela se déroule plus rapidement, juge-t-il. Il y a moins d’embûches juridiques. »
Pour Étienne Brassard, associé en droit des affaires chez Lavery, les risques redeviennent mieux partagés entre le vendeur et l’acheteur comme c’était le cas avant la période pandémique.
« La course pour conclure la transaction qui faisait qu’on passait outre certaines vérifications diligentes et certaines conditions est terminée, dit-il. Avec un retour à l’équilibre dans la gestion des risques, on revient à la normalité. »