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Andrea Gomez, l’innovatrice persévérante

Camille Robillard|Édition de la mi‑juin 2023

Andrea Gomez, l’innovatrice persévérante

Andrea Gomez, cofondatrice d'Omy Laboratoires (Photo: Martin Flamand)

LE TÊTE-À-TÊTE. Andrea Gomez n’aurait jamais pensé devenir entrepreneuse. C’est pourtant la route qu’elle a empruntée en cofondant Omy Laboratoires avec sa partenaire «complémentaire», Rachelle Séguin, après que son projet de cosmétiques sur mesure fut refusé par L’Oréal. Convaincue du potentiel de son idée, la directrice générale de l’entreprise de soins personnalisés — qui a récemment reçu le prix Manufacturiers innovants Bombardier dans le cadre de la 43e édition du gala des Mercuriades — décide de tracer sa propre voie. Cinq ans plus tard, elle part à la conquête des marchés internationaux. Entrevue avec cette entrepreneuse qui n’hésite jamais à prendre le taureau par les cornes.

 

Vous êtes arrivée de la Colombie à l’âge de 17 ans et vous ne parliez pas français. Aujourd’hui, vous détenez un baccalauréat en administration et un MBA. Comment avez-vous vécu ce processus d’intégration?

Mon père a toujours été exigeant envers ma sœur et moi. C’est un entrepreneur et il veut qu’on soit performantes, qu’on soit à notre meilleur. En arrivant à Québec, où mon père a trouvé un emploi, la directrice de l’école secondaire régulière lui a fait signer un papier en lui disant qu’il était responsable de mon échec puisque l’école n’avait pas les ressources nécessaires pour m’apprendre la langue. Donc, dès mon arrivée, j’ai vraiment été contrainte à me débrouiller par moi-même puisque aucun autre élève ne parlait espagnol. J’avais un dictionnaire et j’ai commencé à communiquer avec des signes. Ç’a été assez difficile, mais ça m’a appris à voir les occasions dans chaque situation et à trouver un moyen de prouver à tout le monde, notamment à mon père, que j’étais capable. Je pense que ç’a forgé un peu mon caractère. Cette année-là, j’ai fini mon cinquième secondaire avec une bourse d’honneur et d’excellentes notes, en plus de passer mon épreuve uniforme de français comme tout le monde, après moins d’un an à apprendre [la langue]. Je pense que c’est la preuve que quand on veut, on peut. Les barrières, souvent, on se les met soi-même.

 

Avant Omy Laboratoires, vous avez vécu un premier échec entrepreneurial. Comment vous êtes-vous relevées de celui-ci?

Au début, Rachelle et moi, on s’est associées avec une troisième personne qui voulait également entreprendre dans le domaine du sur-mesure. On a travaillé une année ensemble, durant laquelle on a fait une étude de marché qui s’est avérée concluante, alors qu’on a vendu plusieurs dizaines de milliers de dollars en produits. Cependant, même si ça allait bien pour la mise en marché, on ne partageait pas les mêmes valeurs et la même vision. Nous étions constamment en chicane. En novembre 2017, j’ai partagé à Rachelle que je ne voulais plus continuer parce que j’étais en train de me rendre malade. Je consacrais toutes mes énergies à quelque chose qui ne créait pas de la valeur, soit de la chicane et de la médiation. Puisqu’on travaillait tellement bien ensemble et qu’on avait des valeurs communes, elle m’a proposé de partir ensemble et de se lancer ensemble. On a donc signé une quittance avec notre ancienne partenaire et on lui a tout laissé. Nous avons vraiment tout perdu, car nous avons vendu l’entreprise pour un dollar, alors qu’on avait investi 15 000$ chacune directement de nos économies personnelles, qu’on avait ramassé en travaillant les soirs pendant nos études. Ç’a été un revirement très difficile. 

Quelque chose qui nous a beaucoup aidées, c’est le mentorat. J’ai fait appel à Sage Mentorat afin de trouver un mentor avec qui partager mes problèmes. Il m’a notamment dit que dans la vie, le plus bel apprentissage qu’on peut faire, c’est à partir des difficultés qu’on rencontre. Ça permet notamment d’apprendre à se connaître. «Fais comme si ton 15 000$ avait été investi dans un cours intensif de la vie, passe à autre chose et concentre-toi sur les choses qui sont à valeur ajoutée.» On s’est donc concentré sur notre vision et sur ce qu’on désirait accomplir. Rapidement, nous nous sommes mises en mode solution, et ça, c’est une de nos forces. Dès qu’on voit un problème, on regarde tous les scénarios possibles, on sort les points positifs et les points négatifs pour chaque situation, que ce soit avec notre personnel, nos partenariats, les investisseurs, etc. 

Plus concrètement, je suis partie à la recherche de subventions et de bourses pendant que Rachelle se concentrait sur la recherche et développement dans l’objectif de développer un produit performant. Cette année-là, j’ai fait des «pitch» comme tu ne peux même pas t’imaginer. Nous avons amassé 147 000$ en bourses. Quand tu vois que les gens croient en toi, ça donne des ailes. On a retrouvé beaucoup de bienveillance dans le domaine des affaires au Québec.

 

Récemment, vous avez bouclé votre première ronde de financement de 11 millions de dollars (M$) avec notamment l’objectif de conquérir le marché américain. Outre l’argent, qu’est-ce qu’une telle croissance implique?

Quand on a démarré l’entreprise, on a eu un premier ange investisseur qui a investi 50 000$. Ça nous a permis d’avoir un montage financier de départ de 250 000$ avec des partenaires plus traditionnels, comme la BDC. Depuis, on n’a pas eu d’autres investissements dilutifs, et ce, jusqu’à notre 11M$. On a donc sauté plusieurs étapes d’investissement grâce à notre belle croissance avec le 50 000$ de départ. On a réussi à créer beaucoup de valeur. 

Actuellement, on a besoin d’aller chercher plus de consommateurs. Ma clientèle est fidèle, et en la grossissant, je vais être capable de générer de la valeur à long terme. Mais pour être capable de profiter du «momentum» — et d’aller faire des gains dans d’autres marchés que celui du Québec, qui sera bientôt saturé —, ça nous prenait beaucoup d’argent. Ça nous prend aussi des partenaires qui croient en notre vision, qui vont nous faire confiance, et des humains avec les compétences et l’expertise pour aller chercher un positionnement à l’international. On est également dans un processus d’automatisation de notre ligne de personnalisation. Ça nécessite des investissements importants, mais ça va nous permettre d’être plus alignées avec la croissance qu’on souhaite avoir.

 

Vous avez développé votre propre programme d’intelligence artificielle, SkinIA, qui permet de personnaliser les produits pour votre clientèle. De quel besoin cette innovation a-t-elle émergé?

Quand on a commencé à faire des boutiques éphémères, en 2018, on devait rencontrer chaque personne afin de les conseiller et de concevoir leurs produits. On s’est rendu compte que nos ressources étaient très limitées. On travaillait de 9h à 21h et ça nous a permis de constater qu’il y avait vraiment une barrière à l’acquisition des consommateurs. Voulant avoir une entreprise avec un positionnement international, on s’est demandé comment on pouvait conseiller notre clientèle qui est à l’extérieur de Québec, et ce, à n’importe quel moment de la journée. C’est de ce questionnement que l’idée de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance faciale est venue. Après avoir participé à plusieurs congrès, Rachelle est revenue avec cette idée qu’on a décidé de développer en interne. Ç’a pris une année complète pour la recherche et pour la création d’une base de données avec des analyses faites par des dermatologues. Ensuite, des spécialistes en chimie et des docteurs en pharmacie sont venus appuyer la démarche. 

On est très fières, car on a été les premières au monde à lancer l’intelligence artificielle pour l’analyse du visage dans l’objectif de concevoir des produits sur mesure. Ç’a vraiment été une solution à un problème qu’on a eu. On veut continuer à innover comme ça, parce que je pense que c’est ce qui va faire en sorte qu’on va se démarquer des gros joueurs de l’industrie qui ont d’énormes budgets. Il faut être vites et innovantes pour être capables de faire notre place.

 

Vous êtes nouvellement maman de jumelles. Comment vivez-vous l’arrimage entre la maternité et votre rôle d’entrepreneuse?

Au début, j’avais des craintes. C’est déjà une grosse nouvelle d’avoir un enfant, ce l’est encore plus d’en avoir deux, surtout dans le contexte actuel de forte croissance. J’étais enceinte quand on a commencé le processus de financement. Quand ça s’est terminé, j’avais déjà accouché et j’ai pris cinq semaines de congés de maternité. Je ne conseille à personne de prendre un congé aussi court. Personnellement, je devais être présente, car je risquais de ne pas avoir mon financement si je m’absentais. J’avais tellement travaillé fort pour ça. Je pense que de bien s’entourer et d’avoir les bons partenaires, autant en affaires qu’en couple, ça fait la différence. Mon conjoint et moi, on a analysé la situation ensemble et puisque j’avais une carrière en croissance, il a décidé de prendre un congé de paternité d’un an pour me permettre de poursuivre mon rêve. 

Est-ce que j’ai un équilibre? La réponse est non. Mais est-ce que je suis heureuse et est-ce que je fais ce que je peux pour être bien dans ma vie personnelle et professionnelle? Oui. Quand je suis au travail, je suis à 100% une entrepreneuse, je donne tout ce que j’ai, et à la maison, je me concentre sur mes deux bébés. Je le fais aussi pour elles. Je veux leur donner l’exemple, leur prouver que peu importe ce qu’on se donne comme défi, on est capable. On peut lever des millions, entreprendre, avoir des entreprises à l’international, même si on a une famille. Je veux qu’elles aient des projets et qu’elles les accomplissent, peu importe les défis.