CA, qui auriez-vous choisi pour remplacer Jeff Bezos?
Sophie-Emmanuelle Chebin|Publié le 01 mars 2021Chez Amazon, même si le processus de recrutement était interne, le successeur de Jeff Bezos devait posséder une personnalité apte à faire face aux défis de l’organisation. (Photo: Getty Images)
BLOGUE INVITÉ. Onde de choc chez Amazon! Jeff Bezos a surpris en cédant sa place de directeur général à son bras droit Andy Jassy. Le fondateur emblématique, qui demeurera président du conseil d’administration, explique qu’il souhaite prendre du recul et consacrer son attention à de nouveaux produits et projets.
Cette décision survient en pleine pandémie, à un moment où l’entreprise connaît une croissance fulgurante, propulsée par l’essor du commerce en ligne et des besoins en informatique nuagique.
L’automne prochain, au moment de la transition, Andy Jassy héritera d’une entreprise puissante, mais qui se trouve dans le collimateur des autorités mondiales. Celles-ci accusent Amazon d’abus de position dominante et de pratiques anticoncurrentielles. C’est sans parler des critiques à l’égard du colosse du commerce en ligne quant aux conditions de travail offertes, à sa gestion de la COVID-19 et à son empreinte environnementale.
Alors que Jeff Bezos avait balayé ces critiques du revers de la main, Andy Jassy devra les affronter directement.
Pour Kara Swisher, icône journalistique de Silicon Valley, la personnalité ouverte, affable et attentionnée du nouveau dirigeant tombe à pic au moment d’affronter les tempêtes interne et externe.
Large mouvement de départs
Le départ de Jeff Bezos et la personnalité du nouveau leader ne surprennent pas Dominique Décarie, présidente de Décarie Recherche de cadres. Dans sa pratique, elle observe que la pandémie — décrite par plusieurs comme un accélérateur — alimente aussi un large mouvement de départs à la retraite, de même que la redéfinition des qualités et compétences requises chez les gestionnaires d’aujourd’hui. Amorcée depuis quelques années, cette redéfinition est maintenant affirmée. Cette évolution a un impact sur les conseils d’administration, qui doivent embaucher les PDG.
Ainsi, la capacité d’inspirer, de mobiliser, de faire émerger l’intelligence collective, de gérer de multiples parties prenantes, d’identifier et créer de nouveaux partenariats, d’innover font partie désormais du vocabulaire RH et des descriptions de poste des PDG.
L’empathie et la bienveillance sont apparues récemment comme étant des qualités hautement recherchées chez les dirigeants. «C’est comme si l’effacement d’une frontière entre le monde du travail et le monde de la maison, induit par le télétravail massif, avait rendu plus humaine et humaniste la description du profil idéal du gestionnaire. Le leadership, hérité de l’ère industrielle, basé sur la hiérarchie et un mode de gestion top down est, pour de bon, rendu caduque, car plus du tout adapté à l’air du temps et aux prérequis de l’organisation du 21e siècle et de ses travailleurs », ajoute-t-elle.
Les CA doivent se réajuster
Entre pénurie de main-d’œuvre et la transition générationnelle si importante entre les baby-boomers et les générations qui les suivent, les administrateurs doivent impérativement «réajuster leur lorgnette».
Dans le contexte actuel, Dominique Décarie se plait à dire à ses clients que «désormais nous ne recherchons plus le bon profil pour le poste, mais bien, la personne de la situation». La «situation» référant au contexte organisationnel, à la culture, au moment de l’histoire de l’organisation, sa stratégie, son positionnement, son écosystème, ses parties prenantes, défis à relever dans les prochaines années, etc.
Remplacer le ou la PDG, c’est jouer l’avenir de l’entreprise. Il faut recruter la personne qui sera en mesure, comme leader, d’incarner au plus près les valeurs de l’organisation et celles qu’elle souhaite véhiculer, en résonance et cohérence avec l’évolution de l’entreprise et de son écosystème. Le CA doit arrimer le profil recherché à la vision de l’organisation et à son plan stratégique. Il doit également penser en termes de complémentarité, notamment avec l’équipe de gestion.
Désormais, le recrutement est une équation à multiples facettes qui se rapproche davantage du «casting» que d’une stricte évaluation de l’expérience et des compétences acquises dans le passé des personnes briguant le poste.
Personnaliser la recherche
On l’aura compris, la standardisation et l’approche transactionnelle n’ont plus leur place en matière de recrutement. Pour Dominique Décarie, «c’est le retour de l’artisan!» Elle note d’ailleurs qu’il faut «personnaliser» au maximum les recherches de hauts dirigeants, les contextualiser afin d’avoir toutes les chances de trouver la perle rare.
Administrateurs, le recrutement de cadres supérieurs doit passer en mode agile. Désormais, le profil recherché se construit au fil du processus de recrutement. Le conseil d’administration et son comité RH/nomination, doivent y être fortement impliqués et investis — dans une série d’aller-retour entre ceux-ci, le marché et la firme de recrutement. Le processus est désormais composé d’ajustements, de remises en question, parfois de deuils de certaines compétences qu’on croyait essentielles et de découvertes de nouveaux profils.
Chez Amazon, même si le processus de recrutement était interne, le successeur du fondateur devait posséder une personnalité apte à faire face aux défis de l’organisation.
Plus près de nous, la COVID-19 a accéléré la transition générationnelle et la pénurie de main-d’œuvre a exacerbé le défi que représente la succession à la tête des organisations.
Le recrutement d’un nouveau dirigeant est plus critique que jamais et relève désormais du périple (journey), avec toute l’imprévisibilité et les ajustements que cela implique. L’impact de cette évolution est majeur et ne peut être sous-estimé par les CA.