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Cinq entrepreneurs venus d’ailleurs

Claudine Hébert|Édition de la mi‑novembre 2019

Des chercheurs de la Colombie-Britannique ont montré que les immigrants détiennent davantage la fibre ...

Des chercheurs de la Colombie-Britannique ont montré que les immigrants détiennent davantage la fibre entrepreneuriale que les Canadiens nés au pays. Ces entrepreneurs venus d’ailleurs seraient également plus enclins à exporter. Japonais, Togolais, Libanais, Portugais, Américains… Cinq portraits d’entrepreneurs immigrants qui, guidés par l’amour, l’amitié ou la famille, ont choisi de faire des affaires au Québec.

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ILS ONT PRÉFÉRÉ MONTRÉAL À LA SILICON VALLEY
Jack Parmer, cofondateur et chef de la direction, Plotly

Comme bien des jeunes Américains, le Vermontois Jack Parmer rêvait de fonder son entreprise à Silicon Valley. Un rêve duquel ce diplômé de génie physique de l’Université Stanford, en Californie, a toutefois rapidement déchanté. «C’est devenu complètement fou et hors de prix de vouloir y démarrer une start-up. Les investissements nécessaires sont exorbitants. De plus, avec leurs salaires faramineux, Google et Facebook y recrutent tous les meilleurs éléments», raconte l’ingénieur de 32 ans, originaire de Burlington.

«Pourquoi ne viens-tu pas à Montréal ?», lui a suggéré son jeune frère Chris, étudiant en mathématiques et en génie électrique à l’Université McGill. C’était en 2013. L’année où a vu le jour le Quartier de l’innovation de Montréal.

L’aîné s’est laissé tenter, puis séduire par la métropole. Il n’était pas débarqué en ville depuis six mois qu’il lançait, en compagnie de son frère, l’entreprise Plotly. Installée dans le Mile-End, cette PME qui offre des solutions d’analyses de données et de visualisation en ligne compte près 100 employés en six ans d’existence.

Pour le moment, plus de 95 % des revenus de la PME montréalaise proviennent des États-Unis. Ce sont principalement des entreprises du milieu gouvernemental, financier, technologique et de l’énergie qui utilisent les solutions de Plotly, indique Jack Parmer. La PME a même quatre employés en poste à Boston et un à Dallas, au Texas. Sans vouloir aller dans les détails, les revenus, dit-il, vont franchir les huit chiffres en 2020. «Depuis quatre ans, nos revenus doublent chaque année», tient-il à préciser.

Comment les deux frères Parmer surmontent-ils la barrière de la langue ? «Nous recrutons principalement notre main-d’oeuvre parmi les diplômés de l’Université McGill. Ce sont en grande majorité des Canadiens et des Américains qui s’expriment tous en anglais.»

«Ce sont tous des experts qui auraient été recrutés par des firmes de Toronto ou de New York ; notre entreprise parvient à les garder à Montréal», conclut M. Parmer.

CRAQUER POUR UNE COPINE, UNE UNIVERSITÉ ET L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE
Miguel Sousa, PDG, Ambioner

En 1998, lorsque le Portugais Miguel Sousa est arrivé à Québec, c’était pour des vacances de sept semaines. «C’était surtout l’occasion de faire connaissance avec les parents de ma copine de l’époque, une Québécoise que j’avais rencontrée à Lisbonne. Jamais je n’aurais cru que cette visite au Canada changerait autant le cours de ma vie», raconte aujourd’hui le PDG d’Ambioner.

Alors âgé de 20 ans, M. Sousa poursuivait son baccalauréat en génie mécanique à l’Université de Lisbonne. Un programme, dit-il, qui était convoité par des milliers étudiants. «Mon ex-copine a eu l’idée de me faire visiter le département de génie de l’Université Laval. Après avoir discuté avec un professeur rencontré dans les couloirs, je suis instantanément tombé sous le charme de cette institution. Quatre mois plus tard, j’étais inscrit au baccalauréat de génie mécanique à Québec sans que je ne sois capable de formuler une phrase complète en français», se souvient l’ingénieur, qui s’exprime aujourd’hui dans un français impeccable.

Après avoir travaillé durant six ans dans une firme spécialisée en efficacité énergétique, M. Sousa a voulu fonder sa propre entreprise dans le domaine. Ainsi est née Ambioner en 2009. «Je l’ai fait avec mon ex-conjointe Sonia Veilleux, elle aussi ingénieure, précise-t-il. Elle est demeurée ma partenaire d’affaires à titre de vice-présidente des opérations.»

L’entreprise, qui célèbre son dixième anniversaire, compte actuellement plus de 50 employés répartis dans trois succursales, à Québec, Montréal et Saguenay. Malgré la forte compétition des géants dans ce domaine, elle a franchi l’an dernier le cap des 5 millions de dollars de revenus.

Et ça ne fait que commencer, soutient M. Sousa. Depuis trois ans, la PME de services en valeur ajoutée s’offre une percée en Ontario. «Ce marché représente déjà plus de 10 % de nos revenus. Le marché du nord-est américain fait aussi partie des visées de l’entreprise», indique-t-il. En attendant, Ambioner participe annuellement à des missions commerciales en Amérique du Nord et en Europe. «Des missions où l’objectif n’est pas tant de décrocher de nouveaux contrats que de tâter le terrain pour améliorer nos pratiques et de recruter des ingénieurs et des techniciens qui viennent d’ailleurs, souligne M. Sousa. Des jeunes qui oseraient, tout comme moi, venir s’établir au Québec.»

UNE GARDERIE PAS COMME LES AUTRES
Yasmine Ghandour, fondatrice et directrice générale, Orchard House

Connaître une expérience de vie à l’international peut inspirer la création d’entreprises qui n’existent pas encore ici. C’est ainsi qu’est née Orchard House, un établissement préscolaire situé dans le quartier Notre-de-Dame-de-Grâce, à Montréal.

Après avoir vécu dans diverses villes telles Londres, Paris, New York et Hong Kong, Yasmine Ghandour et Imad Khalil, Libanais d’origine, ont décidé de s’établir à Montréal pour y élever leur future famille. C’est en cherchant en vain une garderie pour leur petite fille que le couple a décidé de créer Orchard House en 2003. «On ne parvenait pas à trouver un environnement à la fois sécuritaire et axé sur le développement moteur et intellectuel de l’enfant. Ce type d’établissement existe pourtant dans la plupart des grandes villes internationales», explique Mme Ghandour, fondatrice et directrice générale. Elle-même diplômée en éducation, Mme Ghandour poursuit actuellement un doctorat en petite enfance.

De 24 enfants âgés de 1 à 5 ans à ses débuts, Orchard House en accueille aujourd’hui 220, dont plus du quart ont des parents de passage au Québec pour le travail. Les enfants sont répartis entre deux établissements, celui de Notre-Dame-de-Grâce et un second à Pointe-Claire, ouvert en 2010. Cette garderie qui multiplie les activités d’apprentissage, dont celui de l’anglais et du français, a la particularité d’avoir une équipe de plus de 55 éducatrices. Un ratio de un adulte pour quatre enfants, signale fièrement Mme Ghandour.

Évidemment, les coûts sont conséquents. Les frais de garde pour un an peuvent dépasser un peu les frais annuels d’une école privée. Mais la demande est au rendez-vous. L’établissement a une liste d’attente qui compte autant de noms qu’il a de places disponibles.

Pourquoi alors ne pas ouvrir d’autres succursales ? «Nous avons reçu de nombreuses propositions de gens d’ici, mais aussi provenant de Toronto et de certaines villes du Moyen et de l’Extrême-Orient. Ce sont des options que nous étudions sérieusement», soutient M. Khalil, qui veille aux opérations et au développement de la PME. Sauf qu’avant de donner le feu vert à qui que ce soit, il est impératif de s’assurer que les futurs associés respectent la formule d’Orchard House et garantissent un service sans faille à la clientèle, dit-il. À l’heure actuelle, le couple Ghandour-Khalil travaille d’ailleurs sur un projet de garderie à Toronto.

SAVEURS NIPPONES EN OUTAOUAIS
Koichi Watanabe, fondateur et propriétaire, La Soyarie

Koichi Watanabe dirige depuis déjà 40 ans La Soyarie, une entreprise de Gatineau qui produit du tofu biologique. Qu’est-ce qui a bien pu convaincre ce Japonais né à 40 km de Tokyo de venir s’installer au Québec dans les années 1970 ? «Un coup de foudre pour une Franco-ontarienne», répond simplement celui qui vend aujourd’hui pour plus de 5 millions de dollars de tofu par année au Canada.

Attiré par le mode de vie hippie, M. Watanabe a quitté le Japon à l’âge de 22 ans pour aller vivre en Amérique du Sud. C’est au Guatemala qu’il rencontre Francine, originaire de Kapuskasing, dans le nord de l’Ontario. En 1975, au lieu de retourner au Japon, il décide de suivre Francine, alors enceinte de leur premier enfant, pour aller vivre dans une coopérative d’habitation en banlieue d’Ottawa. C’est là qu’il fait la connaissance d’un hippie américain qui possède un livre sur le tofu.

Après quelques années d’essais dans sa cuisine, le couple s’établit dans un local de 1 000 pieds carrés dans le Vieux-Hull pour transformer artisanalement des fèves de soya en tofu selon la tradition japonaise. Si les vertus du produit sont reconnues au Japon depuis plus de 2 000 ans, c’était loin d’être le cas dans l’Outaouais en 1979. «On réalisait des ventes d’à peine 1 500 $ par mois. Le défi était de faire connaître le tofu aux gens de la région, raconte l’entrepreneur de 66 ans. À cette époque, le seul endroit où l’on pouvait écouler notre production, c’était dans une épicerie japonaise qui recevait une toute petite quantité une fois par semaine.»

Grâce à l’apparition de nouvelles boutiques d’aliments naturels et une meilleure connaissance du produit par la population, La Soyarie a déménagé, en 1989, dans des locaux 15 fois plus grands, sur la rue Adrien-Robert, dans le secteur Hull. Ce qui a permis à l’entreprise de passer à une fabrication automatisée et, du même coup, d’augmenter ses revenus.

Aujourd’hui, elle compte plus de 40 employés et plus de 35 % de sa production est vendue ailleurs au pays. En plus de conserver l’actuel bâtiment de 15 000 pieds carrés, l’entreprise vient de déménager une partie de sa production dans un immeuble qui compte plus de 65 000 pieds carrés. «Cela va permettre dès 2020 de doubler la production, et de doubler les revenus de La Soyarie», conclut M. Watanabe.

UN PRO DU CUIR À LA CONQUÊTE DU PAYS… ET DU MONDE
Jude Komi Gbekou, propriétaire, Cuir Esthética

Le Togolais Jude Komi Gbekou est bardé de diplômes universitaires en droit. Pourtant, ne le cherchez pas dans une firme juridique ni à la barre en train de plaider à la Cour. Allez plutôt voir rue Langevin, dans l’arrondissement de Beauport, à Québec, où il a fondé Cuir Esthética, un tout petit atelier de réparation du cuir, en 2006.

«J’ai suivi le conseil d’un ami, spécialiste du cuir, avec qui j’ai travaillé en Allemagne lors de mes études en droit, raconte l’entrepreneur. Quand je lui ai annoncé que je souhaitais aller m’établir au Canada, il m’a dit : si tu n’arrives pas à faire valoir tes diplômes de droit, sors ton diplôme [dans le domaine] du cuir. Lui, il te fera vivre !» M. Gbekou a effectivement satisfait plus de 12 000 clients au cours des 13 dernières années.

Utilisant ses connaissances acquises en Europe et des produits de conception allemande, l’homme d’affaires togolais réhabilite toutes les surfaces de cuir, que ce soit les sièges de voiture, de motoneige et de bateau, le mobilier, les vêtements, les chaussures, les sacs à main… «Les gens commencent à peine à découvrir que le cuir a une durée de vie incroyable», estime-t-il. Son entreprise collabore avec une dizaine de partenaires. M. Gbekou n’aime pas utiliser le mot «employé».

Ce sont des amis, déjà présents à Québec, qui ont incité ce Togolais, sa femme et ses trois enfants à prendre racine dans la Vieille-Vapitale. Un choix de ville, concède-t-il, qui a sans doute ralenti le développement de son entreprise, dont les revenus n’ont pas encore franchi le cap du million de dollars. «Avoir choisi de m’installer à Montréal ou à Toronto dès mon arrivée, des villes où l’on trouve davantage de consommateurs de cuir, les revenus de Cuir Esthética seraient de quatre à cinq fois plus élevés qu’ils ne le sont aujourd’hui», soutient M. Gbekou.

Mais il n’a aucun regret. Son entreprise, dit-il, est sur le point de connaître une vaste expansion. «Depuis un an, l’entreprise a une adresse à Montréal», indique l’expert du cuir. Ottawa, Toronto et la ville de New York figurent aussi dans sa mire.

Le savoir-faire de l’entrepreneur devrait également connaître une percée sur le continent africain : des succursales au Togo, en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Ghana doivent ouvrir leurs portes au cours de l’année 2020.