(Photo: 123RF)
Il y a beaucoup de création d’entreprises au Québec par des entrepreneurs, mais trop d’échecs après quelques années, selon le rapport Global Entrepreneurship Monitor (GEM) sur la situation de l’entrepreneuriat au Québec (2019) présenté vendredi par deux professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
« C’est un trou noir », a dit le coauteur de cette étude, Marc Duhamel, pour décrire cette période intermédiaire suivant le lancement d’une entreprise et sa solidification environ cinq plus tard, lorsqu’il y a des employés et un chiffre d’affaires qui rassure les bailleurs de fonds.
Les plus récentes données de 2019 fournies par le document montrent que la pérennité des nouvelles entreprises est faible dans la province.
« Malgré un entrepreneuriat émergent très dynamique, l’entrepreneuriat établi est en baisse et demeure très bas, indique le rapport. On peut déceler une hausse plutôt constante depuis 2013, ce qui suggère que l’on démarre beaucoup d’entreprises, mais que les personnes les vendent surtout, et les ferment aussi, dans une grande proportion. »
La proportion des nouveaux entrepreneurs au Québec a augmenté en 2019 avec un taux de 7,4 % dans la tranche des gens âgés de 18 à 64 ans. C’est un gain de 3 points de pourcentage depuis 2013, ce qui place le Québec au 4e rang d’un classement effectué auprès de 23 pays dans le cadre de cette recherche. Le reste du Canada fait légèrement mieux en restant en 2e place, avec un taux de 8,2 %.
La situation est beaucoup moins reluisante du côté des entrepreneurs établis, soient ceux qui versent des salaires depuis au moins 42 mois. Il y a seulement 5,3 % d’entrepreneurs établis dans la province, soit la proportion la plus faible depuis la compilation de données en 2013. Le Québec se trouve ainsi au 19e rang du classement mondial, tandis que le reste du pays se trouve en 8e place à 8,1 %.
« C’est inquiétant. La tendance lourde, c’est une lente érosion du nombre d’entrepreneurs établis », a déclaré l’autre coauteur de l’étude, Étienne St-Jean, en entrevue avec Les Affaires.
« C’est une forme de constat d’échec. Pas tant que l’entrepreneuriat ne soit pas en effervescence. Mais si les entreprises qu’on crée finissent par fermer, l’entrepreneuriat n’a pas l’impact souhaité sur l’emploi et l’activité économique. Le portrait est donc moins reluisant », a ajouté le professeur en management des PME à l’UQTR et chercheur de l’Institut de recherche sur les PME.
Pistes de solution
Le rapport ne fournit aucune cause pour expliquer la prépondérance de cette « vallée de la mort ».
Étienne St-Jean mentionne en guise de possibles explications que certains entrepreneurs sous-estiment le temps que leur projet prendra, qu’ils ne fournissent pas assez de temps à des périodes critiques parce qu’ils conservent leur emploi ou tout simplement en raison d’une mauvaise planification ou d’un manque de financement.
Mais il y a peut-être des causes structurelles dans l’écosystème entrepreneurial québécois.
« Il y a beaucoup d’efforts mis sur la création des entreprises, mais peut-être moins ensuite. Quelqu’un qui veut faire croître son entreprise ou dont l’entreprise vivote, il semble y avoir moins d’aide et moins de soutien. C’est un des enjeux », a-t-il mentionné.
Ce constat est partagé par le directeur du département Innovation et Andragogie à École des entrepreneurs du Québec, André Menand.
« Après deux ans, les entrepreneurs sont un peu laissés à eux-mêmes. Il y a beaucoup moins de sources de financement et d’accompagnement. Dans cette zone-là de turbulence, c’est «qui je connais» et «qui peut me donner un coup de pouce» », a-t-il dit lors d’un panel internet tenu lors de la présentation de l’étude.
Il souligne que le démarrage et la croissance ne constituent pas les mêmes défis pour les entrepreneurs.
André Menand préconise des mesures de suivi pour les entrepreneurs qui ont passé le cap des deux ans d’existence comme de l’épaulement. Il a cité en exemple un programme qui existait autrefois à Montréal qui leur permettait d’avoir une vingtaine d’heures d’accompagnement par année. Mais cette initiative a disparu, selon lui, lors des refontes des structures d’aide aux PME.
« Le bébé est parti avec l’eau du bain », a-t-il déploré.
L’accès à des spécialistes et à des formations de groupes est aussi d’après lui une avenue pour transformer celui qui crée en celui qui gère.
Sortir de l’adolescence
Le directeur général du Mouvement des accélérateurs d’innovation du Québec, Louis-Félix Binette, estime aussi que l’engouement pour l’entrepreneuriat que connait la province depuis quelques années n’est pas suffisant.
« Le dynamisme n’est pas porteur du succès entrepreneurial, a-t-il mentionné lors du panel. On est dans une phase adolescente du marché. Actuellement, notre dynamisme ne nous sert pas pour la durée, mais c’est un pas dans la bonne direction. »
Il estime que les organismes d’aide et d’encadrement aux entrepreneurs doivent modifier leur approche pour mieux les accompagner, en fonction du chemin qu’ils ont déjà parcouru. Il propose un « match de soccer où les organismes vont se passer le ballon pour accompagner les entrepreneurs qui progressent ». Dans ce scénario, les entrepreneurs vont faire appel à différentes ressources à chaque étape de leur développement au lieu de rester toujours avec le même partenaire qui ne répond peut-être plus à ses nouveaux besoins.
« C’est un changement de mentalité pour les organismes », a-t-il affirmé.
Louis-Félix Binette croit donc qu’il faut créer des « portes d’entrée standards » pour mieux rediriger les entreprises, car avec un écosystème entrepreneurial qui se complexifie, il peut être plus difficile que par le passé de savoir qu’elle est la bonne porte où frapper.