La course aux obstacles de l’entrepreneuriat immigrant
Emmanuel Martinez|Publié le 08 septembre 2021Les difficultés vécues par les immigrants sont aussi vécues par les Québécois issus de minorités visibles. (Photo: Christina for Unsplash)
«On ne pensait pas que ce serait si long et compliqué», a confié la Française Elodie Lourimi à Les Affaires, à propos de ses démarches pour obtenir du financement pour son entreprise qui permet de vendre et d’acheter des vêtements de seconde main sur le web.
La cofondatrice d’Upcycli a eu toutes les misères du monde à décrocher des prêts bancaires avant d’avoir enfin en main sa résidence permanente en 2020. Elle et son associé ont donc dû sortir de leur poche près de 300 000 $ pour développer leur application.
«On entendait qu’il y avait pleins de choses pour les demandeurs immigrants, mais ce n’est pas une réalité, c’est une façade, dit-elle. Les étapes sont longues.»
Ce constat est aussi un de ceux présentés dans une étude menée par HEC Montréal, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Montréal, Laval et Sherbrooke, ainsi que du Réseau Mentorat qui a été publiée mercredi. Le document, intitulé Entrepreneuriat au Québec : un écosystème inhibiteur ou catalyseur?, révèle qu’il est difficile dans les faits pour les immigrants d’avoir accès aux programmes d’aide gouvernementaux.
«Les banques nous disaient qu’on n’avait pas un historique de crédit ici, dit Elodie Lourimi. On a pu le faire à titre personnel, donc on s’est endettés. Puis maintenant, on nous dit que notre cote n’est pas bonne pour pouvoir emprunter, car on est trop endettés personnellement.»
«On entendait qu’il y avait pleins de choses pour les demandeurs immigrants, mais ce n’est pas une réalité, c’est une façade», dit la cofondatrice d’Upcycli, Elodie Lourimi. (Photo: courtoisie)
Même problème pour les minorités
Ces difficultés ne sont pas seulement vécues par des immigrants, mais aussi par des Québécois de minorités visibles.
«Cela devient plus compliqué lorsqu’on n’est visuellement pas originaires d’ici, explique Sam Bellamy, une Montréalaise qui a fondé Bazookka, qui a créé des outils technologiques en ressources humaines et en éducation. On remet en doute tes compétences et la connaissance de tes produits.»
Pour cette raison, Mme Bellamy endosse une recommandation de l’étude menée par HEC Montréal, qui consiste à réorganiser l’écosystème d’aide pas seulement sur une base sectorielle, mais aussi sur les profils des entrepreneurs (Autochtones, femmes, Noirs, etc.).
«Il faut arrêter de voir la diversité comme un seul groupe, affirme Mme Bellamy. Il faudrait avoir des fonds pour les Arabes, les Latinos, les membres des LGBTQ++, etc. La diversité, c’est un million de réalités différentes.»
Tout comme le rapport, Elodie Lourimi et Sam Bellamy déplorent également le peu de diversité chez les gens qui évaluent leurs projets afin de les financer. Ceci engendre souvent un manque de compréhension et des biais.
«Ce n’est pas volontaire, mais il y a une réalité qui n’est pas mise en valeur», regrette la dirigeante de Bazookka.
Et l’étude souligne bien que le potentiel entrepreneurial est clairement sous-utilisé au Québec. La recherche précise que 28 % des immigrants comptent se lancer en affaires, contre 14,7 % des natifs, mais qu’en fin de compte, le taux de création est presque pareil (5,9 % pour les immigrants contre 5,5 % pour les natifs).
«Par conséquent, même si l’écosystème semble inclusif et égalitaire, grâce, entre autres, aux nombreux organismes et aides destinées aux personnes cibles, ce n’est pas le cas dans les faits», peut-on lire dans le document.
«Si tu n’as pas le bon nom et la bonne couleur, tu dois bûcher plus dur et c’est injuste, affirme Sam Ballamy. Mais tout est possible si de nouveaux programmes s’en viennent. Il ne faut pas lâcher.»