«Le problème n’est pas la fin imminente du TV Hebdo. C’est le détournement de toute une industrie. Une industrie culturelle qui se voulait distinctive. Un peu de qui nous sommes.» (Photo: 123RF)
Un texte Jules Faulkner Leroux, auteur et facteur, Montréal
COURRIER DES LECTEURS. Le père Noël a apporté une Play Station 4 durant le temps des Fêtes. Alors j’ai installé une petite pièce de jeux dans le sous-sol et j’ai acheté une télévision. Rien de compliqué, j’ai pris une télévision pas chère. De base.
Les enfants étaient excités. Ils ont dû jouer pendant un bon deux trois heures. Mais après quatre ou cinq heures, ma blonde s’est inquiétée:
– Ils jouent encore à des jeux vidéos?
Après vérifications:
– Non, lui dis-je. Ils regardent la télé.
Ma blonde me regarde à nouveau, mais d’un air perplexe:
– Tu as branché le câble sur la télévision en bas?
Il se trouve que même la plus nunuche des nouvelles télévisions est devenue relativement intelligente.
– Non chérie, je n’ai pas branché le câble sur la télévision en bas. Mais il y a Netflix, Prime Video, Disney… et YouTube qui sont déjà installés dessus. C’est comme ça, les nouvelles télévisions, maintenant. Plus besoin du câble.
De quoi passer des heures, des jours, des semaines entières sans visionner le moindre contenu produit ici, au Québec.
Ma job de jour, c’est facteur. Jusqu’à l’année passée, je livrais encore quelques TV Hebdos à de fidèles abonnés. Depuis quelques mois, il ne reste plus que madame Lisette à qui je le livre.
Je me demande parfois ce que ça signifiera lorsque j’aurai livré le dernier TV Hebdo. Certains vont me taxer d’être nostalgique: le TV Hebdo? Vraiment? Com’on! T’ennuies-tu des Pages jaunes aussi? Je ne m’ennuie pas des Pages jaunes, non. Mais je remarque quand même ceci: quand il y avait les Pages jaunes, bin on s’appelait. Pis maintenant, on ne s’appelle plus: on se courriel; on se chat; on se «mp» sur Messenger; pis on s’envoie des textos. Ok, mais c’est quoi le rapport avec le TV Hebdo pis le câble? Le rapport c’est qu’avec le câble, on se voyait. C’était pas toujours de grandes choses qu’on regardait ensemble, des petits moments, La P’tite Vie quoi. Mais on avait un aperçu de qui on était, un genre de reflet qui nous permettait d’en rire ou d’en pleurer; de s’en chicaner, de s’en raconter. De s’appeler, pour en discuter.
Mon fils est remonté du sous-sol:
– Papa, papa, ça va être top la PS4! J’ai vu un mec jouer, il était trop aggro et il a finit par se faire ban! Askip il faut pas gamer comme ça!
Non seulement il me dit tout ça comme ça, sans que je n’y comprenne grand-chose, mais il me le dit avec un pseudo accent français.
– Tu écoutais quoi, en bas?
– Oh, juste un mec français qui gamait sur YouTube, pourquoi?
…
– Chérie! Chéééééérie!
– Quoi bon sang!?
– Je pense que je vais brancher le câble sur la télévision du sous-sol finalement.
Le problème n’est pas la fin imminente du TV Hebdo. C’est le détournement de toute une industrie. Une industrie culturelle qui se voulait distinctive. Un peu de qui nous sommes.
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