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L’aide aux biotechs est mésadaptée, croit BIOQuébec

Emmanuel Martinez|Mis à jour le 11 octobre 2024

L’aide aux biotechs est mésadaptée, croit BIOQuébec

«On n’a pas beaucoup d’argent et on ne l’utilise pas de manière efficiente», affirme le PDG de BIOQuébec, Benoit Larose. (Photo: BIOQuébec)

L’appui fourni aux jeunes entreprises biotechnologiques québécoises par l’État répond mal à leurs besoins, selon BIOQuébec.

L’Association qui représente environ 235 organisations de l’industrie des biotechnologies et des sciences de la vie veut ramener les pendules à l’heure alors que le gouvernement mène des consultations de mi-parcours concernant la Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation (SQRI2) lancée en 2022, et qui s’échelonne jusqu’en 2027.

«Les programmes qui émanent de la SQRI2 ne sont pas adaptés à notre domaine, affirme en entrevue le PDG de BIOQuébec, Benoit Larose. On n’arrive pas à faire sortir les innovations des laboratoires.»

Le patron estime que la SQRI2 est une «bonne politique», mais le financement pose problème dans cette industrie où les délais sont beaucoup plus longs qu’ailleurs avant de commercialiser une solution.

«Les programmes de financement non dilutif allouent des sommes insuffisantes, mentionne-t-il.  De plus, les critères pour les débourser ne sont pas évidents.»

Trop de lourdeur

Benoit Larose reproche notamment le temps en paperasserie qui accapare les entrepreneurs pour obtenir de l’aide, les délais d’attente pour l’examen des dossiers et le fait que les montants sont souvent trop faibles pour aller une fois pour toutes de l’avant, ce qui retarde tout le processus visant à vérifier si une molécule ou un traitement est viable commercialement.

«Notre industrie est comparable à celle de l’aéronautique qui est extrêmement réglementée, précise Frédéric Leduc, chef de la direction scientifique d’EVAH-Evolution for Animal Health. Cela peut prendre 10 à 15 ans pour développer chacun des morceaux de l’avion. C’est la même chose en biotechnologies, mais cela peut avoir un grand impact économique et social. C’est lent et cela nécessite beaucoup de capitaux. Les programmes ne sont pas adaptés à cette réalité.»

Puisque l’argent du privé se fait extrêmement rare ici avant la phase clinique en raison des risques d’échec trop élevés, les entrepreneurs doivent se démener pour trouver des capitaux, perdant ainsi du temps précieux pour faire avancer leur innovation. «On n’est donc jamais positionné pour la prochaine étape, juge Frédéric Leduc. Pour attirer du capital privé en amont, on devrait faire comme en Colombie-Britannique où les anges investisseurs reçoivent un crédit d’impôt, ce qui leur permet de prendre un risque plus tôt.»

Vincent Ménard, chef de la direction financière de la biopharmaceutique Feldan, croit aussi que des allégements pour les investisseurs sont cruciaux, surtout pour ce qu’il appelle «la vallée de la mort». Cette période correspond aux premiers essais concernant l’efficacité de la solution et sa toxicité, réalisés notamment sur des animaux. «On ne cracherait pas sur plus de programmes d’aide durant la vallée de la mort, mais ce n’est pas une solution durable à long terme, déclare-t-il. Il faut créer un écosystème autosuffisant avec des investisseurs.»

À cet égard, il regrette que certains fonds publics et parapublics devant être investis ici soient dépensés à l’extérieur du Québec. «Cela ne marche pas très bien, dit-il.  C’est trop permissif.»

Problèmes avec les universités

Un autre reproche que fait BIOQuébec, c’est que les sommes pour développer des médicaments ou des traitements doivent souvent être dépensés dans une université, ce qui ralentit l’innovation.

«Cela vient du principe que le gouvernement pense que l’innovation ne vient que des universités», déplore Frédéric Leduc d’EVAH.

Or, ce travail mené par les universités n’est pas homologable et doit donc être refait par la suite, affirme BIOQuébec. De plus, les universités exigent des sommes pour couvrir leurs coûts et le rythme d’expérimentation est parfois considéré comme trop lent. Malgré tout, plusieurs start-ups doivent à contrecoeur faire affaire avec une université, parce que la subvention l’exige.

 «Il faut que le promoteur du projet ait le choix de faire son travail dans un laboratoire universitaire ou de travailler avec un laboratoire de recherche industriel», affirme Benoit Larose

Les acteurs de l’industrie estiment qu’en raison d’un manque d’équipements et de standards réglementaires, les universités ne sont pas nécessairement les meilleures pour traduire de la recherche fondamentale en innovation appliquée.

«Il existe une culture à l’université qui n’a pas le réflexe de valoriser cette innovation, ajoute Frédéric Leduc. Par exemple, pour devenir un professeur titulaire, il y a plusieurs critères comme avoir publié, avoir obtenu du financement et avoir rayonné dans la communauté. Toutefois, les brevets ne sont pas comptés dans cette évaluation-là. Les professeurs qui créent de l’innovation ne sont pas récompensés. Ceux qui partent des entreprises ne sont pas appréciés. Ils sont vus comme allant du côté sombre de la force, du côté du commerce.»

Il reconnait qu’un changement de mentalité s’opère dans les campus, mais que cette culture toujours présente fait qu’il y existe un fossé entre l’innovation et la commercialisation.

Il ajoute aussi que ce creux est également accentué par l’inexpérience des professeurs qui se lancent dans l’entrepreneuriat. «Ceux qui deviennent PDG pour la première fois sont désavantagés pour recevoir du financement public ou privé, soutient-il. On leur fait moins confiance. On n’a pas les mécanismes pour amener à maturité ces gens de talents.»

Par rapport à son voisin américain, l’argent privé se fait beaucoup plus rare pour l’innovation au Québec. Bien conscients des contraintes budgétaires de l’État, les protagonistes de l’industrie des biotechnologies aimeraient voir la mise sur pied d’un système de financement plus prévisible, moins à la pièce, qui permettrait aux start-ups de progresser par étape, avec moins de pauses forcées. Et également d’avoir plus de flexibilité quant à la façon de dépenser ces fonds, afin d’avancer plus rapidement pour convaincre des investisseurs.

«On n’a pas beaucoup d’argent et on ne l’utilise pas de manière efficiente», conclut le PDG de BIOQuébec, Benoit Larose.