Le brique et mortier n’est pas mort, vive le brique et clic
Catherine Charron|Publié le 17 avril 2019Elle est révolue, l’époque où les boutiques sur le web et physique évoluaient en parallèle l’une par rapport à l’autre.
Elle est révolue, l’époque où les boutiques sur le web et physique évoluaient en parallèle l’une par rapport à l’autre. Le brique et mortier n’est pas mort, mais il doit évoluer, et cette transition est indissociable de son pendant numérique.
Dans la plus récente mouture de l’enquête NETendance du Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO), on apprend que 72% des internautes auraient consulté l’inventaire d’un magasin via son site web avant de se rendre en boutique.
Cinquante-six pour cent des Québécois auraient même utilisé leur appareil mobile alors qu’ils couraient les rayons d’une boutique, ce qui représente une hausse de 18 points de pourcentage par rapport à 2017. De ce nombre, la moitié a usé de son téléphone intelligent pour s’informer sur un produit, ou pour demander l’avis d’un proche depuis les réseaux sociaux (37%).
L’organisme, qui a commencé à se pencher sur cette nouvelle manière de magasiner il y a environ quatre ans, observe que son taux d’adoption est en forte hausse.
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Les entreprises ne doivent donc plus négliger de mettre à la disposition du consommateur l’information relative à son inventaire, soutient le chef communications et mise en valeur des projets du CEFRIO, Raymond Poirier: « on peut imaginer que ça peut même représenter un frein à certains égards [si l’inventaire n’est pas à jour] », dit-il.
Si, par le passé, les entreprises de commerce de détail estimaient, «avec raison», que les consommateurs utilisaient les canaux numériques et physiques de manières distinctes, ce n’est plus le cas aujourd’hui affirme le conseiller, consommateur numérique chez Deloitte, Thomas Lalonde.
Il ne s’étonne donc pas de voir des entreprises qui ont démarré leurs activités uniquement sur le web faire le pari que le brique et mortier soit encore pertinent dans leur modèle d’affaires, puisque les deux canaux remplissent des fonctions différentes.
Il note toutefois que la nature du produit vendu par l’entreprise en question influence l’usage qu’en fera le consommateur.
Pour le détaillant de lunettes BonLook, qui vendait à ces débuts des montures et des verres de prescriptions uniquement sur le web, l’ouverture de point de vente physique est devenue une nécessité. «On avait de la difficulté à rejoindre 95% de nos clients potentiels parce qu’on ne leur offrait pas la possibilité d’essayer [les paires]», raconte sa cofondatrice Sophie Boulanger.
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Exit le multicanal, bonjour l’omnicanal
Les consommateurs transforment leur expérience de magasinage traditionnelle, et ne font plus la distinction entre ces deux canaux. Par exemple, ils s’informent depuis les réseaux sociaux et le web avant de se rendre en magasin pour observer les produits présélectionnés.
« Dans un monde idéal, le vendeur serait en mesure de nous reconnaître, saura quels produits j’ai déjà regardé et pourra m’expliquer de façon proactive pourquoi le produit A est meilleur que le produit B. On pourrait ensuite l’acheter directement sur le web ou l’application mobile », illustre Thomas Lalonde.
Ainsi, les entreprises doivent prendre en considération tous ses points de contact avec sa clientèle dans son modèle d’affaires, les intégrer, et mettre à profit les informations qu’elles en tirent pour que l’expérience de magasinage soit la plus fluide possible.
En d’autres termes, les entreprises doivent utiliser la stratégie omnicanal, croit Thomas Lalonde, qui s’est intéressé à l’impact de l’implantation d’une telle stratégie sur le modèle d’affaires d’une entreprise dans son mémoire déposé en 2015 à HEC Montréal. « L’omnicanal prend en considération dans un même processus d’achat autant les points de contact numériques que ceux qui sont hors-ligne, contrairement au multicanal », explique-t-il.
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Aldo l’a bien compris. En 2016 l’entreprise a constaté que les boutiques avaient encore un rôle à jouer dans l’équation. À Houston notamment, elle a mis la clé sous la porte de deux de ses sept points de vente de la région. Dans les quartiers adjacents aux boutiques fermées, les ventes en ligne ont diminué. « Cette idée que l’on puisse fermer des magasins et récupérer ces clients sur ton site web, ce n’est pas vrai », croit le PDG de l’entreprise, David Bensadoun.
Depuis, l’entreprise s’est dotée d’un outil de gestion de l’inventaire qui lui permet de savoir en temps réel dans quelles boutiques se trouvent ses chaussures. Les employés peuvent le consulter, tout comme les clients qui naviguent sur le site web du détaillant. Et « si jamais ils n’ont pas [une paire] en magasin, ils peuvent la commander [depuis la boutique la plus proche] et l’envoyer à domicile en moins de 24H ».
Pour parvenir à offrir un tel service, Aldo a revu la mission de ses boutiques et a décentralisé son inventaire, qui est maintenant entreposé en grande partie dans chaque magasin équipé du matériel nécessaire pour envoyer des paquets.
Du chemin à faire
Ce changement de paradigme est plus facile à dire qu’à faire, car les entreprises comme Aldo ne sont pas légion.
« Le plus grand frein à l’émancipation de l’expérience omnicanal du point de vue du détaillant, c’est l’attribution des ventes, parce que les canaux demeurent en compétition », a observé Thomas Lalonde lors de sa recherche qui a commencé en mai 2015.
Mettre en place une telle stratégie requiert de l’investissement, pour développer une technologie qui permet de retracer l’ensemble des points de contacts en ligne et hors ligne, et gérer la logistique.
L’outil développé par Aldo a engendré des dépenses de l’ordre de 15 millions de dollars, et coûte 2M$ par année en optimisation, raconte David Bensadoun.
Frank and Oak, qui a commencé ses activités sur le web en 2015, investit régulièrement dans ses différents points de contacts avec sa clientèle. Le jeu en vaut la chandelle selon Ethan Song, le co-fondateur de la marque, surtout si l’entreprise entre en compétition avec des plus gros joueurs. «Au fur et à mesure que tu veux faire grossir la compagnie c’est sûr et certain qu’il y a des investissements à faire, en technologie, en marketing, et [dans le développement de ton] produit», affirme-t-il.
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Il n’en demeure pas moins que le web et les boutiques physiques doivent être utilisés de concert, selon tous les spécialistes consultés. « Ce qu’on a constaté, c’est que ce ne serait pas payant à long terme de ne pas avoir un contact avec le client, et le seul endroit pour avoir un client, c’est dans les boutiques », résume Léopold Turgeon, le président-directeur général du Conseil québécois du commerce de détail.
Même son de cloche du côté de Thomas Lalonde de chez Deloitte : « avoir des boutiques physiques et numérique est une nécessité […] parce qu’on donne l’ensemble des options possibles pour s’assurer que le client à acheter avant de quitter mon site web ou mon magasin. »
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