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L’entrepreneur punk anticapitaliste

Emmanuel Martinez|Édition de la mi‑novembre 2021

L’entrepreneur punk anticapitaliste

Alex Bastide, fondateur de la chaîne de restaurants L’Gros Luxe (Photo: Dan Mathieu)

DES LEADERS ET DES MOTS. Rares sont les entrepreneurs qui se disent anticapitalistes. Mais c’est bien le cas d’Alex Bastide, qui avait fondé les défuntes boutiques Underworld et qui est derrière les restaurants L’Gros Luxe.

Cette chaîne de restauration s’est étendue à l’extérieur de Montréal pour s’établir notamment à Québec, Saguenay et Victoriaville. Elle compte aujourd’hui plus de 300 employés.

Celui qui croit qu’on devrait « crisser le feu au capitalisme » raconte son parcours atypique dans Sortir du cadre, qu’il a coécrit avec la journaliste Judith Lussier. Ce livre offre une succession d’anecdotes croustillantes et de leçons d’affaires, le tout enrobé de nombreuses images et d’un graphisme se rapprochant de la culture de rue, dont il a fait la promotion. 

« Ça peut te paraître contradictoire, être punk et entrepreneur, mais après plus de 25 ans en affaires, j’ai appris à embrasser mes contradictions tout en restant fidèle à mes valeurs », dit d’emblée Alex Bastide.

Celui qui a misé sur sa passion pour le skateboard et le punk rock s’est lancé jeune dans l’entrepreneuriat. À 19 ans, il a fondé en 1995 sa première entreprise, Underworld, liée aux planches à roulettes, aux vêtements et à la musique underground.

« Je suis devenu entrepreneur à la fois par accident et par nécessité, écrit-il. J’ai toujours su que je ne voudrais jamais travailler pour quelqu’un, mais qu’il faudrait bien que je trouve un moyen de gagner ma vie. Ado, je constatais qu’être anticonformiste constituait une barrière, mais j’ai décidé d’en faire une rampe de lancement. »

À sa grande surprise, sa boutique d’Ahuntsic à Montréal est rapidement devenue rentable.

« Après mon premier Boxing Day, j’avais déjà pu commencer à rembourser mes prêts, confie-t-il. Il faut dire que je n’avais pas beaucoup de dépenses : j’habitais toujours chez ma mère et je n’avais comme frais fixes qu’un loyer commercial de 800 $, que j’amortissais en sous-louant une partie de mon local. La première année, j’ai fait un chiffre d’affaires de 300 000 $. »

 

Drôles de cartes professionnelles

Pour faire sa marque, il s’est impliqué de mille et une façons pour promouvoir la scène musicale underground et le skateboard à Montréal. « Ma motivation n’était pas l’argent, c’était de m’impliquer dans ma communauté et de créer des liens, raconte-t-il. Dès les débuts d’Underworld, je m’étais investi, organisant des collectes de fonds et partageant avec générosité mes connaissances sur la musique punk. »

Faisant preuve d’ingéniosité, Alex Bastide avait même transformé un local dans son arrière-boutique pour accueillir des spectacles. Il est alors devenu très engagé dans la promotion de spectacles et la vente de musique marginale. Son récit offre un point de vue unique sur les dynamiques qui existaient dans ce milieu. Dans ce monde où drogues et partys s’entremêlaient joyeusement, il a fait preuve de créativité pour se faire connaître, ici, mais aussi ailleurs au Canada et aux États-Unis.

« Pour me faire remarquer, j’avais fait imprimer des cartes professionnelles pointillées et prêtes à être découpées en filtres de joint. Les gens ne voulaient pas une carte : ils m’en demandaient une pile ! J’allais à fond dans les RP, parlant à tous les représentants et tentant de bâtir des relations personnelles avec eux. »

 

Vols 

Son approche peu orthodoxe, dont l’embauche de jeunes pas toujours fiables, a contribué à son succès, mais lui a parfois nui.

« J’ai réalisé que je subissais beaucoup de vols, dont environ 30 % provenaient malheureusement de l’interne. Je le savais que ça venait de mes vendeurs parce que c’était des produits sous clé qui disparaissaient. Ça, ça fait mal quand t’es une business aussi soudée, où la plupart de tes employés sont aussi tes chums. Tu te sens trahi et tu deviens suspicieux envers tout le monde. » 

Malgré tout, Underworld grandit et ouvre un total de quatre boutiques, dont une à Vancouver. Alex Bastide fait même la une du journal Les Affaires en 2010, alors qu’il vivait dans la métropole de la Colombie-Britannique.

 

Restauration

Ce rêve va s’éteindre lorsque ses boutiques vont tour à tour fermer leurs portes dans la foulée de la crise financière de 2008. Son entreprise déclare donc faillite en 2012.

« C’est vraiment le genre de move qui te rend malade, mentionne-t-il. Ç’a été horrible. »

De retour à Montréal avec peu d’argent dans son compte de banque, il concentre son énergie sur son Cabaret Underworld, qu’il avait sauvegardé. Ce lieu fera sa place sur la scène musicale montréalaise en accueillant du hip-hop, ce qui entraînera son lot de péripéties.

« La quantité de drogue qui se consommait là était assez incroyable. […]. Si la police était débarquée, elle aurait tout de suite vu que c’était hors de contrôle. Avec les rappeurs, t’en vois de toutes les couleurs. Sérieux, à côté de ça, les skaters, c’est des enfants de chœur ! »

Après deux ans, il avait toutefois rentabilisé sa salle de spectacle et remboursé la plupart de ses dettes. Il a pu ainsi économiser pour lancer L’Gros Luxe en 2014, juste avant de mettre fin à son cabaret en janvier 2015. « Je réalisais que j’étais vraiment plus capable de dealer avec des gens saouls à 6 h du matin », dit-il.

Pour son restaurant, son modèle d’affaires était simple : offrir de la nourriture à petit prix et faire ses profits avec l’alcool, spécialement la vente de cocktails, qui devenaient soudainement très prisés. Dans son livre, il revient notamment sur la saga entourant des plaintes de citoyens du Plateau qui ne voulaient pas de son resto dans leur voisinage.

En plus de nous ouvrir les yeux sur la scène des skaters, du punk rock et du hip-hop, cet ouvrage aborde une quantité de métamorphoses économiques dignes d’intérêt. Que ce soit la transformation de la vente au détail, l’arrivée du commerce en ligne, l’importance des marques, la montée des hipsters et la fin de la vente de musique en magasin, Alex Bastide lève non seulement le voile sur son expérience, mais aussi sur celle de toute une génération.

Sortir du cadre, d’Alex Bastide et Judith Lussier, est publié aux éditions Cardinal.

 

Rares sont les entrepreneurs qui se disent anticapitalistes. Mais c’est bien le cas d’Alex Bastide, qui avait fondé les défuntes boutiques Underworld et qui est derrière les restaurants L’Gros Luxe.
Cette chaîne de restauration s’est étendue à l’extérieur de Montréal pour s’établir notamment à Québec, Saguenay et Victoriaville. Elle compte aujourd’hui plus de 300 employés.
Celui qui croit qu’on devrait « crisser le feu au capitalisme » raconte son parcours atypique dans « Sortir du cadre », qu’il a coécrit avec la journaliste Judith Lussier. Ce livre offre une succession d’anecdotes croustillantes et de leçons d’affaires, le tout enrobé de nombreuses images et d’un graphisme se rapprochant de la culture de rue, dont il a fait la promotion. 
« Ça peut te paraître contradictoire, être punk et entrepreneur, mais après plus de 25 ans en affaires, j’ai appris à embrasser mes contradictions tout en restant fidèle à mes valeurs », dit d’emblée Alex Bastide.
Celui qui a misé sur sa passion pour le « skateboard » et le punk rock s’est lancé jeune dans l’entrepreneuriat. À 19 ans, il a fondé en 1995 sa première entreprise, Underworld, liée aux planches à roulettes, aux vêtements et à la musique « underground ».
« Je suis devenu entrepreneur à la fois par accident et par nécessité, écrit-il. J’ai toujours su que je ne voudrais jamais travailler pour quelqu’un, mais qu’il faudrait bien que je trouve un moyen de gagner ma vie. Ado, je constatais qu’être anticonformiste constituait une barrière, mais j’ai décidé d’en faire une rampe de lancement. »
À sa grande surprise, sa boutique d’Ahuntsic à Montréal est rapidement devenue rentable.
« Après mon premier “Boxing Day”, j’avais déjà pu commencer à rembourser mes prêts, confie-t-il. Il faut dire que je n’avais pas beaucoup de dépenses : j’habitais toujours chez ma mère et je n’avais comme frais fixes qu’un loyer commercial de 800 $, que j’amortissais en sous-louant une partie de mon local. La première année, j’ai fait un chiffre d’affaires de 300 000 $. »
Drôles de cartes professionnelles
Pour faire sa marque, il s’est impliqué de mille et une façons pour promouvoir la scène musicale « underground » et le skateboard à Montréal. « Ma motivation n’était pas l’argent, c’était de m’impliquer dans ma communauté et de créer des liens, raconte-t-il. Dès les débuts d’Underworld, je m’étais investi, organisant des collectes de fonds et partageant avec générosité mes connaissances sur la musique punk. »
Faisant preuve d’ingéniosité, Alex Bastide avait même transformé un local dans son arrière-boutique pour accueillir des spectacles. Il est alors devenu très engagé dans la promotion de spectacles et la vente de musique marginale. Son récit offre un point de vue unique sur les dynamiques qui existaient dans ce milieu. Dans ce monde où drogues et partys s’entremêlaient joyeusement, il a fait preuve de créativité pour se faire connaître, ici, mais aussi ailleurs au Canada et aux États-Unis.
« Pour me faire remarquer, j’avais fait imprimer des cartes professionnelles pointillées et prêtes à être découpées en filtres de joint. Les gens ne voulaient pas une carte : ils m’en demandaient une pile ! J’allais à fond dans les RP, parlant à tous les représentants et tentant de bâtir des relations personnelles avec eux. »
Vols 
Son approche peu orthodoxe, dont l’embauche de jeunes pas toujours fiables, a contribué à son succès, mais lui a parfois nui.
« J’ai réalisé que je subissais beaucoup de vols, dont environ 30 % provenaient malheureusement de l’interne. Je le savais que ça venait de mes vendeurs parce que c’était des produits sous clé qui disparaissaient. Ça, ça fait mal quand t’es une « business » aussi soudée, où la plupart de tes employés sont aussi tes chums. Tu te sens trahi et tu deviens suspicieux envers tout le monde. » 
Malgré tout, Underworld grandit et ouvre un total de quatre boutiques, dont une à Vancouver. Alex Bastide fait même la une du journal « Les Affaires » en 2010, alors qu’il vivait dans la métropole de la Colombie-Britannique.
 
Restauration
Ce rêve va s’éteindre lorsque ses boutiques vont tour à tour fermer leurs portes dans la foulée de la crise financière de 2008. Son entreprise déclare donc faillite en 2012.
« C’est vraiment le genre de “move” qui te rend malade, mentionne-t-il. Ç’a été horrible. »
De retour à Montréal avec peu d’argent dans son compte de banque, il concentre son énergie sur son Cabaret Underworld, qu’il avait sauvegardé. Ce lieu fera sa place sur la scène musicale montréalaise en accueillant du hip-hop, ce qui entraînera son lot de péripéties.
« La quantité de drogue qui se consommait là était assez incroyable. […]. Si la police était débarquée, elle aurait tout de suite vu que c’était hors de contrôle. Avec les rappeurs, t’en vois de toutes les couleurs. Sérieux, à côté de ça, les « skaters », c’est des enfants de chœur ! »
Après deux ans, il avait toutefois rentabilisé sa salle de spectacle et remboursé la plupart de ses dettes. Il a pu ainsi économiser pour lancer L’Gros Luxe en 2014, juste avant de mettre fin à son cabaret en janvier 2015. « Je réalisais que j’étais vraiment plus capable de “dealer” avec des gens saouls à 6 h du matin », dit-il.
Pour son restaurant, son modèle d’affaires était simple : offrir de la nourriture à petit prix et faire ses profits avec l’alcool, spécialement la vente de cocktails, qui devenaient soudainement très prisés. Dans son livre, il revient notamment sur la saga entourant des plaintes de citoyens du Plateau qui ne voulaient pas de son resto dans leur voisinage.
En plus de nous ouvrir les yeux sur la scène des « skaters », du punk rock et du hip-hop, cet ouvrage aborde une quantité de métamorphoses économiques dignes d’intérêt. Que ce soit la transformation de la vente au détail, l’arrivée du commerce en ligne, l’importance des marques, la montée des hipsters et la fin de la vente de musique en magasin, Alex Bastide lève non seulement le voile sur son expérience, mais aussi sur celle de toute une génération.