C'est connu, le Québec exporte ses biens et services partout sur la planète. Ce qui l'est moins, c'est qu'il exporte ...
C’est connu, le Québec exporte ses biens et services partout sur la planète. Ce qui l’est moins, c’est qu’il exporte aussi son esprit entrepreneurial de l’Asie à l’Europe. Portrait de cinq Québécois qui ont plié bagage pour créer leur propre entreprise à l’étranger.
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LE RÊVE AMÉRICAIN DE LA GÉNÉRATION Z
Audrey Castonguay, fondatrice, Wholesome Culture
Audrey Castonguay habite déjà New York quand elle rencontre cet entrepreneur américain à Montréal lors du Startupfest, en 2016. Elle lui confie son rêve de fonder sa PME. À sa grande surprise, il accepte de l’aider à créer Wholesome Culture dans l’arrondissement de Brooklyn.
Le rêve américain d’Audrey Castonguay venait de commencer. «C’est un investisseur qui avait lui-même ses propres entreprises aux États-Unis et qui a cru en moi», raconte la jeune femme de 25 ans.
Wholesome Culture se présente comme une entreprise socialement responsable dont la mission est de rendre le monde meilleur, et ce, en combattant la maltraitance envers les humains et les animaux.
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La PME vend des vêtements (principalement des t-shirts) qui sont fabriqués dans des pays à faible coût de main-d’oeuvre, mais où les employés ont de bonnes conditions et travaillent dans un environnement sain et sécuritaire.
La plupart des vêtements sont faits dans des usines qui ont la certification WRAP (Worldwide Responsible Accredited Production), dont l’organisation émettrice est située en Virginie, aux États-Unis.
Aujourd’hui, Wholesome Culture emploie 25 personnes dans un entrepôt à New York et 12 personnes pour gérer les ventes en ligne. La clientèle cible est les jeunes femmes âgées de 16 à 25 ans, soit la génération Z, dont l’une des priorités est le sens de la communauté (les entreprises doivent avoir un impact positif sur leur écosystème).
Audrey Castonguay demeure vague à propos de son chiffre d’affaires. Elle parle de ventes en ligne s’élevant à quelques centaines de milliers de dollars américains par mois, principalement aux États-Unis.
Les premiers pas de l’entreprise ont été très modestes. Toutefois, la PME s’est mise à croître rapidement, souligne l’entrepreneure. «En décembre 2016, on avait déjà atteint les 50 000 $ par mois», dit-elle.
Sa stratégie commerciale est simple et assure des flux de trésorerie constants : elle ne fait fabriquer que les vêtements qui ont d’abord été achetés par des consommateurs. Ainsi, aucun stock ou presque à son entrepôt n’est invendu ; la plupart sont des produits à livrer.
«La stratégie a évolué au fil du temps. Nous produisons une faible quantité de stock en prévision de la semaine suivante.»
La croissance rapide des ventes et son désir d’autonomie ont aussi incité rapidement Mme Castonguay à racheter les parts de son ange financier. Aujourd’hui, l’entrepreneure détient 100 % du capital de Wholesome Culture.
BÂTIR DES PONTS D’AFFAIRES ENTRE L’EUROPE ET LE CANADA
Marilène Garceau, cofondatrice, Kennedy Garceau
Marilène Garceau a toujours rêvé de travailler en Europe et de vivre une expérience multiculturelle, mais sans couper les ponts avec le Canada. C’est pourquoi elle a cofondé Kennedy Garceau à Paris, en 2010.
«Je voulais devenir une entrepreneure et trouver un lien avec mon pays d’origine», confie la directrice associée de la PME spécialisée dans les ressources humaines (RH) et le développement personnel pour des organisations canadiennes et européennes.
Kennedy Garceau fait plusieurs choses. Elle aide, par exemple, des entreprises du Québec à recruter du personnel qualifié en Europe. Elle peut aussi aider les conjoint(e)s de cadres à se trouver un emploi dans leur nouveau pays d’accueil.
La firme aide aussi des entreprises canadiennes qui ont des activités en Europe à gérer leurs ressources humaines sur le Vieux Continent. «Comme leur département est au Canada, on s’occupe de leur fonction RH en Europe», explique Mme Garceau.
La PME de divulgue pas son chiffre d’affaires et ne compte que trois employés, incluant la directrice associée. En revanche, l’entreprise a des partenariats avec diverses organisations pour offrir ses services.
L’entrepreneure n’a pas cofondé Kennedy Garceau (elle en est l’actionnaire majoritaire) du jour au lendemain. Elle a roulé sa bosse une dizaine d’années en Europe avant de se lancer en affaires.
De 2000 à 2010, elle a travaillé pour la multinationale française en services numériques Capgemini, un emploi qui l’a emmenée à travailler en France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Espagne et en Slovaquie.
Avant de déménager ses pénates en Europe, elle avait travaillé au Canada dans les secteurs des télécommunications et des technologies de l’information, notamment chez Bell Mobilité.
Malgré son expérience et un baccalauréat en gestion des systèmes d’information à HEC Montréal, Mme Garceau a senti le besoin de faire une formation d’appoint en France avant de se lancer en affaires, et ce, afin de maximiser ses chances de succès.
Dans cette société très hiérarchisée, les écoles que l’on a fréquentées sont un élément important dans l’écosystème entrepreneurial. C’est pourquoi elle a étudié pendant un an en entrepreneuriat à l’ESSEC Business School, une institution réputée.
«Je voulais montrer à mes clients que j’ai fait de grandes écoles et avoir plus de crédibilité quand j’approche les grands patrons de ce monde pour leur offrir mes services», souligne la patronne de Kennedy Garceau.
L’AFRIQUE, UNE AFFAIRE DE FAMILLE
Michel Dubé, fondateur, SMR-Dubé
Michel Dubé est tombé en amour il y a 25 ans. En amour avec l’Afrique, en particulier avec le Sénégal, un pays francophone de l’ouest du continent. Il a fondé son entreprise au milieu des années 1990 dans sa capitale, Dakar.
Au Québec, cet entrepreneur de 64 ans était actif dans la maintenance des équipements manufacturiers et miniers. Comme le marché était saturé dans les années 1990, il a décidé de fonder la Société de maintenance et de réparation (SMR) au Sénégal, un pays qu’il avait visité auparavant à titre de consultant. «J’ai transféré des équipements du Québec vers le Sénégal pour lancer une nouvelle entreprise», explique M. Dubé.
L’Afrique est devenue une passion familiale chez les Dubé. Son fils, Benjamin Roy-Dubé, travaille avec son père à titre de vice-président de SMR-Dubé, laquelle est active dans les secteurs minier et ferroviaire, ainsi que dans la production de café. L’entreprise offre ses services au Sénégal, au Mali, en Mauritanie, en Guinée et au Togo.
Sa fille, Pénélope Roy-Dubé, est pour sa part directrice des opérations de la Maison des PME, une organisation également située à Dakar.
Cette dernière aide les entreprises étrangères à faire des affaires en Afrique de l’Ouest grâce au réseau établi par M. Dubé dans cette région depuis 25 ans, sans parler de son expérience et des pièges à éviter.
Première leçon que M. Dubé a tirée : il faut être l’actionnaire majoritaire de son entreprise, ce qui n’était pas le cas lorsqu’il a fondé SMR-Dubé. Il avait seulement 45 % du capital, tandis que son partenaire local en détenait 55 %.
Une dispute avec ce partenaire a miné le développement de l’entreprise durant des années. Les choses sont revenues «à la normale» quand M. Dubé a repris le contrôle du capital de SMR, en 2011.
Deuxième leçon tirée de cette mauvaise expérience : il faut s’assurer de trouver un bon partenaire local – une étape cruciale pour réussir dans cette région du monde – avant de créer une PME en Afrique, assure M. Dubé. «Il ne faut pas aller trop vite, insiste-t-il. Il faut se coller aux gens qui ont une expertise et de l’expérience.»
L’INGÉNIEUR QUI LIT LES CONTRATS EN MANDARIN
Carl Breau, fondateur, Saimen
Carl Breau ne passe pas inaperçu lorsqu’il brasse des affaires en Chine. L’entrepreneur québécois parle non seulement très bien le mandarin, mais il peut aussi lire tous ses contrats dans cette langue très complexe à apprendre pour les étrangers.
«J’ai investi 6 000 heures pour apprendre le mandarin, ce qui représente trois ans à temps plein», dit le patron de Saimen, une PME oeuvrant dans la fabrication et le divertissement qu’il a fondée en Chine en 2012.
Elle est toutefois active depuis 2015 seulement ; il a étudié le mandarin de 2012 à 2015. L’homme de 53 ans, qui cumule des années d’expérience dans l’import-export, s’est établi et a créé son entreprise en Chine, car sa femme est d’origine chinoise.
Cet ingénieur en «mécatronique» (mécanique, électronique, automatique, informatique) dit récolter aujourd’hui les fruits de cet investissement énorme en temps pour apprendre le mandarin, puisque parler cette langue lui ouvre des portes.
«Je peux échanger, je peux développer de nouvelles relations. C’est beaucoup plus facile pour moi que pour la majorité des étrangers qui font des affaires en Chine, mais qui ne parlent pas chinois», affirme-t-il.
Établie à Shanghai, Saimen (l’union des mots «porte» et «compétition» en chinois) est un holding qui affiche des revenus de 16 millions de dollars canadiens et qui emploie une centaine de personnes, dont la quasi-totalité est des Chinois. Saimen exploite deux usines et cinq bureaux en Chine.
Dans la fabrication, la PME réalise des mandats de production de prototypes pour des start-up chinoises, mais aussi nord-américaines.
«Ce sont de jeunes entrepreneurs qui ont de bonnes idées, mais qui n’ont pas d’usine. On fabrique donc pour eux des produits en Chine, en protégeant leur propriété intellectuelle, qu’ils peuvent ensuite vendre aux États-Unis», explique M. Breau.
Dans le divertissement, Saimen joue un rôle de promoteur pour aider des entreprises culturelles nord-américaines à présenter des spectacles en Chine, comme le Cirque du Soleil ou la troupe américaine Blue Man Group.
Le carnet de commandes et de contrats est bien rempli, et il continue de se remplir rapidement. La PME prévoit doubler ses ventes annuellement au cours des trois prochaines années.
Si le financement de la croissance a été un casse-tête dans les premières années d’exploitation de Saimen, M. Breau souligne qu’il ne voit plus de difficultés particulières à brasser des affaires en Chine.
«Honnêtement, je trouve ça facile d’être en Chine», confie-t-il, en précisant que l’une des clés du succès est de respecter à la lettre toute la réglementation chinoise, même si elle peut être parfois très complexe.
LA VOLONTÉ DE FAIRE SA MARQUE AILLEURS
Caroline Dubé, fondatrice, HJM Law & Co
Au milieu des années 1990, plusieurs étudiants en droit de l’Université McGill rêvaient de travailler à New York, la métropole qui ne dort jamais où il y aurait toujours beaucoup d’argent à faire. Caroline Bérubé rêvait toutefois de faire sa marque ailleurs.
«J’ai pris une carte, et je me suis dit : si je fais comme tout le monde, je ne serai pas unique, je n’aurai pas de niche. J’ai donc choisi d’aller en Asie pour y fonder un jour ma propre entreprise», raconte la patronne du cabinet HJM Asia Law & Co à Singapour, une cité-État de 5,6 millions d’habitants.
Spécialisée dans le droit commercial et des sociétés (avec un accent sur la protection de la propriété intellectuelle), HJM Asia Law & Co compte 18 avocats et exploite aussi deux bureaux en Chine, à Canton (au nord-ouest de Hong Kong) et à Shanghai.
Quand elle a pris la décision de s’établir en Asie, le continent avait un fort potentiel pour les services juridiques, raconte l’avocate. «Il y a tellement de monde en Asie, me suis-je dit. Ils ont besoin de contrats ; il y aura donc des disputes, donc une demande pour des avocats.»
Plusieurs raisons l’ont amenée à établir son cabinet à Singapour en 2007, après l’avoir cependant tout d’abord créé en Chine en 2005.
Lorsqu’elle était étudiante en droit à McGill, elle a fait un stage d’un an à Singapour, où elle a étudié le droit chinois. Un cabinet français de la cité-État, KGA Avocats, lui a donné ensuite sa première chance sur le marché du travail au tournant des années 2000. Enfin, il était techniquement possible de réaliser des mandats en Chine à partir de Singapour. Actuellement, 20 % de sa clientèle sont des entreprises chinoises.
Le reste (80 %) de ses clients est composé de sociétés canadiennes, américaines, européennes, mais aussi d’organisations originaires de pays comme le Japon, l’Australie et la Corée du Sud.
HJM Asia Law & Co réalise aussi de plus en plus de mandats pour des entreprises étrangères établies à Hong Kong, mais qui souhaitent déménager à Singapour en raison de l’instabilité politique qui règne dans l’ancienne colonie britannique.
Un autre élément – cette fois géopolitique – qui donne en quelque sorte raison à l’avocate québécoise d’avoir restructuré son cabinet pour le déménager à Singapour en 2007.
Puisque ses affaires roulent bien en Asie, Mme Bérubé s’intéresse maintenant à l’Afrique. Elle pourrait bientôt ouvrir un bureau de HJM Asia Law & Co en Afrique du Sud afin de profiter des échanges économiques croissants entre la Chine et ce continent. «La prochaine vague, c’est en Afrique», croit-elle.