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Pape Wade : leader de tête et de cœur

Catherine Charron|Édition de la mi‑novembre 2024

Pape Wade : leader de tête et de cœur

Pape Wade tente d’apprendre des grandes révolutions pour éviter de répéter les mêmes erreurs. (Photo: Martin Flamand)

PDG DE L’ANNÉE 2024. Airudi a le vent dans les voiles. Rentable dès sa deuxième année de fondation, la start-up québécoise qui aide les entreprises à optimiser la gestion de leurs ressources humaines lancée en 2019 a déjà déployé sa solution auprès de 5000 clients dans le monde. Elle devrait, d’ici l’an prochain, avoir doublé son effectif et générer un chiffre d’affaires de 100 millions de dollars en 2028.

Cette croissance ne se fera toutefois pas à n’importe quel prix, prévient son PDG et cofondateur, Pape Wade. D’après le lauréat du prix Coup de cœur de l’édition 2024 du concours PDG de l’année du journal Les Affaires, elle devra être responsable et durable.

«On veut croître tout en respectant notre écosystème, dit-il. On veut que nos employés soient heureux, pas pris à la gorge à devoir livrer, livrer, livrer et faire des heures incroyables. En tant qu’entrepreneur, je n’ai jamais cru à ça.»

Cette philosophie s’applique également aux ressources qu’Airudi consomme. Ses trois solutions s’appuient sur l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage machine pour aider les organisations à prendre de meilleures décisions en matière de santé et sécurité, de recrutement et de prédiction ainsi que d’allocation de la main-d’œuvre. Une quantité importante de données et d’énergie sont nécessaires pour alimenter les ordinateurs et les algorithmes derrière ses logiciels.

L’entreprise est à la recherche de partenaires afin d’être plus frugale et pour réduire son empreinte écologique. «On est très conscient de ça. C’est un côté de la médaille dont on ne parle pas beaucoup en IA, mais c’est très énergivore, concède-t-il. On veut révolutionner le monde, mais tu ne le fais pas en le détruisant, ou en contribuant à sa destruction.»

Triptyque du leadership

Fasciné par l’être humain, Pape Wade tente d’apprendre des autres grandes révolutions pour éviter de répéter les mêmes erreurs. Pour y arriver, il doit faire preuve de ce qu’il appelle le «leadership de courage», soit d’oser prendre des décisions faites pour le bien de sa cause, même si cela affecte les bénéfices de la start-up.

«On a récemment refusé un projet avec une entreprise qui était dans l’industrie du tabac. Ce n’est pas le genre d’algorithme que l’on veut développer pour créer de la valeur et aider les gens à atteindre leur plein potentiel. C’était alléchant financièrement, mais on ne souhaite pas aller là.»

Le dirigeant mise également sur le «leadership de tête» et le «leadership de cœur», qui lui permettent respectivement de prendre des décisions en s’appuyant sur les données et de mobiliser des individus derrière sa mission.

Cette capacité à fédérer a toujours intrigué Pape Wade, lui qui s’est autant intéressé aux mécanismes qui ont poussé des milliers de personnes à emboîter le pas à Nelson Mandela ou à Gandhi, mais aussi à adhérer au fascisme. « Tu es leader parce que les gens ont choisi de te suivre. Seul, tu es leader de rien », résume-t-il.

Bâtir un écosystème

C’est notamment cette réflexion qui fait que Pape Wade accorde autant d’importance à bâtir ce qu’il appelle un « écosystème » autour de cette aventure entrepreneuriale. « Un arbre peut pousser dans le désert, mais il le fera toujours plus vite et mieux s’il est entouré d’autres arbres, d’eau, d’une oasis », illustre-t-il.

Même le nom de la PME d’une cinquantaine d’employés est en quelque sorte un clin d’œil à tous ses experts et érudits qui planchent sur les logiciels. « J’ai compris très tôt dans la vie qu’on ne peut pas tout faire, dit le PDG. Il faut s’entourer de gens qui savent faire des choses mieux que nous. »

Caressant le rêve d’être entrepreneur depuis sa tendre enfance, il a d’abord posé les premières pierres de son projet en échangeant avec sa collègue et future partenaire d’affaires, Amanda Arciero. Tous deux partageaient une définition bien différente de la gestion des ressources humaines que celle qu’ils vivaient alors au quotidien.

« J’étais en train de mettre les gens dans des cases, pris dans des procédures et des règlements, raconte l’ancien directeur des ressources humaines. Je perdais de vue la raison pour laquelle j’étais allé dans ce domaine, soit de repérer les talents, les aider à se développer pour atteindre leur pleine capacité, et créer de la valeur pour l’entreprise ».

Tous deux spécialistes de l’optimisation des processus, ni l’un ni l’autre n’avait les compétences techniques nécessaires pour amener sur le marché la solution technologique à laquelle ils rêvaient. Ils se sont donc tournés vers Ivado, un consortium de recherche, de formation et de mobilisation des connaissances en IA affilié à l’Université de Montréal, pour permettre aux organisations de profiter de toutes les données qui passent par la Division des ressources humaines.

Ce n’est toutefois que très rarement que les spécialistes de la gestion des employés contactent Airudi pour déployer leurs outils. « Ils sont pourtant là pour aider les entreprises à atteindre tout leur potentiel », rappelle Pape Wade, qui invite du même souffle ces experts à camper des rôles plus stratégiques pour préparer leur entreprise aux changements qui attendent le monde du travail au cours des prochaines années.

Redonner à la communauté

Depuis la fondation d’Airudi, l’organisation redonne à la communauté qui lui a permis de grandir en octroyant par exemple une quinzaine de bourses à des étudiants de deuxième et troisième cycle universitaire.

L’équipe espère reproduire un même modèle au Sénégal, où l’entreprise s’est installée dans la dernière année. « En Afrique, on veut surtout s’attarder aux filles. Leur scolarisation n’est pas très évidente, dit le dirigeant. Donc quand elles se rendent à la maîtrise, au doctorat et au postdoctorat, il faut les aider dans ce sprint final. »

S’il a ouvert à Dakar le premier bureau d’Airudi à l’extérieur du Québec, ce n’est pas uniquement parce qu’il désirait remettre les pieds sur le continent qui l’a vu grandir. La population africaine est jeune, rappelle-t-il, et les gens préfèrent y sauter un repas que de laisser aller leur connexion Internet. Il y a là-bas une importante soif de technologie et d’intelligence artificielle. Pape Wade ne souhaite pas être le seul à profiter des ponts qu’il bâtit avec ce nouveau marché, invitant d’autres joueurs de l’industrie québécoise et canadienne à les emprunter. Il espère en inspirer d’autres à lui emboîter le pas.

« Souvent, les entreprises en IA ne se mettent pas ensemble pour travailler. […] J’ai appris qu’en affaires, même si on a tous les deux des champs de maïs, on peut tous avoir une belle récolte. »