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Loi Pacte: un nouveau statut pour les entreprises françaises

Diane Bérard|Édition de la mi‑janvier 2019

AGENT DE CHANGEMENT. Le français Roland Lescure a été premier VP de la Caisse de dépôt et placement du Québec de ...

Agent de changement — Le français Roland Lescure a été premier VP de la Caisse de dépôt et placement du Québec de 2009 à 2017. Il siège au Parlement français dans l’équipe Macron et porte les discussions autour du projet de loi Pacte qui réforme la vie juridique, économique et sociale des entreprises.

Il était de passage à Montréal en janvier.

Diane Bérard – Vous êtes le rapporteur général du projet de loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises). En quoi consiste-t-il ?

Roland Lescure – Il vise trois objectifs : simplifier la vie des entreprises, de la création à la liquidation, faciliter leur financement et s’assurer qu’elles intègrent davantage leur rôle sociétal et environnemental. Nous créons un nouveau statut juridique : les entreprises à mission. Celles-ci intègrent la prise en compte de leur rendement social et environnemental dans leur charte. Ce statut se compare aux benefit corporations permises dans 33 États américains.

D.B. – Pourquoi ce projet de loi maintenant ?

R.L. – Notre modèle économique est à bout de souffle. On n’a jamais généré autant de richesse. On a tiré un milliard d’humains de la pauvreté. Mais on n’a jamais créé autant d’inégalités de revenu ni jamais mis autant à mal l’environnement.

D.B. – Vous liez la nécessité de renouveler le capitalisme par des initiatives comme le projet de loi Pacte, à la chute du communisme. Expliquez-nous.

R.L. – La guerre froide forçait le capitalisme à marcher relativement droit pour éviter que la population succombe aux sirènes du communisme. L’alternative nous gardait honnêtes. Ce rempart est tombé avec le mur de Berlin. Trente ans plus tard, nous arrivons à ce constat : le capitalisme laissé à lui-même ne fonctionne pas totalement.

D.B. – Pour conserver le modèle capitaliste, vous prônez l’alignement des acteurs. Donnez-nous un exemple tiré du projet de loi Pacte.

R.L. – Parlons de l’alignement des intérêts de l’employeur et des salariés. Une des dispositions du projet de loi est la représentation des salariés au conseil lorsque celui-ci compte huit membres et plus. Dès que ce nombre est atteint, il faudra ajouter deux administrateurs issus du salariat. Parlons aussi du partage des profits. Depuis De Gaulle, il existe un programme automatique de partage des profits pour les entreprises de plus de 50 employés. Mais la somme est minime. Pacte supprime toutes les charges pour les entreprises de 1 à 250 employés qui souhaitent implanter l’intéressement. Nous voulons rendre l’intéressement plus attirant, car il permet davantage d’aligner les intérêts de l’employeur et de l’employé qu’une prime. Et puis, l’intéressement peut produire de l’épargne pour le salarié et un autre type de financement pour l’entreprise.

D.B. – Votre rôle de rapporteur du projet de loi Pacte vous a mené à la rencontre des gens d’affaires. Qu’avez-vous appris ?

R.L. – J’ai rencontré trois types de dirigeants. Ceux qui comprennent que l’entreprise a un rôle sociétal en plus de son rôle financier. Ils savent qu’ils doivent assumer ce rôle pour que les consommateurs les suivent et pour attirer des talents. C’est une minorité, mais elle croît. Il y a le groupe des «neutres», comme Sylvain Orebi, PDG de Kusmi Tea. Associé à la discussion sur Pacte, il m’a confié : «Au début, je ne croyais pas trop à votre histoire de raison d’être des entreprises. Après réflexion, cela a du sens.» Et puis, il y a les dirigeants qui ont peur. Leur monde change et ils se sentent impuissants.

D.B. – Certains disent que le projet de loi Pacte manque de mordant. Que répondez-vous ?

R.L. – On en a tellement débattu ! Allons-nous assez loin ? Je l’ignore. Mais nous avons eu une conversation nationale. J’ai eu ma prise de conscience. J’ai choisi de devenir un architecte de la maison (politicien) plutôt qu’une composante d’une pierre de celle-ci (investisseur dans une caisse de retraite). Comme moi, d’autres acteurs économiques vivent leur propre prise de conscience.

D.B. – Le projet de loi Pacte veut responsabiliser les acteurs économiques pour que la transition vienne d’eux. Selon vous, le succès exige deux états d’âme : la peur et l’espoir…

R.L. – Une transition s’opère d’abord parce qu’on a peur. On sait qu’on ne peut continuer ainsi. Mais la peur peut devenir colère, et celle-ci est mauvaise conseillère. Complétez par l’espoir et vous avez une vraie chance de transition.

D.B. – Imaginez-vous le Québec tenir une discussion sur le rôle sociétal des entreprises ?

R.L. – Un tel dialogue exige un porteur. La réflexion doit débuter quelque part, soit ça vient de l’État, de l’entreprise, du consommateur ou de l’investisseur. Pour l’instant, on ne peut identifier de quel groupe cela viendrait au Québec.

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