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Philippe Adam : «Il y a énormément de potentiel dans une industrie en croissance, qui évolue et qui doit évoluer.»

Catherine Charron|Édition de la mi‑octobre 2024

Philippe Adam : «Il y a énormément de potentiel dans une industrie en croissance, qui évolue et qui doit évoluer.»

Philippe Adam, PDG de Pomerleau (Photo: Martin Flamand)

TÊTE-À-TÊTE. Un an après son entrée en fonction, le nouveau PDG de Pomerleau, Philippe Adam, lance son plan stratégique 2025‑2030. Voici ce qui attend le deuxième plus grand entrepreneur du pays.

Cela fait maintenant un an que vous êtes à la tête de Pomerleau. Comment se déroule la transition ?

Pomerleau est passée d’une société qui faisait 1 milliard de dollars (G$) en chiffre d’affaires à plus de 5 G$ dans les sept dernières années. On est maintenant le deuxième plus grand entrepreneur du Canada, employant 5000 personnes dans 11 bureaux à travers le pays. On a même un bureau au Texas qui est spécialisé dans l’énergie renouvelable. On a 200 projets qui roulent simultanément, et un carnet de commandes de 18 G$. On a une bonne idée de ce qui s’en vient, mais on sait qu’il y a plusieurs occasions à venir.

Il y a beaucoup de projets d’infrastructure dans les cartons ; autant de réfections que de nouvelles constructions, au Québec comme à l’extérieur de la province. Ça bouge aussi du côté de la transition énergétique. Déjà, notre division Borea a bâti à peu près la moitié de tous les parcs éoliens et solaires au Canada. C’est la première fois qu’on a un projet aux États-Unis cette année avec elle.

Notre division ITC Construction, acquise il y a deux ans, s’attaque à l’accessibilité à l’habitation et au logement social.

Il y a énormément de potentiel dans une industrie en croissance, qui évolue et qui doit évoluer.

Ne craignez-vous pas de vous éparpiller avec un tel carnet de commandes qui touchent autant de secteurs d’activité ?

On est l’entreprise de construction la plus diversifiée du Canada et c’est notre fierté. On fait des hôpitaux, des écoles, des tours à condos, des ponts, des parcs éoliens. Ça nous permet d’être agiles et versatiles.

C’est rare que tous les secteurs aillent bien ou mal dans une même année, donc ça nous apporte un équilibre et une certaine solidité.

Quand je suis arrivé en poste, j’ai établi nos priorités 2024 pour amener de la clarté et de la stabilité. Je voulais que les gens soient alignés sur ce qui était important, notamment sur le fait que l’on ne pouvait pas tout faire.

En même temps, on a lancé notre planification stratégique 2025‑2030, qu’on commence à présenter à nos employés. On a choisi certains secteurs où on souhaite se spécialiser, continuer de mettre nos énergies et de l’argent. Je le précise parce que plusieurs entreprises dans notre industrie décident de se verser des dividendes. Nous, on a toujours investi en nous-mêmes, on pense à long terme.

On vise des revenus de 8 G$ à 9 G$. Au-delà de ça, on a sélectionné des secteurs dans lesquels on désire agir afin d’avoir une croissance pérenne, intègre avec nos valeurs et notre culture. Nos 5000 employés, c’est ce qui nous différencie de la compétition.

La Colombie-Britannique et l’Ontario sont de grands marchés de croissance, tout comme les Maritimes. On veut aussi défendre nos parts au Québec, demeurer un chef de file, mais on souhaite que le reste du Canada représente plus de 50 % de notre chiffre d’affaires.

On ne peut pas parler de construction sans parler de hausse de coûts et de retard sur les échéanciers. Pourquoi est-ce encore courant aujourd’hui ?

Notre but principal, c’est de faire des projets en temps, qui respectent le budget et qui bonifient la qualité de vie des gens. Chaque fois que ça dépasse, notre marge de profit diminue.

Plusieurs éléments doivent arriver pour qu’on ait une industrie saine qui évolue bien.

Tout ce que propose le gouvernement en ce qui concerne ses projets de loi va en ce sens. Le mode collaboratif est un bon exemple de ce qui permettrait d’avoir des échéanciers mieux planifiés, d’améliorer la santé et la sécurité des employés, et de réduire les coûts. En Australie, par exemple, ce modèle contractuel a permis des économies de près de 20 %.

Ça permet d’asseoir toutes les parties prenantes pour trouver des solutions et une plus grande agilité. Chaque fois que les gens ne prennent pas de décisions rapidement, le projet est retardé ou arrêté. Pendant ce temps, juste pour assurer la sécurité et maintenant l’équipement, ça peut représenter des dizaines de millions de dollars par mois.

Chez Pomerleau, on croit en l’innovation technologique et on essaie de la faire avancer. On a 150 personnes qui travaillent dans notre Division de technologie et d’innovation. C’est beaucoup pour une entreprise de construction. On commence à utiliser l’intelligence artificielle pour prévoir nos échéanciers, les coûts, pour sortir de l’information sur des projets qu’on a faits.

Que pensez-vous du projet de loi 62 déposé par le ministre responsable des Infrastructures, Jonatan Julien ?

C’est une bonne chose s’il repose sur quatre piliers. Il faut de la clarté sur les rôles et les responsabilités de toutes les parties en matière de gouvernance. Le mode collaboratif est nécessaire. On a demandé aussi plus de transparence, d’avoir de la visibilité sur les projets qui s’en viennent, car ça permet de mieux planifier les ressources, la main-d’œuvre, mais également de faire les investissements en équipement et en technologie appropriés.

On espère un partage des risques et des responsabilités plus équilibré. On en parle peu, mais les constructeurs, historiquement, ont pris énormément de risques. Si tu regardes dans certains pays qui ont fait de grands projets d’infrastructures comme l’Angleterre, il y a eu beaucoup de faillites de joueurs locaux à cause de ça. Aujourd’hui, ces marchés sont surtout occupés par des joueurs internationaux.

On a la chance d’apprendre de ce qui s’est passé ailleurs. Des projets complexes dont le contrat est remporté par le soumissionnaire qui offre le prix le plus bas, c’est un peu révolu. D’autres facteurs doivent compter, comme la technique ou les compétences.

On ne peut plus avoir un prix forfaitaire basé sur une conception qui est avancée à 10 %. C’est risqué pour l’entrepreneur qui ne connaît pas le projet.

Si les choses ne changent pas, craignez-vous qu’un phénomène comme celui de l’Angleterre survienne ici ?

Oui, à 100 %. Il y a plein d’endroits où les grands projets ne se font plus à prix fixe au plus bas soumissionnaire, car les gens ne sont pas intéressés, il y a eu trop de faillites. C’est certain qu’ici, au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique, ça s’en vient aussi. Il y a une évolution de la chaîne d’approvisionnement des contrats pour créer une industrie plus saine.

Pomerleau a beaucoup grandi grâce à ses acquisitions. En 2022, lors de votre dernière, vous disiez ne pas souhaiter en faire d’autres tant que l’équipe d’ITC Construction ne serait pas bien intégrée. Comment ça se passe ? En avez-vous d’autres dans le viseur ?

On n’a perdu aucun employé d’expérience. Certes, il y a eu du mouvement, comme dans toute entreprise, mais l’intégration s’est bien déroulée.

Oui, on regarde, mais on ne va jamais devenir une entreprise qui fait cinq acquisitions par année. On connaît beaucoup de croissance interne.

La culture est un facteur important, on ne veut pas se tromper. De plus, le risque est grand dans notre industrie, on souhaite donc s’assurer de bien comprendre leurs projets en cours et ceux qui ont été faits.

L’acquisition demeure un moyen vraiment intéressant pour croître, percer un marché ou acquérir des compétences qu’on n’a pas. On est à l’affût.

Envisagez-vous de devenir une entreprise publique pour atteindre vos cibles ?

Non. En fait, dans la dernière année, on a permis à tous nos employés de devenir actionnaires. Depuis six mois, 2000 d’entre eux ont acheté des actions de l’entreprise.

On souhaite que l’entreprise soit pérenne et selon nos valeurs.