(Photo : Tim Gouw pour Unsplash.com)
Dernièrement, lors d’une conférence au Collège Mont-Saint-Louis, à Montréal, sur l’entrepreneuriat, un jeune m’a demandé où Connect&GO serait dans cinq à dix ans. Ma réponse l’a un peu surpris : nous serons sans équivoque le plus grand joueur dans le domaine des attractions au monde, mais ce ne sera plus moi qui dirigerai l’entreprise à ce moment. Rapidement il a renchéri en disant : si ce n’est pas vous, ça va être qui? Ma réponse qui surprit un peu tout le monde : quelqu’un de plus compétent que moi pour diriger cette phase de l’entreprise, un PDG d’expérience.
Même si aujourd’hui, je porte le titre de PDG de Connect&GO, qui est selon moi le titre convenable à la taille où nous sommes rendus pour décrire ce que je fais au quotidien, à l’époque du lancement de l’entreprise, les gens m’appelaient toujours le « PDG » et je détestais ça. Pourquoi les gens insistaient-ils pour utiliser ce titre plutôt que celui de co-fondateur, qui représentait clairement mieux mon vrai rôle à ce moment-là? Pour moi, le PDG représentait des personnes âgées qui dirigeaient de grandes entreprises avec beaucoup d’employés. À ce moment, j’étais dans la vingtaine et nous n’avions pas plus de cinq employés. Évidemment, malgré cela, je réalisais plusieurs tâches qu’un PDG doit faire, mais je faisais aussi ce qu’un concierge doit faire ainsi que 50 boulots supplémentaires en même temps.
Cela fait partie de la gestion d’une start-up. Une minute, vous êtes le patron, debout sur scène, présentant votre entreprise à une foule de centaines de personnes et d’investisseurs. La minute suivante, vous êtes au téléphone en tant qu’aide technique qui se fait crier dessus par un client mécontent avec lequel vous aviez aussi joué le rôle de vendeur il y a quelques semaines!
Pendant que je faisais tous ces boulots, je ne me suis jamais considéré comme quelqu’un d’important avec un gros titre, un PDG. J’avais surtout du mal à faire tout ce que je devais pour lancer l’entreprise. Après tout, c’est ce que font les entrepreneurs. Et c’est comme ça dans le monde de l’entrepreneuriat depuis longtemps.
Par exemple, repensez aux débuts de l’Internet. L’émergence du Web a coïncidé avec un boom d’entrepreneurs lançant de nouvelles entreprises. La plus prospère de ces nouvelles entreprises vaudrait des centaines de millions, voire des milliards de dollars. Chaque entreprise semblait poursuivre un chemin tracé d’avance. Leurs fondateurs les lançaient, atteignaient un certain niveau, acceptaient des investissements extérieurs, puis, avant que les entreprises ne deviennent trop grandes, les fondateurs étaient remplacés par des cadres plus expérimentés.
En d’autres termes, les fondateurs n’étaient pas des PDG. Ils étaient des fondateurs ! Les cadres expérimentés qui les ont remplacés étaient les PDG. Ils étaient les personnes chargées de transformer les start-ups en croissance en entreprises matures et bien exploitées.
Le vedettariat
En revanche, si vous parlez de remplacer un fondateur aujourd’hui, cela ressemble à l’équivalent d’un parricide (acte d’assassiner son père, sa mère ou un autre de ses proches). À tout le moins, c’est la perception des fondateurs de start-ups. En tant que mentor dans plusieurs incubateurs-accélérateurs, j’ai travaillé avec des centaines d’entre eux, et pas un seul ne m’a jamais dit qu’ils attendaient avec impatience le jour où ils pourraient céder leur entreprise à un cadre aux cheveux gris. Au lieu de cela, ils prévoient tous de sonner eux-mêmes la cloche de la bourse!
Pourquoi donc? Pourquoi tant de fondateurs modernes pensent-ils qu’ils doivent – et devraient – diriger leur entreprise du lancement à l’introduction en bourse ?
La réponse est selon moi assez évidente. Nous revenons une fois de plus au « au vedettariat entrepreneurial ».
Pensez à Musk, Bezos, Gates et Zuckerberg. Ce sont tous des fondateurs qui sont devenus PDG et sont restés dans leurs entreprises bien après les avoir rendues publiques. Apparemment, parce que quelques gars l’ont fait et ont eu beaucoup de visibilité, nous avons tous décidé collectivement que les meilleurs fondateurs devraient être des PDG. Mais, personnellement, je n’en suis pas si sûr. Je pense que seulement parfois le fondateur a ce qu’il faut pour devenir un PDG. Les grands gestionnaires sont souvent de piètres entrepreneurs.
Cependant, je dois avouer que peu de gens semblent d’accord. Les gens préfèrent continuer d’idéaliser l’histoire de l’entrepreneur à succès qui bâtit son entreprise à la sueur de son front dans son sous-sol pour terminer en multinationale à la bourse et qui continue de prendre toutes les décisions lui-même!
Pourtant, nous avons d’excellents exemples d’entreprise de chez nous dans laquelle le fondateur visionnaire a su faire place à un PDG d’expérience, tel que Lightspeed avec Dax Dasilva et Jeau Paul Chauvet. Selon moi, sans Dax, Lightspeed ne serait pas du tout ce qu’elle est aujourd’hui, mais sans JP, elle n’aurait jamais pu aller aussi loin!
Il faudrait peut-être aussi arrêter de donner l’impression que les dirigeants de grandes organisations font eux-mêmes tout le travail à l’intérieur de ces entreprises. Alors que cela aurait pu être vrai au début du projet, c’est beaucoup moins plausible maintenant que l’entreprise compte plus de 50 000 employés, comme Facebook par exemple. Et pourtant, nous aimons imaginer Mark Zuckerberg ou Steve Jobs ou quiconque prenant la moindre décision concernant un produit, car c’est beaucoup plus convaincant (et beaucoup plus facile) que de comprendre les structures organisationnelles sophistiquées au sein des entreprises les plus importantes du monde.
Est-ce une bonne ou une mauvaise chose? Je ne sais pas vraiment. Ce que je sais, c’est que l’héroïsation des entrepreneurs a complètement déformé la perspective des nouveaux entrepreneurs. Ils pensent tous qu’être le fondateur d’une start-up signifie aussi diriger l’entreprise jusqu’à la fin. Mais ce n’est pas vrai. Ce n’est pas non plus nécessairement une bonne idée.
Les compétences dont vous avez besoin pour démarrer une entreprise sont complètement différentes de celles dont vous avez besoin pour diriger une entreprise. Plus précisément, les meilleurs fondateurs de start-ups sont généralement compétents dans de nombreux domaines. Mais ce ne sont pas nécessairement les meilleurs dans aucun de ces domaines. L’entrepreneur au départ doit être un généraliste et maîtriser le mieux possible tous les éléments versus le PDG ou les rôles clés dans une entreprise plus mature qui nécessitera une approche de haute spécialisation dans un domaine précis.
Cependant, à mesure que les entreprises grandissent et embauchent plus de personnes, les fondateurs de start-ups n’ont pas besoin d’être excellents dans 50 domaines différents. En fait, ils n’ont souvent vraiment besoin d’être bons que dans un seul domaine : gérer les autres. Cependant, quelque peu paradoxalement, la gestion d’autres personnes est probablement la compétence que les fondateurs ont le moins d’expérience, car, lorsqu’ils ont créé une start-up, ils n’avaient pas beaucoup de personnes à gérer. En conséquence, les fondateurs ont souvent du mal à diriger de grandes entreprises.
Ne mélangeons pas les choses!
Si vous êtes un grand fondateur, vous ne devriez pas être un grand PDG. C’est aussi le cas pour de nombreux PDG d’expérience qui tente de devenir fondateur à leur tour. Ce sont deux emplois très différents, et il est temps d’arrêter de prétendre que ce sont les mêmes choses. Alors, s’il vous plaît, arrêtons d’appeler automatiquement les fondateurs de petites start-ups les « PDG ». Au lieu de cela, laissons-les être des fondateurs. C’est déjà un travail assez difficile en soi.