Quand l’ESG s’en prend à la diversité mondiale des nations
Le courrier des lecteurs|Publié le 05 février 2024«Le Québec doit agir afin de limiter ou d’encadrer l’application de concepts américains comme l’ESG et l’EDI chez nous.» (Photo: courtoisie)
Un texte de Stephan Fogaing, co-porte-parole du Parti québécois en matière de diversité et de citoyenneté
COURRIER DES LECTEURS. Nous sommes de plus en plus nombreux à nous inquiéter quant à l’influence grandissante de la firme McKinsey sur nos gouvernements et leurs politiques publiques. Cette tendance croissante à travers le monde des gouvernements à avoir recours à des firmes de consultations privées pour élaborer et mettre en œuvre leurs politiques publiques engendre un transfert de la souveraineté politique et décisionnelle des gouvernements vers ces firmes internationales.
Ainsi, les intérêts de multinationales et de pays étrangers entrent tranquillement en concurrence avec les intérêts des peuples nationaux dans la mise en œuvre de politiques publiques. Sur papier, cela pourrait ainsi créer un nouvel ordre de gouvernement supranational.
Ce que plusieurs ne semblent pas encore réaliser, c’est qu’un transfert de souveraineté politique sur l’organisation sociale de nos sociétés occidentales est déjà entamé depuis quelques années, à travers l’imposition à nos entreprises d’une interprétation américaine des critères ESG (environnement, social, gouvernance), par les grandes firmes internationales d’investissements, telles BlackRock et Vanguard.
Alors que l’approche EDI (équité, diversité, inclusion), qui est délétère pour la cohésion sociale au Québec, s’est imposée dans nos universités et nos institutions publiques par l’entremise de pressions du gouvernement fédéral, l’EDI s’impose dorénavant également dans nos entreprises privées à travers l’ESG. Rappelons que l’Université Laval exclut de facto les hommes blancs non handicapés de certains appels à candidatures afin de respecter les critères EDI du Programme des chaires de recherches du Canada. Comme je l’expliquais dans mon dernier texte paru dans La Presse, une autre approche est préférable au Québec.
Le concept des critères ESG n’a rien révolutionné. Dès 1972, le roi du Bhoutan a énoncé le concept du Bonheur national brut (BNB), qui repose sur quatre piliers fondamentaux: un développement économique et social, durable et équitable, la protection et la promotion des traditions culturelles locales, la sauvegarde de l’environnement, et une bonne gouvernance.
Le BNB se voulait une réponse au Produit intérieur brut (PIB), lequel est un indicateur économique incomplet ne considérant pas le bien-être de la population. Et pour plusieurs petites nations, le bien-être de la population passe nécessairement par la protection et la promotion de leur culture nationale. En effet, la vitalité d’une culture locale commune est un gage de cohésion sociale et un remède à l’individualisme mondialisé découlant de l’américanisation des sociétés.
Ensuite, le développement durable est un concept apparu en 1987 qui vise à intégrer des contraintes environnementales et sociales à l’économie. D’ailleurs, le Québec s’est depuis doté d’une Loi sur le développement durable, où il y énonce ses 16 principes de développement durable, dont la «protection du patrimoine culturel».
Toutefois, contrairement au BNB et au développement durable, le volet social de l’ESG est interprété sous l’angle de la promotion de la diversité culturelle, en opposition à la protection et la promotion des traditions ou pratiques culturelles locales.
Ainsi, l’ESG favorise l’effacement des cultures locales au profit d’un multiculturalisme mondialisé à saveur américaine, favorisant ainsi l’éclatement de la société en de nombreux sous-groupes identitaires concurrents.
Pour les entreprises québécoises adhérant à l’ESG, cela signifie promouvoir l’approche multiculturaliste canadienne de diversité culturelle, accélérant ainsi l’anglicisation de nos milieux de travail et ne laissant aucune place à la culture québécoise, alors que la langue française et la culture québécoise font partie des piliers incontestés de la nation québécoise.
Et pour tous les autres petits pays de ce monde, cela signifie également l’étouffement de leur culture locale au profit d’une uniformité américanisée. L’ESG favorise donc ironiquement la réduction de la diversité mondiale des nations, au nom de la « diversité et de l’inclusion ».
Le Québec doit agir afin de limiter ou d’encadrer l’application de concepts américains comme l’ESG et l’EDI chez nous. Récemment, même le Parti libéral du Québec, dans son rapport de relance, s’inquiétait que la protection du français soit exclue des critères ESG des entreprises du Québec. De nombreuses entreprises privées et institutions publiques qui adhèrent à ces concepts donnent l’impression de s’être donné pour mission de transformer la société québécoise, souvent en l’américanisant et la canadianisant, sans que cela ait fait l’objet de quelconque débat public. Un État québécois qui se respecte devrait agir face à cette perte de souveraineté.
Soyons clairs, le Québec contribue à la diversité mondiale des nations, et l’adhésion de tous à des références culturelles communes favorise les liens sociaux, la solidarité et la mobilisation citoyenne. Ainsi, la protection et la promotion du français et de la culture québécoise devraient être au cœur de la responsabilité sociale de toutes les entreprises actives au Québec.