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Recruter, c’est du marketing

Robert Dutton|Édition de la mi‑mai 2019

CHRONIQUE. Il n'est plus besoin de présenter le problème : la rareté de main-d'oeuvre au Québec étouffe...

CHRONIQUE. Il n’est plus besoin de présenter le problème : la rareté de main-d’oeuvre au Québec étouffe le développement de nombreuses entreprises, particulièrement en région.

Les solutions qui sont discutées publiquement se limitent souvent à la nécessité de trouver de nouveaux bassins de main-d’oeuvre pour satisfaire les besoins à combler : doit-on recruter à l’étranger ? Si oui, comment procéder ? Faut-il plutôt convaincre les retraités de revenir au travail ? Si oui, quels sont les risques ? Quels accommodements doit-on apporter au milieu de travail ? Ainsi de suite.

On passe souvent sous silence une question pourtant centrale pour quiconque fait face à la rareté de main-d’oeuvre : qu’ils viennent de l’étranger, du bel âge ou du concurrent d’en face, comment les attirer et les garder ? Suffit-il de payer plus cher que la concurrence ? Je dirais qu’en période de pénurie, comme en tout temps, c’est une considération nécessaire, mais non suffisante.

Nécessaire, parce que, bien sûr, il faut en tout temps offrir une rémunération concurrentielle. Il faut se souvenir qu’en plus de fournir à un employé des ressources financières pour vivre, la rémunération est un outil de communication. C’est une des façons de dire aux employés à quel point l’entreprise tient à eux. Alors si l’ensemble du marché offre des hausses de rémunération, il faut absolument en tenir compte, cela va de soi.

En tenir compte, oui. Nourrir une spirale inflationniste en se faisant une obsession d’égaler ou de battre les salaires offerts par la concurrence, non. La rémunération n’est qu’un des critères qu’un employé retient pour décider où il travaille.

Quand Home Depot s’est implantée au Québec, en 2000, elle a débauché des dizaines de cadres et d’employés de Rona en leur offrant des salaires plus élevés et d’autres avantages matériels – stratégie aujourd’hui adoptée par de nombreux employeurs pour pallier la pénurie. Nous avons choisi de ne pas nourrir la surenchère. Nous avons bien fait : moins d’un an après l’ouverture du premier Home Depot au Québec, 80 % des employés partis étaient revenus chez Rona. Une anecdote qui tend à confirmer, très concrètement, que la rémunération n’est pas tout.

Trouver et retenir ses employés en période de rareté, c’est à la fois simple et difficile : il faut bien s’occuper de son monde !

Quand je dirigeais Rona, nous avions coutume de dire que la gestion du talent – et j’entends ici talent au sens le plus large, depuis les employés de premier niveau jusqu’aux cadres supérieurs – voulait dire faire trois choses impeccablement : recruter le talent, le cultiver et canaliser son expression. On se disait, et je crois qu’on avait raison, que si on faisait très bien ces trois choses, l’enjeu de la rétention se réglait de lui-même.

Chez Rona, on abordait le recrutement comme le marketing. On parle du marché de la main-d’oeuvre, ce qui suppose qu’il faille faire la mise en marché de l’entreprise comme employeur. Il faut segmenter ce marché en fonction des types d’emplois à pourvoir. Il faut déterminer les segments où on est le plus susceptible d’avoir du succès. Chez Rona, 70 % de nos employés travaillaient en magasin. Or, le travail en magasin offre beaucoup de flexibilité dans l’aménagement du temps de travail, que ce soit sur une base quotidienne, hebdomadaire ou même annuelle. Qui est particulièrement intéressé par cette flexibilité ? Les jeunes et les jeunes retraités. Les snowbirds, par exemple, veulent aller dans le sud pendant la période creuse de l’industrie, et revenir au pays pour la pointe du printemps. C’est pourquoi Rona, il y a une bonne quinzaine d’années, a été une pionnière dans le recrutement actif des travailleurs d’expérience, comme on les appelle aujourd’hui. Elle a mis au point un «marketing» qui visait précisément ce créneau.

Cultiver le talent, c’est le former pour lui donner la compétence nécessaire, puis accroître sa zone de compétence ; c’est aussi l’acculturer aux valeurs de l’entreprise. On est encore dans l’hygiène de base : toute entreprise bien gérée devrait s’acquitter de cette tâche. Mais toutes les entreprises ne sont pas bien gérées.

Donner un sens au travail

Là où une entreprise peut vraiment se différencier sur le marché, c’est en permettant au talent de s’exprimer par son travail. Tout employé veut donner du sens à son travail. Il faut lui donner non pas une série d’activités à accomplir, mais un projet et des objectifs accessibles. Il faut ensuite le responsabiliser ; lui donner l’autonomie et les ressources nécessaires à l’atteinte de ses objectifs ; valoriser l’initiative, attribuer le mérite des résultats là où il se trouve véritablement.

Il faut aussi reconnaître, beaucoup et souvent, sa contribution au progrès de l’entreprise.

Traité de cette façon, l’employé ne sera pas seulement plus loyal. Il sera plus productif et les clients de l’entreprise seront mieux servis.

Si la rareté de main-d’oeuvre peut faire de meilleurs employeurs de toutes les entreprises, elle aura servi à quelque chose.