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Sous-payer ses employés a un prix

Simon Lord|Publié le 18 octobre 2019

Réduire les coûts est toujours attrayant, sauf que de couper dans le muscle n’est jamais payant.

Réduire les coûts est toujours attrayant, sauf que de couper dans le muscle n’est jamais payant. C’est notamment le cas en rémunération: insuffisante, elle peut entraîner de nombreux problèmes allant de l’absentéisme au départ d’un employé-clé. Comment éviter de vous tirer dans le pied – et dans ceux de vos employés?

Certains employeurs veulent maximiser les profits, mais s’y prennent mal, estime Julie Cloutier, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM) spécialisée en rémunération et stress au travail. Ils veulent augmenter leur performance tout en réduisant leurs dépenses, alors ils trouvent des façons, souvent contre-productives, de réduire la rémunération.

«Des gestionnaires m’ont raconté qu’ils avaient rehaussé les objectifs de rendement trois mois avant l’évaluation pour donner moins de primes», exemplifie-t-elle. Un directeur lui a aussi raconté assigner d’autres tâches à ses vendeurs lorsque ceux-ci s’approchent des objectifs qui leur permettrait d’obtenir un boni dans le but d’éviter d’avoir à le leur verser. Rien de mieux pour saper le moral et la motivation.

Si ces situations révèlent de mauvaises intentions, il est tout à fait possible qu’un employé puisse se sentir sous-payé ou injustement traité dans une situation qui n’a rien de machiavélique. «L’équité ou l’iniquité du salaire est en fin de compte une question de perception», explique Mme Cloutier. Les travailleurs se comparent aux autres et jugent, à tort ou avec raison, s’ils sont assez payés en fonction de différents critères, comme l’ancienneté, l’expérience, le rendement ou les exigences du poste.

Et si vos employés perçoivent votre rémunération comme injuste ou insuffisante, vous êtes à risque. «Le salaire symbolise la considération de la direction pour ses employés. Il signifie: ‘Voici la valeur que j’accorde à vos efforts et compétences.’ Un employé qui se considère sous-payé sent donc que son travail est dénigré», illustre la professeure. Cela peut ensuite engendrer de la détresse psychologique, du stress, de l’anxiété et de l’insomnie. Certains travailleurs deviennent alors incapables de se concentrer ou de rentrer travailler. Les absences se transforment parfois en arrêt de travail. D’autres employés quittent simplement le bateau. 

Certains se feront justice et adopteront des comportements déviants: réduction du rendement, pauses prolongées, départ hâtif du bureau, vol de matériel, activités personnelles, lecture d’un roman, visionnement d’un film. «Et lorsqu’on leur demande s’ils considèrent voler leur employeur, ces employés répondent qu’ils se repayent, note Mme Cloutier. Ils disent rétablir les choses parce qu’ils estiment que c’est leur employeur qui les vole.»

Pour une PME, cette perception d’injustice – justifiée ou non – s’avère donc coûteuse: performance réduite des employés, journées de maladie à payer, assurances collectives plus dispendieuses si les employés prennent des médicaments. Sans oublier le recrutement, le remplacement et la formation des employés qui partent, et ce, si même en contexte de pénurie de main-d’œuvre.

 

Structure et transparence

Comment prévenir ou guérir de tels maux? Une chose est sûre, évitez de faire des salaires un secret. Car tout finit par se savoir.

Dans le cadre d’une étude, la professeure Cloutier a par exemple demandé à des employés comment ils savaient qu’ils étaient sous-payés, leur entreprise ne divulguant pas les salaires. Ils ont répondu discuter avec des collègues ou se fier aux rumeurs, noter la marque de voiture ou de vêtements des autres, s’informer des restaurants ou destinations vacances des collègues. D’autres encore passent devant leurs maisons pour évaluer leur style de vie. «Et parfois, ils surestiment, alors ils se sentent sous-payés même si ce n’est pas le cas», fait valoir la chercheuse.

Elle suggère donc aux employeurs d’élaborer une structure salariale, ce qui améliorera les perceptions d’équité à l’égard de la rémunération. Concrètement, cela signifie de fixer les salaires en fonction des exigences de chaque emploi et d’élaborer des règles sur la manière de reconnaître l’expérience, l’ancienneté et le rendement. Lorsque les règles sont claires, communiquées et respectées, les employés ont moins tendance à penser que leur salaire est injuste et moins élevé que ce qu’ils méritent.

 

Plus petit, plus grand défi

Pour une PME, rémunérer adéquatement ses employés peut représenter un défi pour une autre raison. Étant plus petites, elles ne peuvent parfois pas payer autant qu’une grande entreprise. Cela n’est toutefois pas nécessairement un problème, parce que certains employés préfèrent la convivialité, la proximité et l’implication qu’ils peuvent avoir au sein d’une PME, explique Nathalie Meunier, fondatrice de Talent Stratégie, une firme montréalaise de services-conseils spécialisée notamment en rémunération et en gestion de la performance.

Sauf que lorsqu’une petite entreprise est en forte croissance, l’ambiance change et les employés veulent éventuellement des augmentations. Qui tardent parfois à suivre, puisque la firme n’a pas encore les budgets nécessaires. «Dans une situation comme ça, plusieurs entreprises bougent trop tard et perdent des gens qui sont là depuis le début, des employés-clés», souligne Mme Meunier. Elle suggère donc de gérer les attentes et d’expliquer que les salaires seront graduellement réajustés… et de tenir parole.