Transports: favoriser des choix orientés vers le bien commun
Le courrier des lecteurs|Publié le 15 septembre 2023Quand les investissements constituent des occasions de valoriser des carrières politiques, les citoyen.nes et le pays sont mal desservis. (Photo: 123RF)
Un texte Michel Filion, DESS Management, c. Ph. D., conseiller en gestion publique, consultant à l’international (Banque mondiale et Fonds monétaire international)
COURRIER DES LECTEURS. Un peu avant la rentrée circulait la rumeur de la création d’une agence indépendante pour gérer les investissements publics en transport. Selon La Presse et Radio-Canada, la vice-première ministre et ministre des Transports, Geneviève Guilbault, déposerait un projet de loi cet automne. L’agence serait responsable de la planification à long terme du développement des réseaux de transport, de l’évaluation et de la priorisation des projets, de la coordination avec les autorités et partenaires, de la gestion des ressources et du soutien à l’innovation et à la durabilité des infrastructures.
Le Québec, avec ses vastes territoires et ses centres urbains en croissance, fait face à des défis de mobilité. Les embouteillages, les problèmes de connectivité régionale et la nécessité de réduire les émissions de carbone appellent à des solutions novatrices pour moderniser et étendre les réseaux de transport. L’agence serait plus apte à relever ces défis que le ministère.
Deux projets ont marqué l’actualité récente et ont semé des doutes sur la capacité des institutions actuelles à gérer adéquatement la construction de grandes infrastructures. D’abord, le débat autour de l’abandon du troisième lien à Québec a mis en lumière le poids du politique dans l’inscription du projet dans le portefeuille d’investissement de l’État. Ensuite, les ratés du REM ont ramené sur l’avant-scène le bruit, la qualité visuelle, ainsi que les dépassements de coûts.
L’investissement public
Il convient de rappeler l’importance de la qualité des choix d’investissement. La création d’actifs, tels que des bâtiments, des routes, des ports, des aéroports, des infrastructures de transport collectif, sert de fondation à la croissance économique, à la qualité de vie des citoyen.nes et rend compte du niveau de responsabilité de notre société, dans son ensemble, à l’égard de la planète.
Les choix que nous faisons en matière d’investissement public ont un impact considérable sur nos vies, sur notre société et sur la direction que prend notre nation. Ainsi, l’Europe peut envisager le choix éminemment rationnel de substituer l’avion par le train parce que le réseau de ce dernier est bien développé. La qualité des infrastructures en éducation dans les pays membres de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), comme le Canada, la France et autres, augmente la valeur perçue de la main-d’œuvre et le pouvoir d’attraction de ces économies pour les grand·es investisseur·euses privé·es. Aussi, la disponibilité d’équipements de pointe dans les laboratoires des institutions publiques favorise l’innovation.
A contrario, de mauvaises décisions d’investissement, comme celle bien connue et bien documentée de la construction de l’aéroport de Mirabel, peuvent entrainer des répercussions profondes et durables sur notre environnement et notre société, laissant une empreinte qui transcende les générations.
Les agences, un concept de la fin du siècle dernier
Il n’y a pas de miracle à attendre. Les agences indépendantes assurant en partie ou en totalité les missions de l’État constituent une idée issue de la Nouvelle gestion publique (NGP) portée par les conservateurs britanniques dans les années 1970 et par les républicains aux États-Unis dans les années 1980. La Banque mondiale en a fait la promotion dans les années 1990. Il s’agit d’une nouvelle structure, simplement.
Une agence des transports fera ce qu’un ministère dynamique peut faire:
- élaborer une vision à long terme pour le développement, en prenant en compte les besoins de mobilité, les priorités environnementales et les perspectives d’urbanisation;
- analyser les projets proposés, les évaluer selon des critères préétablis et les prioriser en fonction de leur impact économique, social et environnemental;
- coordonner les efforts et la mise en commun des ressources pour la réalisation efficace des projets;
- jouer un rôle dans la recherche de financement, le suivi des budgets et la gestion des ressources nécessaires à la mise en œuvre des projets d’infrastructure;
- contribuer à l’innovation et à la création d’infrastructures résilientes et écoresponsables.
On reconnaît des défauts aux agences:
- le manque de transparence et de redevabilité, ce qui peut entrainer des comportements inappropriés et contraires à l’intérêt public;
- le risque de duplication des structures et l’entrainement d’une fragmentation des efforts gouvernementaux;
- I’effet de silo en fonctionnant de manière relativement isolée du reste du gouvernement, ce qui peut parfois entraver la coordination et la collaboration entre différentes parties prenantes.
Exemples d’agences
Comme il s’agit d’une idée qui a du vécu, plusieurs expériences ont été menées, dont au Royaume-Uni avec National Highways, une agence gouvernementale autonome qui planifie, conçoit, construit, exploite et entretient les autoroutes et les principales routes de l’Angleterre. On lui reproche le cout excessif des projets et des iniquités régionales. En Australie, Infrastructure Australia conseille le gouvernement sur les investissements en matière d’infrastructures nationales. Elle identifie les projets prioritaires, évalue leur viabilité et fournit des recommandations pour optimiser les investissements dans des secteurs tels que les transports, l’énergie, l’eau et les communications. Elle est aussi reconnue pour ses apports significatifs, mais aussi identifiée à certains ratés.
Au Québec, la Société québécoise des infrastructures (SQI) créée en 2013 répond au même désir exprimé par l’éventuel projet de Loi de la ministre des Transports. Elle centralise la gestion des infrastructures publiques, tant sur le plan du développement et du maintien du parc immobilier, qu’en ce qui concerne le soutien aux organismes publics dans la gestion de leurs projets d’infrastructure. Selon le Vérificateur général du Québec, dans son rapport 2020-2021, la SQI pâtit des problèmes habituels de ce type d’organisations, entre autres l’information publiée dans le rapport annuel de gestion ne permet pas d’évaluer correctement la performance.
La question n’est pas vraiment d’avoir une agence ou pas. L’enjeu est d’avoir un cadre de gestion des investissements publics qui favorise des choix rationnels orientés vers le bien commun. On le sait, on l’a vu et on le verra sans doute encore, quand les investissements constituent des occasions de valoriser des carrières politiques, les citoyen.nes et le pays sont mal desservis.
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