Maxime Francoeur revend des lots de retours d'Amazon sans regarder leur contenu. (Photo: Graham Hughes pour La Presse Canadienne)
Achèteriez-vous un lot de cinq boîtes pour 60$ sans savoir ce qu’il y a dedans?
C’est l’invraisemblable pari qu’a fait Maxime Francoeur, un étonnant entrepreneur âgé de 18 ans qui a procédé, samedi à Longueuil, à sa deuxième vente de «boîtes-mystère d’Amazon Canada». Il s’agit de boîtes contenant des produits achetés et retournés au géant du commerce en ligne Amazon, boîtes qu’il achète en lots sans en connaître le contenu lui-même et qu’il revend, une fois par semaine, en s’annonçant sur la plateforme Marketplace de Facebook.
«J’aime ça gérer des choses, des petites « business »», raconte-t-il en entrevue avec La Presse Canadienne. «J’ai acheté un petit camion et je ramasse des débris de construction sur les chantiers. J’ai une petite entreprise et je fais ça. J’ai vraiment la fibre entrepreneuriale!» s’exclame-t-il en riant au bout du fil.
La facilité avec laquelle il est possible de retourner des articles achetés sur Amazon a submergé depuis plusieurs années le géant, qui très souvent ne prend pas la peine de les remettre en tablette, se contentant de les revendre en lots à des distributeurs de liquidations et de retours. Maxime Francoeur s’approvisionne chez un de ces distributeurs, qu’il préfère ne pas nommer pour éviter de se faire couper l’herbe sous le pied: «J’ai vu que ça existait et je me suis dit: je vais essayer de me faire une place. J’ai remarqué que c’était vraiment rare. Ce n’est pas un produit que tu peux acheter et demander à Amazon de t’envoyer des retours.»
«C’est un jeu!»
Une recherche auprès de ces distributeurs montre que certains vendent des lots avec des listes détaillées de ce qu’ils contiennent, mais ce n’est pas le cas de tous les lots. Ce sont ces derniers que cible le jeune homme: «Tu commandes des palettes et dans les palettes, ils ont mis les boîtes qu’eux décident de ne pas ouvrir parce que ça leur prend trop de temps. Ils ne font que mettre les boîtes non ouvertes ensemble et moi j’ai décidé d’acheter ça. Honnêtement, je n’ai moi-même aucune idée de ce qu’il y a dans les boîtes.»
Et ses clients sont prêts à faire le même pari que lui. Sa clientèle est-elle satisfaite? «C’est 50-50, parce qu’il y en a plein qui arrivent et qui pensent trouver des iPhone, que chaque colis va contenir de grosses affaires. Ces personnes-là vont être déçues. Mais si quelqu’un arrive et qu’elle fait ça pour le plaisir, même si elle trouve des petits objets à 20$, elle pourra les revendre et elle va faire de l’argent. Une dame m’a écrit pour me dire qu’elle avait eu une paire d’écouteurs à 500$. C’est un jeu. C’est sûr que tu peux faire un peu d’argent, mais ça reste que c’est un peu du « gambling ».»
«Vendre le mystère»
Lui-même s’assure d’un profit, cependant. Il vend ses boîtes — achat minimum de cinq boîtes à 12$ l’unité — et il estime qu’elles lui reviennent à environ 9,25$ selon les lots et le nombre de boîtes: «Moi, c’est garanti que je rentre dans mon argent. Je paye sans savoir, mais je revends aussi sans savoir! Je pourrais les ouvrir. Peut-être que je ferais de l’argent en les ouvrant, mais pour moi c’est plus rapide comme ça. J’aime mieux le concept de vendre le mystère.» Il avoue, tout de même, s’être déjà laissé tenter: «Oui, j’en ai ouvert personnellement, la première fois que j’en ai acheté, juste pour voir, confie-t-il. C’est vraiment l’fun à ouvrir, c’est une surprise à chaque fois.»
Clairement, il y prend plaisir, au point où il pense prendre de l’expansion: «Là, je fais ça de chez moi. Au début, c’était juste pour faire un test et finalement, j’ai été chercher des boîtes parce que je n’en avais plus. Éventuellement, je prévois me louer un entrepôt et me lancer même dans d’autres choses, dans d’autres palettes.» Et il ne fait pas de favoris parmi ses clients pour les lots de cinq boîtes: «On choisit les boîtes aléatoirement, mais on va en mettre une grosse, une moyennement grosse, une moyenne, une petite et une mini, pour que tous les clients aient une chance égale de trouver des articles intéressants dedans.»
Bien que le tout semble être un jeu d’enfant, ce n’est pas le cas: «Même pour moi, qui sais où se les procurer, ce n’est pas facile de s’approvisionner. Il faut acheter environ huit palettes. Je ne peux pas acheter seulement une palette. Avant c’était possible, mais c’est tellement en demande qu’ils priorisent maintenant ceux qui en achètent beaucoup.» Aussi, comme il achète l’inconnu, il n’est pas à l’abri des mauvaises surprises lui non plus: «Il faut toujours que je calcule qu’un 10-15 boîtes ne sont pas revendables. Elles sont trop petites ou parfois on voit c’est quoi l’article alors je ne peux pas le vendre comme une boîte-mystère. Des fois, ça va un peu moins bien parce que dans une palette j’ai plein de boîtes que je ne peux pas vendre.»
Notre client-mystère
Histoire de jouer le jeu jusqu’au bout, La Presse Canadienne a envoyé un «client-mystère» pour acheter un lot de «boîtes-mystère». Voici ce que contenaient les 5 boîtes achetées pour 60$, avec leur valeur à neuf: lotion pour les mains écossaise (34$); rouleau de 1 kg de filament pour imprimante 3−D (38$); station d’accueil pour disque dur (47$); tube de glissade sur neige (32$) et une pôle à rideau de valeur inconnue. Donc, une valeur d’au moins 151$, mais une utilité plutôt variable pour un acheteur!
L’initiative de Maxime Francoeur a un bon côté, soit celui de remettre sur le marché des items qui auraient tout aussi bien pu aboutir dans des centres de recyclage ou, pire encore, dans des sites d’enfouissement. Une enquête menée en octobre dernier par l’émission Marketplace de la télévision anglaise de Radio-Canada (l’ironie du titre de l’émission n’échappera pas au lecteur attentif) révélait qu’une masse des retours d’Amazon aboutissent bel et bien au recyclage ou sont carrément enfouis.
Et c’est là où le bât blesse. Selon un expert en gestion de chaînes d’approvisionnement cité dans le reportage, entre 30% et 40% des achats en ligne sont retournés, comparativement à environ 10% des achats en magasin. Ce qui se traduit par une contribution disproportionnée au problème environnemental. Au moins, les boîtes-mystère de Maxime Francoeur leur épargnent ce sort à moins, bien sûr, que ceux qui les achètent les jettent à leur tour.