Une décision de Québec inquiète l’écosystème des incubateurs
Emmanuel Martinez|Édition de la mi‑mars 2023Malgré les remous, les experts s’entendent pour dire que les besoins des entrepreneurs doivent demeurer centraux dans la mission des incubateurs et des accélérateurs. (Photo: 123RF)
La décision du ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec de concentrer son financement à un nombre restreint d’incubateurs et d’accélérateurs plus performants soulève des craintes.
Une enveloppe de 25 millions de dollars (M$) provenant de la Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation (SQRI2) a été attribuée par appel de projets. Les Affaires a appris que les organisations choisies se trouvent seulement dans les régions de Montréal, de Québec et de Sherbrooke, ce qui veut dire que des régions comme le Saguenay, la Mauricie et l’Outaouais sont pour le moment écartées.
«C’est une grosse préoccupation. On passe d’un système où on en finance 80 à un autre qui n’en finance plus qu’une dizaine, note Louis-Félix Binette, directeur général du Mouvement des accélérateurs d’innovation du Québec (MAIN), en entrevue téléphonique. Il y a de gros points d’interrogation.»
«Cela amène beaucoup de changements, car les acteurs doivent revoir leur stratégie et leur manière de travailler ensemble», ajoute-t-il. Bien qu’il ne remette pas en cause la pertinence de focaliser les ressources vers les organisations qui se distinguent, il juge que cette «grosse remise en question» pourrait entrainer des effets pervers.
«Pour que l’écosystème performe, il faut plus que des gens au bout du pipeline, affirme-t-il. Si on veut des ligues majeures, cela prend des ligues mineures pour détecter les entrepreneurs et les aider dans l’élaboration de leur proposition de valeur.»
«Le problème, c’est que le gouvernement met les incubateurs en concurrence les uns contre les autres avec le concours et qu’ensuite, il leur demande de collaborer, ajoute-t-il. C’est sûr que l’incitatif à la collaboration n’est pas grand quand t’es mis en concurrence. Cela crée des tensions qui ne sont pas utiles.»
Questionné au sujet de cette nouvelle stratégie, le ministre Pierre Fitzgibbon a souligné que cet écosystème est central dans le plan de la SQRI2. «On met plus d’argent que dans le passé, a-t-il affirmé. Mais on a décidé d’être plus étroit et plus profond, et de s’assurer qu’on couvre toutes les régions.»
De l’espoir pour les plus petits
L’institut Innovation Gatineau est l’un de ceux qui ont mordu la poussière lors de cet appel à projets. Son directeur général, Michael Anthony Clement, voit quatre avenues pour les incubateurs comme le sien: 1 – Être encore plus niché; 2 – Fusionner ou se consolider; 3 – Cesser ses opérations; 4 – Innover.
Devenir plus spécialisé a du sens pour certaines organisations, mais cela pourrait être compliqué pour celles en région qui veulent accueillir différents types d’entrepreneurs. Il faut noter que les incubateurs présents dans des axes stratégiques établis par le gouvernement québécois peuvent aussi être appuyés par d’autres initiatives. Ce fut le cas de cinq incubateurs et accélérateurs en sciences de la vie qui se sont partagé plus de 7 M$ en janvier. Les zones d’innovation créées par Québec pour stimuler la recherche et l’activité économiques dans un domaine précis pourraient également donner un coup de pouce monétaire. Des fonds du privé ainsi que du fédéral pourraient aussi prendre la relève.
La consolidation est fort probable pour certaines, notamment dans des secteurs encore une fois jugés prioritaires par l’État, comme dans l’univers des change-ments climatiques et des technologiques propres. Un ou des consortiums pourraient être créés, selon Louis-Félix Binette.
«C’est inévitable, il y aura moins d’incubateurs», croit Michael Anthony Clement. Il demeure cependant optimiste. Par exemple, il estime que son organisation survivra parce qu’elle compte sur des innovations pour être plus productive. L’institut Innovation Gatineau mise sur du coaching virtuel, une approche que la pandémie a généralisée. Elle a aussi créé des outils informatiques conçus spécifiquement pour des organisations comme la sienne afin d’en «faire plus avec moins».
«Ils seront testés en mars par cinq incubateurs, précise le dirigeant. Il s’agit d’automatiser des processus, comme la facturation et d’autres paperasseries administratives, afin de se concentrer davantage sur l’accompagnement des entrepreneurs.»
Michael Anthony Clement estime que tout cela sera particulièrement utile pour les organisations de moins de dix employés.
Garder le cap
Le directeur général du Centech, Richard Chénier, soutient qu’il importe d’optimiser la chaîne permettant aux start-ups d’évoluer. «Il y a beaucoup d’aide en phase de démarrage, la période 0-3 ans, mais pas suffisamment en idéation et en émulation, et pas assez en phase de croissance, donc pas assez avant ni après le lancement», dit-il.
Il croit que trop d’organisations offrent les mêmes services et qu’il est normal de maximiser les ressources. «Mon grand rêve, c’est qu’on suive mieux l’évolution des entreprises selon son stade de développement et qu’on identifie et finance les acteurs qui les aideront à chaque étape», poursuit-il. Le Centech a reçu une aide de 4,5 M$ sur trois ans de l’État québécois et s’est récemment classé parmi les dix incubateurs d’entreprises universitaires les plus performants au monde selon UBI Global. Malgré tous ces remous, tous s’entendent pour dire que les besoins des entrepreneurs doivent rester au coeur de la mission des incubateurs et accélérateurs.
«Peu importe leur nombre, l’important, c’est que les start-ups de partout au Québec aient droit au meilleur accompagnement, au meilleur moment, déclare Louis-Félix Binette. Notre vraie concurrence, c’est l’international. Il faut que nos start-ups soient prêtes à y faire face.»