Le cap de la cinquantaine est bel et bien une réalité... Photo: DR
Parfois, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En voici une preuve lumineuse, tirée des données de Statistique Canada ; elle concerne la durée moyenne de chômage des Québécois en 2018, en fonction des tranches d’âges :
– Pour les 15-24 ans, elle a été de 8,4 semaines ;
– Pour les 25-54 ans, elle a été de 18,6 semaines ;
– Pour les 55 ans et plus, elle a été de 30,5 semaines.
Oui, vous avez bien lu, lorsqu’un baby-boomer connaît aujourd’hui le chômage, ça lui prend en général presque 8 mois avant de retrouver un emploi ! C’est presque deux fois plus que pour un membre de la génération X ou des milléniaux, et presque quatre fois plus que pour un membre de la génération Z.
Comment une telle différence est-elle possible ? Surtout en cette période de pénurie de main-d’œuvre, dont se plaignent tant les employeurs québécois, ces temps-ci…
Se pourrait-il, par hasard, qu’on soit là face à un cas flagrant d’âgisme, c’est-à-dire de discrimination à l’embauche – consciente, ou pas – en fonction de l’âge de la personne ?
Tenez-vous bien, il se trouve que j’ai mis la main sur une étude qui répond franchement à cette interrogation. Si, si… Cette étude est intitulée Is it harder for older workers to find jobs? New and improved evidence from a field experiment, et est signée par: David Neumark, professeur d’économie à l’Université de Californie à Irvine (États-Unis); Ian Burn, doctorant en économie à l’Université de Stockholm (Suède) ; et Patrick Button, professeur d’économie à l’Université Tulane à La Nouvelle-Orléans (États-Unis). Regardons ça ensemble…
Les trois chercheurs ont envoyé plus de 40.000 CV à la suite d’offres d’emplois diffusées ici et là (web, sites spécialisés…), aux États-Unis. Ces CV avaient une particularité, à savoir qu’ils étaient grosso modo identiques, hormis certaines informations principales : parfois, le sexe changeait ; parfois, c’était l’âge qui changeait. Et ils ont tout bonnement regardé si certaines données avaient un impact sur le taux de réponse, ou pas.
Résultats ? J’aimerais vraiment que vous vous asseyiez bien avant de lire ce qui suit :
> Malheur aux femmes de 50 ans et plus. Passé 50 ans, les femmes sont nettement plus discriminées à l’embauche que les hommes. C’est bien simple, elles sont carrément ostracisées : il suffit que leur âge apparaisse sur leur CV pour que celui-ci ait toutes les chances d’être écarté par les recruteurs.
> Une discrimination aggravée par le vieillissement. Plus les femmes vieillissent, plus elles souffrent de discrimination à l’embauche. Il existe en effet une forte disproportion de la discrimination entre, par exemple, les femmes de 64-66 ans – la pire tranche d’âges, selon l’étude – et celles de 49-51 ans.
D’où provient cette scandaleuse ostracisation ? L’étude ne l’indique pas, sa méthodologie n’ayant pu permettre aux trois chercheurs de répondre à cette question. Toutefois, MM. Neumark, Burn et Button s’appuient sur d’autres travaux scientifiques pour avancer une hypothèse : l’apparence physique. De manière consciente ou pas, les recruteurs souffrent ainsi de deux biais, d’après eux :
– Sexisme. Ils préfèrent, semble-t-il, les hommes d’un certain âge aux femmes du même âge ; et ce, parce qu’à leurs yeux les hommes «vieillissent mieux» que les femmes.
– Âgisme. Dans la même veine, ils préfèrent, semble-t-il, les femmes «jeunes et belles» aux femmes «mûres et rebelles» ; et ce, toujours en raison du fait qu’ils estiment que la vieillesse ne sied pas aux femmes.
Ahurissant, n’est-ce pas ? D’autant plus que je suis certain que si vous êtes vous-même un recruteur, vous pouvez jurer vos grands dieux que vous n’avez jamais – ô grand jamais – écarté un CV parce que la candidate était une femme dans la cinquantaine.
Mais voilà, vous comme moi, que nous soyons recruteur ou pas, nous discriminons inconsciemment les femmes dans la fleur de l’âge. C’est ce que nous révèle cette étude. C’est ce que nous nous devons de réaliser. Si bien qu’il nous appartient de veiller dès à présent de contrer ce biais dans notre quotidien au travail. Ne serait-ce que pour améliorer la vie et le sort professionnel de nos chères collègues.
Ce n’est pas tout. Les trois chercheurs ont noté que cette ostracisation avait deux impacts économiques insoupçonnés…
D’une part, le rejet systématique de ces femmes du monde du travail fait peser un poids indu sur les programmes d’aide sociale : faute de trouver un emploi des mois durant, nombre d’entre elles se tournent tout naturellement vers l’État pour trouver un soutien financier.
D’autre part, cela fait courir un vrai risque aux employeurs. Car s’ils étaient pris en flagrant délit d’âgisme – oui, il s’agit bel et bien d’un délit puisqu’un tel comportement contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne (rappelons qu’un employeur n’a pas le droit de tenir compte «de l’âge, de la religion, de l’orientation sexuelle, de l’état civil ou de toute autre caractéristique personnelle» d’un candidat potentiel, «sauf si ces considérations traitent d’une qualité ou d’une aptitude requise par l’emploi») –, ils seraient contraints de payer une amende conséquente : «aux États-Unis, l’ensemble des employeurs devrait globalement débourser 3,3 G$ US par an s’ils devaient payer de telles amendes, selon nos estimations», expliquent MM. Neumark, Burn et Button, en se fondant sur l’Age Discrimination in Employment Act (Adea) en vigueur chez nos voisins du Sud depuis 1965.
Voilà. La cinquantaine est bel et bien un cap. En particulier pour les femmes, dans leur quotidien au travail. À nous tous, maintenant, d’en prendre conscience. Et surtout, d’agir en conséquence, histoire d’embellir leur vie professionnelle, et par la même occasion la nôtre.
En passant, l’écrivain américain Stephen King a dit dans Insomnie : «Vieillir, ce n’est pas un boulot pour les poules mouillées!»
Découvrez mes précédents billets
Mon groupe LinkedIn
Ma page Facebook
Mon compte Twitter
Et mon dernier livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement