L'idée, c'est de lui faire une «throffer»... (Photo: 123RF)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Un des membres de mon équipe est antivax. Ça crée du trouble. Certains m’ont fait part de leur refus de travailler à proximité de lui, voire carrément avec lui, le jour où le télétravail ne sera plus obligatoire. Comment le convaincre de changer d’idée?» – Léo
R. — Cher Léo, j’ai une bonne nouvelle pour vous: il y a un moyen subtil d’y parvenir, qui découle d’une récente étude menée par une équipe de chercheurs dirigée par Tom Chang, professeur d’économie et de finance à l’école de commerce Marshall de l’Université de Californie du Sud, à Los Angeles.
Cette étude consistait à évaluer l’impact réel des différentes mesures gouvernementales visant à inciter les Américains à se faire vacciner contre la COVID-19. À savoir, si les cartes d’achat dans un grand centre commercial, les cartes d’accès à des parcs d’attractions ou à des stations de ski, ou encore les billets de loterie dont le gros lot atteignait 2 M$ US avaient moindrement changé le comportement des récalcitrants à la vaccination.
Résultat? Il est a priori décourageant: les incitations positives, aussi nombreuses et variées soient-elles, ne fonctionnent pas. Certes, elles augmentent les intentions d’aller se faire vacciner, mais elles n’ont aucune incidence sur le taux de vaccination. Et puis, les incitations positives ont un impact négatif sur certains groupes de la population, en particulier les plus de 40 ans et les partisans de Donald Trump, l’ex-occupant de la Maison-Blanche (il semble que ces opérations de communication les confortent dans l’idée que le gouvernement cherche à les manipuler et qu’elles avivent leurs inquiétudes quant aux éventuels effets secondaires des vaccins).
En vérité, ce qui fonctionne auprès des récalcitrants, c’est plus le bâton que la carotte. L’étude met au jour le fait que les incitations les plus efficaces étaient les plus percutantes, à savoir les messages qui martelaient l’importance de tous se faire vacciner pour permettre «un retour à la normale». Le mécanisme mental repose alors sur un biais cognitif bien connu des économistes, le biais de «l’aversion pour la perte»: vous comme moi, nous attachons plus d’importance à une perte qu’à un gain du même montant.
Ce que les gens veulent le plus, y compris les antivax, c’est revenir à la vie d’avant la pandémie. La vie où l’on ne portait pas de masques, la vie où l’on ne devait pas s’enfermer chez soi passé 22h, la vie où l’on pouvait librement travailler et rigoler au bureau.
D’où l’intérêt de menacer d’un coup de bâton ceux qui empêchent le «retour à la normale», en leur faisant «une offre qu’ils ne pourront pas refuser», comme le disait, sourire en coin, le dangereux Marlon Brando dans le film Le Parrain. Il convient de recourir à ce que le philosophe canadien Hillel Steiner appelle une «throffer» (la contraction de threat, menace en français, et d’offer, offre en français), une proposition lourde de conséquences en cas de refus.
L’idée est d’adapter le bâton aux personnes ciblées, «à leurs intérêts et valeurs propres». De ne surtout pas taper fort en tous sens, en interdisant aux non-vaccinés l’accès à certains commerces, à certains biens ou à certains services. Mais de viser la corde sensible propre à chaque sous-groupe que composent les antivax.
Dans le cas qui nous intéresse, cher Léo, il vous faut identifier la corde sensible de l’employé en question. Aime-t-il plus que tout travailler en gang? Faites-lui comprendre qu’il est le seul à qui l’organisation va offrir d’être à 100% en télétravail. Ou bien, rêve-t-il de faire des voyages d’affaires? Indiquez-lui que les autres vont désormais être prioritaires.
Bref, c’est en saisissant que leur attitude nuit directement au «retour à la normale» de leur propre vie quotidienne que les antivax sont susceptibles de changer d’avis. Et à plus forte raison si la «menace voilée» (throffer) qui leur est faite leur permet de réaliser que leur comportement nuit aussi directement à leurs proches, en l’occurrence leurs collègues de travail.