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Analyse des risques psychosociaux : serez-vous prêts en octobre 2025 ?

Catherine Charron|Édition de la mi‑novembre 2024

Analyse des risques psychosociaux : serez-vous prêts en octobre 2025 ?

L’entreprise doit prendre le temps d’analyser les risques en fonction du rôle et des respon-sabilités des employés, en sondant ces derniers et non en se fiant à son instinct. (Photo: 123RF)

Charge de travail, définition des rôles, problèmes d’équité interne, soutien des gestionnaires, reconnaissance, autonomie, harcèlement ou violence en milieu de travail ou dans le foyer familial… Nombreux sont les facteurs qui doivent être compris dans l’analyse des risques psychosociaux que les employeurs doivent effectuer avant le 6 octobre 2025, sans quoi ils pourraient être sanctionnés.

Cet examen maintenant obligatoire fait partie des multiples mises à jour de la Loi sur la santé et la sécurité en milieu de travail du ministre du Travail, Jean Boulet. Québec a toutefois laissé une période de sursis aux entreprises pour qu’elles adoptent des mécanismes de prévention et de participation afin, notamment, de braquer les projecteurs sur les facteurs de risques psychosociaux.

Les entreprises qui n’avaient pas de tels programmes en place ont donc eu à implanter un régime intérimaire, sorte d’introduction à des structures plus permanentes attendues à partir de l’automne prochain. La date butoir pourrait être devancée si Québec en décide autrement, rappelle la Commission des normes sur la santé et la sécurité au travail.

Par courriel, elle ajoute que les organisations qui comptent 19 travailleurs ou moins n’ayant « pas déjà des mécanismes de prévention et de participation doivent documenter par écrit l’identification des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs ».

Elles doivent donc prévoir un plan d’action pour les enrayer, indique l’avocate spécialisée en droit du travail et de l’emploi chez Fasken, Marie-Gabrielle Bélanger. À noter que les chantiers de construction où dix employés travaillent simultanément sont déjà contraints.

Les entreprises qui emploient 20 personnes et plus doivent également prévoir un programme de prévention détaillé.

Peu d’organisations avaient auparavant le réflexe de mener un tel examen, sauf lorsque la situation était houleuse. « On les oblige maintenant à mettre le doigt sur le bobo plus tôt », résume l’avocate.

Activer son radar

Au-delà de se conformer aux obligations légales, toutes les entreprises devraient s’intéresser aux facteurs de risques psychosociaux qui guettent leurs employés, d’après les experts interrogés. Il en va de leur responsabilité d’offrir un environnement de travail sain et sécuritaire.

Les facteurs de risques se «cachent partout», estime Marie-Ève Champagne, consultante en santé, sécurité et mieux-être au travail à Nucléi Conseils, autant du côté des pratiques de gestion et de l’organisation du travail que des relations interpersonnelles. Certains peuvent même sembler en dehors du giron de l’employeur, comme dans un milieu où les événements potentiellement traumatisants sont fréquents. « On a parfois plus de contrôle qu’on le pense », d’après elle.

Avant de lancer un sondage auprès des employés — une clé de voûte de la démarche selon tous les intervenants consultés —, la conseillère en relation industrielle agréée suggère d’éplucher les problèmes qui ont antérieurement été soulevés par les membres du personnel, les irritants comme les conflits.

Examiner le climat de travail est aussi un bon point de départ, estime Marie-Gabrielle Bélanger.

L’entreprise devrait tirer profit des données anonymisées dont son fournisseur en assurance collective dispose déjà sur les arrêts de travail, les invalidités ou l’utilisation des programmes d’aide aux employés.

L’employeur doit également s’assurer que tous parlent un même langage et reconnaissent les facteurs de risques pour effectuer un examen complet. Cette éducation en amont est donc nécessaire, surtout auprès des gestionnaires, estime Manon Truchon, spécialiste de la santé au travail et professeure titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval.

Cette formation est encore plus essentielle pour apprécier les résultats de l’enquête menée par l’organisation. « Éventuellement, certains seront mis sur la sellette, donc il va y avoir de la résistance et de l’incompréhension », dit Marie-Ève Champagne.

Les questions que devront se poser l’entreprise ratissent large. Elle devra prendre le temps d’analyser les risques en fonction du rôle et des responsabilités des employés, et c’est en se tournant vers eux qu’elle a le plus de chance de les déterminer.

« Trop d’organisations se fient à leur instinct pour le faire. C’est une erreur », estime Martin Binette, vice-président au développement et à la croissance d’Inpowr, une PME spécialisée dans la prévention des risques psychosociaux.

Par la suite, l’entreprise peut coordonner des groupes de discussion afin d’approfondir certains des constats faits à l’étape précédente, ajoute-t-il.

« Les employés savent de quoi ils ont besoin pour effectuer un travail de qualité. Parfois, les employeurs craignent que ça leur coûte cher. Pourtant, quand on leur demande comment ils amélioreraient leurs conditions de travail s’ils avaient une baguette magique, ils nous arrivent avec des propositions terre à terre », rapporte Manon Truchon, qui a collaboré au développement de la solution d’Inpowr.

Faire circuler l’information

Après avoir déterminé là où ça coince, l’entreprise doit adopter un plan d’action, en mesurer les retombées et effectuer un suivi afin de créer un environnement de travail plus sécuritaire.

Simultanément, l’implantation de mécanismes pour aviser les bonnes personnes afin d’atténuer les nouveaux facteurs de risques psychosociaux sera aussi nécessaire, croit Marie-Gabrielle Bélanger.

Ainsi, si l’équipe est fatiguée, que la charge de travail est trop élevée, ce qui pourrait engendrer un climat de travail tendu ou pousser les gens vers la sortie, ces dirigeants doivent être alertés. Ils pourront embaucher ou revoir l’organisation du travail, par exemple.

Ils devront permettre aux employés victimes de s’exprimer sans représailles, ajoute Manon Truchon. « Si c’est l’employeur qui [lance des représailles] envers l’employé, ça peut être délicat de le dénoncer. »

Pour que de tels efforts aient réellement des retombées à long terme, la démarche doit se faire en continu, et non pas devenir un rapport que l’on tablette par la suite parce qu’on est dorénavant conforme aux exigences.

Martin Binette recommande de miser sur la théorie des petits pas pour entamer cette démarche qui peut sembler imposante. « On mange l’éléphant une bouchée à la fois. La loi n’oblige pas à régler tous les risques psychosociaux d’un coup, mais bien de les mesurer, de les identifier, de les analyser et d’adopter un plan d’action », rappelle-t-il.

Toutes les entreprises n’ont pas non plus la même capacité d’absorption au changement ou la latitude de mener une transformation à grand déploiement, dit Marie-Ève Champagne. Rapportant les propos de Luc Lapointe, fondateur de Scientifyx, elle suggère d’« identifier le problème le plus récurrent dans l’équipe et de tenter d’y apporter un correctif. C’est plus efficace d’en aborder un chaque semaine plutôt que d’élaborer un plan pour être parfait dans cinq ans ».