Sanna Marin est la première ministre de la Finlande. (Photo: Getty Images)
BLOGUE. La première ministre finlandaise Sanna Marin a été élue dimanche à la tête de son parti politique, le Parti social-démocrate, et lors de son discours d’investiture elle a fait une déclaration choc : oui, elle compte bien tenir promesse et fera tout son possible pour que la semaine de travail soit «significativement écourtée» en Finlande. C’est qu’avant de prendre les rênes de son pays en décembre dernier, elle prônait ouvertement la journée de travail de 6 heures – au lieu des 8 heures actuelles – ou, ce qui revient au même, la semaine de 4 jours…
«Nous devons adopter une vision claire et mettre en place des mesures concrètes afin que les Finlandais puissent bénéficier de journées de travail plus courtes et d’une meilleure conciliation entre le travail et la vie privée», a dit l’élue de 34 ans aux membres de son parti, en soulignant que «cela accroîtra la productivité du pays».
Mme Marin s’engage donc à entamer des discussions à ce sujet avec les quatre autres partis politiques qui figurent dans la coalition qu’elle dirige en tant que première ministre, dont les dirigeants sont toutes des femmes, trois d’entre elles étant âgées de moins de 35 ans. Des discussions qui ne devraient pas être trop ardues, vu que ces dirigeantes semblent sur la même longueur d’onde à ce sujet: «Il est crucial de permettre aux Finlandais de travailler moins longtemps. Il ne s’agit pas là d’avoir une politique «féminine», mais de donner un coup de main à tous les Finlandais, de les aider à avoir une vie encore meilleure, ce qu’ils ne cessent de réclamer», a d’ailleurs dit Li Andersson, la présidente de l’Alliance de gauche.
Cela étant, le projet risque fort de voir des bâtons se mettre dans ses roues, ici et là. Car tout le monde n’est pas à l’aise avec l’idée d’une réduction de la semaine de travail de 35 heures à 30 heures par semaine. À commencer par nombre de membres du Parti social-démocrate, celui-là même de la première ministre: cette fin de semaine, le congrès n’a pas fait qu’élire sa nouvelle présidente, il a aussi brassé des idées, et il se trouve que les membres ont rejeté une proposition visant à expérimenter la journée de 6 heures! Et ce, même si Mme Marin en avait vanté les vertus, à savoir que la diminution des heures travaillées serait compensée par l’augmentation de la productivité et que cela permettrait de faire passer le taux d’emploi de la Finlande de 73,7% à «plus de 75%», «une nécessité pour faire rapidement sortir le pays de la crise économique dans laquelle l’a plongée la COVID-19».
Un argument a fait revenir en arrière les participants au congrès: «La richesse engendrée par l’augmentation de la productivité ne doit plus être partagée qu’entre les employeurs et les investisseurs, elle doit également bénéficier directement aux employés. Ce qui peut aisément se faire sous la forme d’une réduction de la semaine de travail», a lancé Mme Marin. Résultat? Le congrès s’est finalement dit d’accord avec l’objectif de «diminuer les heures de la semaine de travail» et d’«accroître la flexibilité dans la vie professionnelle».
La journée de 6 heures, elle a justement été expérimentée en Suède, l’un des voisins de la Finlande. Entre 2015 et 2017, une résidence pour personnes âgées de Göteborg a décidé que la moitié du personnel, soit 80 employés, aurait un nouvel horaire de travail: six heures par jour, 30 heures par semaine; et ce, en gardant le même salaire qu’auparavant.
Les résultats ont été positifs et «négatifs»:
> Positif. Des employés à la fois plus heureux et plus productifs que les autres. De plus, on a enregistré nettement moins d’absences au travail de leur part: nombre de participants à l’expérience ont profité de leurs nouveaux temps libres pour faire davantage de sport, ce qui a joué sur leur santé, et par suite ils ont eu deux fois moins d’arrêts maladie que les autres.
> Négatif. Pour pallier la réduction du temps de travail des 80 participants à l’expérience, la Ville – qui gère cette résidence pour personnes âgées – a embauché 17 personnes supplémentaires. Ce qui a représenté un coût total, sur deux ans, de 12 millions de couronnes (1,95 M$). Certes, ces embauches-là ont permis de réduire les coûts de chômage de 4,7 millions de couronnes (769.000 $), mais le coût final a tout de même été jugé trop élevé aux yeux de la Ville, qui a décidé de ne pas poursuivre l’expérience plus loin.
Toujours en Suède, le constructeur automobile Toyota fait travailler ses employés six heures par jour au lieu de huit depuis… une quinzaine d’années! L’expérience avait, elle, été couronnée de succès sur tous les plans: des employés qui se sentaient mieux, une productivité qui grimpait en flèche, tout comme les profits. Du coup, la journée de 6 heures a été généralisée, et Toyota ne cesse de s’en féliciter.
Ce qui a inspiré d’autres entreprises implantées en Suède, à l’image du studio de jeux vidéo Filimindus, qui a adopté la journée de 6 heures depuis 2016. «La journée de 8 heures n’est pas aussi efficace que ce qu’on croit. Rester concentré sur une même tâche pendant huit heures est un défi que personne, ou presque, ne peut relever. Nous essayons de pallier ça par la multiplication des pauses et des tâches, mais ça ne suffit pas: épuisement professionnel, stress, anxiété, sans parler de nos vies privées qui en prennent toujours un méchant coup», a expliqué Linus Feldt, l’un des directeurs du studio, au magazine Fast Company.
Bref, la Finlande s’apprête à connaître une véritable révolution managériale. Peut-être sous la forme de la journée de 6 heures, de la semaine de 4 jours, ou encore d’une formule hybride permettant aux employés de travailler d’où ils le veulent, au moment où ils le veulent. Cela reste à déterminer, et surtout, à voir si cela permet bel et bien de relancer l’économie du pays, en cette pénible période de COVID-19.
En passant, le philosophe français Voltaire a dit dans son Traité sur la tolérance : «Moins de dogmes, moins de disputes; moins de disputes, moins de malheurs».
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